La France raffole des crevettes et en consomme pas moins de 120 000 tonnes chaque année. Nous sommes ainsi le second plus gros consommateur européen après l’Espagne. Pourtant, malgré notre énorme domaine maritime, 85% des crevettes achetées en France sont importées, principalement d’Équateur (premier fournisseur français de crevettes en 2017, d’après les chiffres de FranceAgrimer), devant l’Inde et Madagascar.

Une dépendance qui pose évidemment des questions : d’abord en matière de transport et d’émissions de gaz à effet de serre associées. Ensuite, se pose la question de la traçabilité et de la qualité des élevages (en particulier vis-à-vis des doses d’antibiotiques reçues par les crevettes d’élevage).

Enfin, sur le plan environnemental, l’élevage intensif de crevettes en Asie est aussi la première cause de destruction des mangroves, des écosystèmes particulièrement importants pour le climat (c’est un puit de carbone naturel), pour la biodiversité, mais aussi pour lutter contre les inondations lors des tempêtes ou tsunamis.

C’est ce triple constat qui a poussé – en 2016 – Romain Vandame et Jérémie Cognard à se lancer, avec la startup Agriloops, dans un pari audacieux : produire des gambas en France grâce à un système aquaponique en milieu salé. L’objectif ? Inventer un modèle de production de crevettes respectueux de l’environnement, qui garantisse également des produits frais, jamais congelés et élevés sans antibiotiques.

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crevettes - agriloops


Une première ferme pilote en 2019

Après une importante phase de R&D pour prouver en laboratoire que l’aquaponie pouvait fonctionner en milieu salé, les deux ingénieurs ont installé, en 2019, une ferme pilote afin de réaliser la preuve de leur concept et améliorer leurs procédés. Une ferme dans laquelle ils ont pu produire – outre des crevettes – du mesclun et de tomates cerises chaque année. Une production qui a ensuite été testée et commercialisée sur différents marchés : à la fois auprès de chefs et de restaurateurs, mais aussi auprès de grossistes.

Fort de retours encourageants, la jeune startup s’apprête désormais à passer la vitesse supérieure avec la mise en service, courant 2022, de Mangrove #1, leur premier démonstrateur industriel. Il devrait permettre à Agriloops de produire chaque année, localement, en circuit fermé, plusieurs dizaines de tonnes de gambas et plusieurs dizaines de tonnes de fruits et légumes.

Installée près de Rennes, sur le territoire de Brocéliande, cette première ferme commerciale constitue donc une étape clé pour l’industrialisation de l’activité de l’entreprise. Elle bénéficie pour cela de financements publics – 3 millions d’euros auprès de BPI France et du Plan France Relance – ainsi que d’une augmentation de capital en cours. La startup – conseillée notamment par Antoine Hubert et Alexis Angot, les co-fondateurs d’Ÿnsect – avait déjà réalisée une levée de fonds de 2M€ en 2019 auprès de partenaires clés tels que BNP Paribas Développement, Sowefund, OGHI, le FEAMP, la BPI et plusieurs business angels.

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Vers des productions à forte valeur ajoutée grâce à l’aquaponie

À l’heure actuelle, l’aquaponie reste une pratique encore confidentielle en France, même si de nombreux acteurs commencent à structurer la filière. Son principal avantage consiste à co-produire des poissons et des végétaux dans un circuit-fermé et circulaire : les déjections des poissons favorisant la culture de fruits et légumes qui, ce faisant, épurent l’eau qui rejoint ensuite le bassin des poissons.

Ce système consomme 90% d’eau en moins qu’une culture traditionnelle en plein champ et garantit des fruits et légumes n’ayant pas reçu de traitements phytosanitaires. D’un point de vue environnemental, la pratique est ainsi particulièrement intéressante. Par ailleurs, l’aquaponie ne nécessite pas de grands espaces et se combine très bien avec des cultures urbaines et péri-urbaines, un autre avantage alors que le foncier agricole va devenir de plus en plus rare et qu’il nous faut désormais lutter contre l’artificialisation des sols.

Historiquement, la plupart des fermes aquaponiques misaient avant tout sur une production de fruits et légumes sans insister sur la production piscicole – davantage vue comme un outil permettant au système de fonctionner. Cependant, à l’image d’Agriloops avec les crevettes ou encore de la startup Eauzons avec le saumon, certains acteurs commencent à se spécialiser sur des élevages à forte valeur ajoutée. Une voie qui pourrait participer à développer davantage le marché de l’aquaponie en France. À plus grande échelle, ces innovations permettent également de faire progresser le secteur de l’aquaculture, qui cherche également des solutions pour tendre vers des élevages plus responsables.

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