Conçue par les adultes pour les adultes, nos villes sont-elles des espaces hostiles à l’enfance ? Du bitume partout. Des rues bruyantes et dangereuses. Des trottoirs minuscules. Une biodiversité presque absente. Pas ou peu de nature hormis quelques parcs équipés ici et là d’un toboggan et de quelques jeux. L’espace urbain est aujourd’hui loin d’être un espace d’émancipation et de découverte pour les plus jeunes.

Pourtant, dans une ville, on manque rarement de cinémas, de restaurants, de bars et discothèques pour entretenir la vie sociale des adultes. Mais on manque de crèches, de jardins d’enfants, d’espaces libres, ludiques et sécurisés pour que les tous petits puissent s’épanouir. Poussant d’ailleurs de nombreux jeunes parents à quitter les centres-villes vers les communes périphériques.

Un exode péri-urbain qui accroît l’artificialisation des sols via la création d’immenses zones pavillonnaires et de grands centres commerciaux. Un exode qui accroît également le trafic automobile aux heures de pointes. Et pendant ce temps, les coeurs de villes restent invariablement des endroits pour adultes. Mais jusqu’à quand ?

des enfants qui peignent une fresque sur un mur


Impliquer les enfants dans la fabrique de la ville

En 2017, la ville d’Oslo a proposé une application mobile baptisée Trafikkagenten (l’Agent du trafic), une application mobile gamifiée qui permet aux enfants de se faire passer pour des agents secrets chargés de remonter les dangers qu’ils rencontrent sur le chemin de l’école, de la bibliothèque ou de la salle de sport : « bonne ou mauvaise visibilité », « trafic dense ou faible », « vitesse élevée ou lente », etc.

Développée en coopération avec la ville d’Oslo et le Centre norvégien de recherche sur les transports, elle permet ainsi de cartographier les voyages quotidiens faits par les enfants et de pouvoir améliorer leur sécurité sur ces axes prioritaires.

Une manière de « faire la ville avec les enfants » qui remonte de plus en plus au sein des collectivités, et qui se pose en facteur-clé de succès pour qui se souhaite « ville durable ». À Lille, par exemple, l’association Récréations Urbaines propose ainsi d’accompagner les établissements scolaires dans la création d’aménagement avec les enfants. En 2019, elle a par exemple travaillé à l’aménagement du parvis de l’école Pasteur à Lille, via des ateliers intégrant une douzaine d’élèves de l’école. Une demi-douzaine d’établissements sont également passés par cette association pour inclure les enfants dans la végétalisation des cours d’écoles.

En 2018, en Suisse, le canton de Bâle a également lancé, en partenariat avec le CEREMA, un guide intitulé « les yeux à 1,20m » pour faire émerger des projets adaptés à la vision des enfants, en moyenne à 1,20m du sol à l’âge de 9 ans.

Ce sont là quelques exemples d’initiatives qui permettent de réfléchir différemment à la manière dont nous souhaitons construire l’espace public. Il y a deux grands enjeux dans cette vision. D’abord, une question d’émancipation et de sécurité. Ensuite une question de découverte et de lien social.

Pour déposer ou récupérer les enfants à l’école, nous réalisons collectivement 26 millions de déplacements par an

Source : Ademe


Les enfants aussi ont des trajets « domicile/travail »

Aménager une ville pour les enfants nécessite à la fois une reflexion globale sur le rééquilibrage de l’espace public (piétonnisation des rues, réduction de la vitesse des engins motorisés, mise en place de pistes cyclables et d’espaces verts, etc.) ainsi que des actions très ciblées sur des endroits précis de la ville : les écoles et leurs abords, les squares et jardins publics, les abords des équipements sportifs. Aujourd’hui, une priorité ressort néanmoins, celle qui concerne les déplacements pendulaires des enfants entre leur domicile et leur école.

En effet, d’après une étude réalisée par l’institut Harris pour l’UNICEF, 7 parents sur 10 se déclarent préoccupés par la pollution de l’air autour de l’établissement scolaire ou la crèche de leur(s) enfant(s). À raison puisque la voiture est le mode de transport privilégié pour amener les enfants à l’école (84% en France). Loin devant les transports en commun, très loin devant le vélo où même le covoiturage.

Un vecteur de pollution de l’air, qui est aussi un vecteur de nuisance sonore et de risque de collision. On rappelle qu’un piéton heurté par une voiture qui roule à 50 km/h a seulement 53% de chances de survie.

À Paris, la sortie de crise sanitaire aura été l’occasion de mettre en oeuvre des « rues aux écoles » qui ont vocation à sécuriser le chemin maison-école pour les enfants via la piétonnisation totale ou partielle de ces rues. Récemment, la ville de Tours a lancé l’expérimentation d’un dispositif similaire pour interdire la circulation dans les rues de cinq écoles test au moment des entrées et des sorties des élèves. Une opération qui sera également testée à Grenoble à la rentrée 2021.

D’après un sondage réalisé par l’Unicef dans plusieurs grandes villes françaises, 87 % des parents sont en faveur de la baisse du trafic automobile aux abords des écoles et 76 % se dit inquiet de la pollution atmosphérique à cet endroit.


Les cours d’écoles sont également des environnements à adapter différemment pour améliorer la qualité de vie en ville. Elles sont aujourd’hui majoritairement bétonnées de toute part et n’offrent que peu d’alternatives aux enfants pour s’épanouir et découvrir. Pour lutter contre les ilots de chaleur, pour une meilleure éducation à l’alimentation et à la biodiversité, la végétalisation des cours d’écoles est un chantier prioritaire dans de nombreuses communes.

Récemment, la ville de Paris s’est distinguée avec son projet des « Cours Oasis » qui vise à transformer 600 cours d’écoles en espaces végétalisés mais aussi ouverts sur leurs quartiers. Une initiative qui s’inscrit dans le besoin de mutualiser et d’optimiser les usages des espaces urbains pour rendre la ville plus agréable. « Ouverts le week end et lors des vacances scolaires, les cours oasis sont désormais des espaces de proximité, ouverts à tous les habitants d’un quartier et qui sait demain, pour certaines, en auto-gestion » précise à ce sujet dans un post de blog Célia Blauel, l’adjointe de la maire de Paris chargée de la Seine, de la Prospective Paris2030 et de la Resilience.

une enfant qui fait du vélo
Le manque d’aménagements cyclables et la vitesse de circulation représente un frein à la pratique du vélo en ville, pourtant vecteur de liberté et d’émancipation pour les plus jeunes.


Repenser l’usage des biens communs

Cette ouverture des cours d’écoles le week-end est un exemple de la manière dont nous pouvons aussi repenser l’usage des biens communs pour favoriser un développement plus inclusif de la ville. Une manière, aussi, de ne pas cloisonner la ville en fonction des âges, mais de l’ouvrir à toutes et tous.

Car la ville française est ainsi conçue que les enfants n’y sont finalement en sécurité qu’en de rares endroits : squares, parcs et jardins publics. Cependant, si ces endroits sont pleins d’aires de jeux pour les petits, il sont souvent vides d’activités pour les adultes qui les accompagnent, ce qui limite leur attractivité.

Ainsi, une ville construite pour les enfants n’est pas une ville basée sur la multiplication des jardins et des jeux d’enfants. Ce qui ne constitue d’ailleurs qu’une réponse partielle à leurs besoins d’émancipation, de découverte et de socialisation. Les enfants ont certes besoin de jouer, mais aussi de pouvoir se déplacer et s’approprier la ville en toute sécurité. Dans la rue devant chez eux, les rues d’à côté, celles à proximité de leurs lieux de rencontre où de leurs clubs de sports.

Dans certaines communes, les collectivités et résidents prennent parfois l’initiative d’interdire la circulation dans quelques rues sur certaines heures où les enfants peuvent jouer. La qualité des transports en commun et des pistes cyclables est aussi un aspect primordial afin de permettre aux enfants de pouvoir se déplacer en toute autonomie. La gratuité instaurée pour les plus jeunes dans les transports en commun est une réponse à ce sujet, tout comme les mesures qui restreignent le trafic automobile : ville à 30 km/h, ZFE, etc.

Des aménagements qui, dans le fond, ne sont pas forcément très éloignés de ce que les villes imaginent aussi pour les adultes. Et c’est aussi là un concept important pour la ville de demain, d’être accessibles pour toutes et tous, quel que soit l’âge et la situation.

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