À l’occasion de la Maddy Keynote qui se déroulait le 31 janvier dernier sur le thème d’une journée en 2084, nous avons eu la possibilité d’assister à plusieurs tables rondes abordant le futur de nos sociétés. Entre autres sujets, l’un deux a particulièrement retenu notre attention. Il concerne le « fléau » de notre empreinte technologique. En d’autres termes : la technologie est-elle une solution pour résoudre la crise climatique où un nouveau problème qui vient accentuer le réchauffement de la planète ?
Le numérique est en effet reconnu aujourd’hui comme un levier de développement économique et social. Pour les états comme les entreprises et les particuliers, il est aujourd’hui essentiel et incontournable. Le numérique fait partie de nous et sans lui, tout devient plus compliqué. Très récemment, les îles Tonga ont par exemple vécu deux semaines sans Internet à la suite de la rupture d’un câble sous-marin. Avec des répercussions sur la vie et l’économie du pays : paiements par carte bancaire perturbés, appels internationaux impossibles, transferts d’argent venant de l’extérieur totalement bloqués…
Pourtant, depuis que les conséquences du réchauffement climatique sont au coeur de nos enjeux de civilisation, le numérique apparaît souvent comme LA solution qui viendrait résoudre tous nos problèmes. Tous ? non, car si le développement du numérique nous facilite la vie à bien des égards, il pourrait s’avérer être un problème majeur vis à vis du climat. En cause, l’énergie sans cesse croissante que la technologie consomme pour fonctionner. À titre d’exemple, une entreprise de 100 personnes génère environ 13 tonnes de CO2 chaque année uniquement à cause des emails.
Alors, le numérique et ses usages représentent-ils un véritable remède qui pour permettre la transition écologique ? La réponse semble positive à condition de minimiser ses impacts négatifs, c’est à dire en développant un numérique moins énergivore. Ce qui viendra d’une prise de conscience collective des constructeurs, des entreprises et des particuliers. Car après 20 ans de développement spectaculaire des technologies, c’est désormais un voyage vers la sobriété numérique qu’il nous faut donc entamer.
Utiliser le numérique pour économiser l’énergie : le grand paradoxe
Ces tables rondes organisées pendant la Maddy Keynote permettaient notamment de mettre en relation un certain nombre de jeunes start-up avec des grands groupes, à l’image de Butagaz ou encore Total. Une mixité d’usages et de points de vues qui se sont notamment concentrés sur un sujet: comment réduire l’empreinte carbone du secteur de l’énergie ? Et pour Emmanuel Manooretoli (Butagaz), la clé de cette question réside dans le fait « d’aider à consommer moins et mieux ». Pour cela, c’est immédiatement vers le numérique que les regards se tournent. Et voilà le point de départ de notre voyage.
En effet, la surconsommation d’électricité est un problème et notamment dans les pays développés. Pour illustrer ce propos, Laurent Bernard, fondateur de la start-up Ecojoko, alerte par exemple sur le gaspillage de l’électricité. « En France, les appareils électroniques en veille coûtent environ 80 euros par an à chaque foyer ». La solution développée par Ecojoko, son entreprise, est un objet connecté qui permet d’être sensibilisé à ces mauvaises pratiques. « On vise la baisse de la consommation électrique à domicile. Et on souhaite aider à comprendre ce qu’il se passe dans la consommation des ménages via une IA et ainsi proposer des solutions pour économiser jusqu’à 25% d’énergie ».
Frigos givrés, radiateurs mal réglés, appareils inutilement en veille…. La solution d’Ecojoko, reliée à une application mobile, montre au consommateur ce qui se passe réellement dans sa maison. C’est de cette manière qu’il peut visualiser le gaspillage de l’électricité et ainsi optimiser sa consommation. « On gaspille l’électricité parce qu’elle n’est pas visible. Le gaspillage de l’électricité, c’est environ 25% de la consommation ».
Ainsi cette solution apporte un double gain à la fois économique et écologique. Mais il s’agit d’une solution basée sur le numérique. Un objet connecté, une application, des données à traiter et stocker, des téléphones portables… En somme, des appareils et process qui ont eux aussi une forte consommation d’énergie. Un paradoxe ? Pour de plus en plus d’acteurs du secteur, l’empreinte énergétique du numérique est en effet devenue un problème. C’est d’ailleurs une des raisons qui poussent les géants du secteur à se convertir aux énergies renouvelables : Google, Apple et récemment Facebook n’hésitent pas à communiquer sur le sujet. Dans les écoles d’ingénieur, on sensibilise de plus en plus à l’écoconception de sites et applications.
C’est à dire que la technologie coûte beaucoup en énergie. D’abord, pour tout ce qui touche à la conception du hardware ou encore à l’extraction des matériaux qui leur permettent de fonctionner. Et ensuite pour le surplus de consommation d’électricité lors des usages. Ainsi, utiliser un objet connecté pour réduire sa facture d’électricité, c’est peut être une manière de consommer davantage. indirectement. Mais davantage quand même.
Le besoin de créer de nouveaux modèles économiques vertueux
L’une des problématiques du secteur de la tech réside dans la phase de production. C’est lors de la production d’un appareil technologique que se situe le très gros de son impact négatif sur l’environnement. En fait, c’est 90% de la consommation globale d’énergie qui se fait avant l’achat d’un appareil numérique. Une consommation liée à la production, l’assemblage mais aussi l’extraction des matériaux. Et si en France les énergies sont majoritairement decarbonées, là où sont produits les appareils numériques, ce n’est pas le cas.
Aussi, l’augmentation de la production d’équipements numériques nécessite également des quantités croissantes de métaux rares et critiques. Or ces matériaux sont également indispensables à la conception de technologies énergétiques bas-carbone. De fait, la transition numérique capte des ressources nécessaires à la transition énergétique. Un paradoxe supplémentaire dans la lutte pour maîtriser l’empreinte carbone de l’énergie. Et pendant ce temps, la conception de ces appareils est en hausse continue. La faute à une surconsommation émanant des pays développés. Mais comme le précise Thibaud Hug de Larauze, fondateur de la start-up Backmarket : « Les gens sont friands de nouvelles technologies, on ne peut pas aller contre ça ».
Backmarket, c’est une des pépites françaises engagée dans ce qu’on pourrait appeler la GreenTech. Il s’agit d’un site e-commerce qui ne propose que des produits reconditionnés. De manière vulgaire, c’est refaire du neuf avec du vieux. Une manière de donner plusieurs vies à un produit numérique. « Une fois que le mal est fait (la production) il faut faire circuler le produit au maximum pour lisser sont empreinte ». En moyenne, il faut savoir qu’un utilisateur d’iPhone achète un appareil neuf tous les 20 mois environ. Un problème de surconsommation auquel le reconditionnement est une solution. Il en existe d’autres et l’avenir devrait encore nous en apporter. C’est en tout cas le constat fait par différents intervenants lors de cette Maddy Keynote : la transition énergétique doit permettre de faire émerger de nouveaux modèles économiques plus vertueux. Ce qui passera notamment par le développement de l’économie circulaire.
L’économie circulaire, c’est un nouveau paradigme qui fait beaucoup parler. Produire mieux, consommer moins, réutiliser au lieu de jeter. Du bon sens. Mais du bon sens qui, extraordinairement, nous manque depuis plusieurs décennies. L’économie Circulaire est essentielle, par exemple dans le secteur de l’énergie pour le recyclage des panneaux solaires. Tout comme est nécessaire le développement d’innovations à l’image des smart grids où encore des circuits-courts pour le partage d’électricité verte. Mais à terme, c’est avant tout la conception d’un numérique sobre et l’apparition des low-tech qui permettra d’avoir un réel impact.
Le long chemin vers la sobriété numérique
Ainsi donc, le développement rapide du numérique génère une augmentation forte de son empreinte énergétique directe. Cette empreinte inclut l’énergie de fabrication et d’utilisation des équipements (serveurs, réseaux, terminaux). Elle est en progression rapide, de 9 % par an. « L’énergie pour regarder une vidéo de 10min sur son smartphone, c’est 1 000 fois l’énergie consommée par le smartphone normalement » précise Hugues Ferreboeuf, du Think Tank The Shift Project. Engagé pour une économie décarbonée, il redoute notamment l’explosion à venir des objets connectés. Ce sont des centaines de millions d’objets qui vont être installés chez les consommateurs. Certains n’ont pas d’utilité réelle. Et ces objets vont consommer énormément d’énergie.
Ainsi, la part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre a augmenté de moitié depuis 2013, passant de 2,5 % à 3,7 % du total des émissions mondiales. Et pour ceux qui pensent que le numérique est la solution pour résoudre les problèmes liés à l’environnement, Clément Jeanneau, de la société Blockchain Partner, alerte : « La technologie peut être un frein quand on parle d’environnement et de biodiversité. La vraie question c’est pas de savoir comment on sauve le climat, mais comment on minimise notre impact sur le climat. »
Une transition numérique sobre consisterait donc à acheter les équipements les moins puissants possibles, à les changer le moins souvent possible, et à réduire les usages énergivores superflus. Pour cela, il est impératif d’accélérer la prise de conscience des impacts environnementaux du numérique. Cette prise de conscience doit se faire au niveau des pouvoirs publics, des entreprises mais aussi des particuliers. Il faudrait aussi intégrer davantage les impacts environnementaux comme critères de décision dans les politiques d’achat et d’utilisation des équipements numériques.
Par ailleurs, il est aussi nécessaire de s’assurer que les infrastructures, notamment les data centers soient alimentées en énergies renouvelables. Et que les sites et applications soient conçues pour être sobres en consommation. Peut-être faudrait-il également procéder à un bilan carbone des projets numériques avant de les lancer ? À terme, c’est sans doute un retour au principe de Low-technologie qu’il faudra mettre en place.