Pratique ancienne utilisée notamment par les Aztèques, l’aquaponie est un type d’agriculture qui combine aquaculture et hydroponie afin de cultiver des végétaux et d’élever des poissons dans un circuit-fermé et circulaire. Si la filière est déjà bien développée aux Etats-Unis ou en Australie, elle commence tout juste à se structurer en France. On recense une quinzaine de fermes de ce type dans l’Hexagone.

Félix Haget est un ingénieur agronome spécialisé en circuit fermé d’élevage de poissons. Actuellement Directeur Général de la start-up Eauzons, qui place l’élevage au coeur de sa démarche aquaponique, il a aussi été impliqué dans la création de la première ferme aquaponique en France, dans le cadre des recherches de l’INRAE. Spécialiste du sujet, il a également eu l’occasion d’observer de près la filière américaine lors d’expériences professionnelles à Hawaï. L’occasion pour nous d’échanger avec lui sur les perspectives de ce secteur en France.



Les Horizons : Comment décririez-vous le secteur de l’aquaponie en France ? 

Félix Haget : En France, il y a une grosse dynamique autour de l’aquaponie actuellement. J’ai plusieurs entreprises dans ce domaine, donc je rencontre beaucoup d’acteurs. Nous recevons des gens du domaine de l’enseignement, des gens du programme APIVA, qui est le programme national de développement technico-économique de l’aquaponie en France. Notre objectif, chez Eauzons, c’est d’aider à développer la filière. Indirectement, nous aidons nos concurrents de demain à se mettre en place car il n’y aura pas de filière sans un nombre d’acteurs important. Mais il y a une émulation forte autour de l’aquaponie, et c’est maintenant ou jamais qu’il faut « surfer sur la vague ». J’ajoute qu’on se méfie des projets qui communiquent beaucoup mais qui, derrière, proposent un modèle économique qui n’est pas conforme à nos valeurs. Mais on accueille la plupart des projets avec enthousiasme. 


Le développement de l’aquaponie se fait-il au détriment des agriculteurs traditionnels ? 

Non. C’est à nous de montrer que l’on ne souhaite pas être en opposition avec ces modèles. On a un modèle complémentaire à ce qui se fait déjà. On propose un modèle agricole en périphérie urbaine, là où il y a, en général, peu de vocations agricoles. Nous n’avons aucun intérêt à nous positionner sur des marchés locaux existants. Notre but, c’est de faire d’autres produits, ou des produits qui ne peuvent pas être distribués tout au long de l’année par un maraîcher classique. 

Les filières aquaponiques américaines et australiennes ont pu se développer très vite parce qu’elles ont pu être labélisée bio rapidement


Quels sont les enjeux auxquels la filière est confrontée ? 

L’enjeu principal, pour nous, c’est la commercialisation. En France, il y a moins d’une personne sur trois qui connaît l’aquaponie. C’est un modèle agricole qui peut faire peur : nous avons des fermes en plastique, des hangars solaires sous lesquels il y a des poissons dans des bassins hors sols… Les gens peuvent avoir des à priori négatifs, en se disant « ça va encore être des tomates sans goût ».

C’est en faisant venir les gens sur place, en leur faisant goûter nos produits que nous arrivons à les convaincre que nos productions sont de qualité. En faisant la visite, les gens se rendent compte à quel point nous recherchons le bien-être de nos poissons, l’optimisation nutritionnelle pour nos plantes. Ils voient bien que l’on respecte le délai entre la récolte, l’arrivée à maturité et la consommation. Les gens prennent conscience à ce moment-là du côté écologique et vertueux de notre modèle. 

L'équipe d'Eauzons et leur fraises
Production de fraises en aquaponie par la startup Eauzons


La question de la labellisation fait-elle partie des enjeux que vous avez identifiés ? 

Bien sûr. Le développement de la filière passera aussi par la labellisation. Beaucoup de consommateurs se disent, à tort ou à raison, que parce que c’est bio, c’est bon. Nous, on ne peut pas prétendre à ce label, car un végétal qui ne touche pas la terre ne peut pas être bio, et un poisson élevé dans un système recirculé non plus. C’est un vrai handicap pour la filière française. Les filières aquaponique américaines et australiennes ont pu se développer très vite parce qu’elles ont pu être labellisées bio rapidement. Ils ont pu positionner leurs produits sur les gammes tarifaires du bio et surtout sur sa communication. Nous, on doit réinventer une communication. 


L’idée, ce serait donc de faire évoluer la réglementation bio ? 

Une telle volonté existe, principalement pour ceux qui sont sur le modèle maraîcher. Nous, on ne le souhaite pas du tout chez Eauzons, car nous considérons qu’on est bien au-delà du bio au niveau du cahier des charges. En termes de qualité de produit, on n’a pas d’intérêt à aller chercher ce label. Le bio n’est pas si vertueux que ça, il n’y a ni assurance qualitative sur le produit, ni véritablement sur les pratiques. On estime que ce n’est pas un cahier des charges satisfaisant et qui correspond à l’aquaponie. On préfère aller chercher des certifications locales qui garantissent une production durable. 

Le bio n’est pas si vertueux que ça. Il n’y a ni assurance qualitative sur le produit, ni véritablement sur les pratiques.


Quelle est votre relation avec les pouvoirs publics ? 

Ça dépend de la localité. On a vu une différence entre l’implantation de notre pilote en Occitanie et celle de notre ferme commerciale en Nouvelle-Aquitaine. En Occitanie, nous n’avons pas senti la même dynamique envers l’aquaculture que ce que l’on a pu voir en Nouvelle-Aquitaine. Plus largement, en accompagnant d’autres porteurs de projet, je vois bien que la dynamique n’est pas la même partout, qu’il s’agisse du volet administratif ou des financements. 


Le modèle Eauzons est assez singulier, pouvez-vous nous en dire plus ? 

Pour caricaturer, on pourrait dire que les autres fermes sont plutôt dans un modèle « maraîcher-éleveur », c’est-à-dire qu’ils ont une activité d’élevage de poissons minimisée, qui leur permet de donner de l’engrais aux plantes et leur évite d’avoir une gestion technologique coûteuse et surtout un fort engagement humain. À partir du moment où l’on passe éleveur, on a tout le temps le nez sur nos sondes et sur les poissons. Par exemple, chez nous, il y a 4 salariés sur site. Ils doivent habiter à moins de 20 minutes de la ferme, il y a toujours un téléphone de garde… On est donc plutôt sur un modèle « éleveur – maraîcher ». Le poisson est vraiment au cœur de notre démarche. C’est un modèle assez rare mais qui tend à se normaliser en raison de l’arrivée de gros groupes dans la filière. 

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