Agriloops est une start-up bretonne fondée en juin 2016 par deux ingénieurs agronomes, Romain Vandame et Jérémie Cognard. Elle a levé 1,4 millions d’euros afin de développer sa ferme aquaponique dédiée à la production de gambas made in France. Les français sont en effet de grands consommateurs de crevettes. Ce ne sont pas moins de 120.000 tonnes de crevettes qui sont achetées dans le pays chaque année.
La France est ainsi le second plus gros consommateur européen après l’Espagne. Cependant 85% de ces crevettes sont importées. Un chiffre qui frôle les 100% pour les gambas. Elles sont principalement élevées en Asie du Sud-Est et en Amérique centrale, avec des impacts néfastes pour l’environnement.
On estime ainsi que 1,5 million d’hectares de mangroves ont été détruits notamment en Indonésie pour l’aquaculture de crevettes. Par ailleurs, ces crustacés sont souvent élevés aux antibiotiques. Surtout, ils voyagent des milliers de kilomètres congelés avant d’arriver dans nos étals. Alors, comment faire pour assurer au consommateur français son lot de crevettes fraiches sans cet impact lourd sur l’environnement ? La start-up Agriloops semble avoir trouvé l’astuce grâce à l’aquaponie.
L’aquaponie en milieu salé : une véritable innovation
Le terme « aquaponie » est une contraction de « aquaculture« (c’est à dire élevage de poissons) et « hydroponie » (la culture de végétaux hors sol). Ce procédé implique que des plantes soient cultivées non pas en terre mais sur un substrat généralement composé de billes d’argile. Un système d’irrigation en circuit fermé permet à l’eau provenant d’un bassin ou aquarium où sont élevés des poissons de nourrir ces plantes. Dans les faits, ce sont d’ailleurs des bactéries issues du substrat qui transforment l’ammoniaque contenu dans les déjections des poissons en nitrate assimilable par les plantes. Cette eau « nettoyée » revient ensuite dans le bassin à poissons.
L’aquaponie fait partie des tendances de l’agriculture urbaine en vogue ces derniers temps. La pratique n’est pas particulièrement moderne, elle est apparue il y a des siècles en Asie ainsi qu’en Amérique centrale où elle était déjà pratiquée par les populations Aztèques. Aujourd’hui, ce type de culture fait un retour en force. Il faut dire que l’aquaponie peut être pratiquée par tous. Il existe notamment des systèmes qu’on peut installer facilement chez soi. La startup My Food propose d’ailleurs ce genre d’installation à domicile avec des serres connectées basées sur ce système d’agriculture. Ceci étant, dans le cadre d’une production intensive, le projet d’Agriloops fait figure de précurseur.
En effet, l’aquaponie se pratique historiquement en eau douce. Cependant si la culture de poissons en eau douce peut être intéressante pour des particuliers, elle pose un véritable problème de rentabilité lors d’un usage commercial. Les poissons d’eau douce ayant une faible valeur ajoutée sur le marché. Pour palier à ce problème, la jeune start-up Rennaise innove afin de produire en milieu salé des gambas. Si le pari fonctionne, cela permettrait d’importer moins de gambas (un gain pour l’environnement) tout en proposant de meilleurs produits aux consommateurs.
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Le pari de l’acquaculture urbaine
Ainsi, les gambas d’Agriloops seront produites en France. Elles seront garanties jamais congelées et seront élevées dans le respect de l’environnement. Pour les consommateurs, c’est la promesse d’un aliment de meilleure qualité par rapport aux crevettes importées d’Asie ou d’Amérique. Mais le véritable pari des deux jeunes ingénieurs, c’est avant tout de produire ces crevettes en ville. Ils viennent d’ailleurs de terminer la construction d’une ferme pilote de 100 mètres carrés afin de valider leur modèle de production. En parallèle, leur levée de fonds (1,4 millions d’euros) va servir à lancer ferme commerciale en 2020.
En combinant une solution d’élevage de gambas à une activité maraîchère de tomates cerise et de mesclun de la mer (huître potagère, salicorne, plantin) l’ambition d’Agriloops est ainsi de développer une production plus saine mais également plus proche du consommateur. Aussi, la commercialisation de leurs produits devrait s’effectuer majoritairement en circuits courts. Leurs gambas seront notamment réservées aux restaurants, épiceries fines et poissonneries. À terme, leur objectif est d’augmenter le volume et de se tourner ensuite vers des grossistes.
Dès l’année prochaine, l’entreprise devrait être en mesure de générer son premier chiffre d’affaires. Les fondateurs d’Agriloops tablent sur une production avoisinant les 20 tonnes de gambas (environ 30 grammes chacune) et 40 tonnes de légumes. Sa démarche intéresse fortement dans le secteur de l’agtech et de la foodtech. Mais elle séduit également des acteurs plus traditionnels. Elle a remporté notamment le prix de l’innovation William Saurin l’année dernière. Et si cette première ferme fonctionne, l’entreprise pourrait répliquer son modèle à d’autres types de productions, comme par exemple les dorades et les bars. Cette jeune structure rejoint ainsi le mouvement des entreprises qui mettent la technologie au service des produits de la mer, à l’instar de la start-up Poiscaille.