Thierry Meunier est le Président de l’Association qui organise tous les deux ans à Nantes les Assises nationales des déchets, et a lui même été un acteur de la filière en tant qu’ancien Directeur écoresponsabilité chez Séché Environnement, leader dans le traitement et la valorisation des déchets en France et à l’international.
Les Assises des Déchets est l’évènement phare du secteur durant lequel acteurs privés et publics se retrouvent pour faire le point sur les actions mises en place et anticiper les tendances. Les prochaines Assises se tiendront à Nantes les 12 et 13 janvier 2022. Dans ce cadre, Thierry Meunier revient pour le média sur l’actualité du secteur, et souhaite profiter de cette édition pour interpeller. Car le bilan dressé est loin d’être aussi bon qu’espéré.
Quel bilan tirez-vous de toutes ces années à organiser les Assises des Déchets ?
Les Assises se déroulent tous les deux ans. Nous dépassons donc avec cette 16ème édition les 30 ans d’existence. Et le moins que nous puissions dire, c’est que nous aurions pu nous attendre à tirer de ces 30 ans, un bilan beaucoup plus positif que celui que nous avons aujourd’hui. Après 30 ans, il y a eu énormément d’évolutions en matière de texte législatifs et réglementaires, d’orientations, de contraintes. Mais force est de constater que nous n’avons pas encore réussi dans l’efficacité d’un recyclage maximisé, en local par exemple. Nous voyons également que c’est compliqué d’aller contre le fait de renchérir le coût des déchets. Ce qui entraîne l’augmentation des flux de déchets qui ne vont pas dans les bonnes filières.
Pourquoi ?
En partie à cause de raisons d’économies de court terme. De raisons d’éducation, de comportements, d’évolutions de société également. Ces Assises sont donc là pour s’interroger et interpeller. Nous n’avons pas suffisamment avancé sur tous les sujets alors que cela fait 30 ans que les acteurs se parlent et se concertent. Nous sommes même en mesure de nous interroger sur le constat que certaines décisions peuvent au final se révéler contre productives.
Nous manquons cruellement d’interventions de terrain au regard de toutes les obligations que les parties prenantes se doivent pourtant de respecter
Lesquelles par exemple ?
Dans le désordre, le nombre de passages autorisés dans une déchetterie ou le fait qu’on fasse encore payer trop cher les déchets dans le bâtiment. Mais aussi le fait que nous manquons cruellement d’interventions de terrain au regard de toutes les obligations que les parties prenantes se doivent pourtant de respecter. Collectivités, industriels, particuliers, artisans…
Pourquoi n’arrive-t-on pas à embarquer ces parties prenantes sur ces sujets ?
Le modèle économique est imparable pour moi, c’est la base. Il faut faciliter le modèle économique pour que le poids des comportements vertueux soit justement réparti sur les populations. La deuxième chose c’est l’éducation, le respect des bons comportements. En matière de sciences humaines nous n’avons pas fait suffisamment d’efforts pour que les populations soient réceptives aux messages de faire mieux avec les déchets. A cela s’ajoutent des messages de confusion parfois adressés aux populations par le biais des médias ou des réseaux sociaux. Messages qui font malheureusement vivre des clichés ou généralisent des dysfonctionnements ponctuels comme par exemple « qu’importe le tri fait à la maison, nos déchets finiraient à l’incinérateur… ». Ainsi nous faisons face à un défaut d’éducation, additionné d’un message ambiant souvent négatif, pouvant induire un véritable découragement des populations ou un désintérêt pour les déchets, face à, d’autres problématiques sociétales plus prégnantes.
Que faire pour inverser ces tendances ?
Lorsque j’étais coprésident du Conseil de Valorisation des Déchets, j’avais proposé que tous les enfants aient accès à une information sur les déchets et la préservation de la matière, dès le plus jeune âge. Il me paraît indispensable aujourd’hui d’insuffler cela via les programmes de l’Education Nationale. Mais également dans le cadre des formations post bac. Par exemple avoir une ou deux journées sur la durée de vie des matières, ce que l’on sait faire, ce que l’on peut faire en valorisation, sur le réemploi, jusqu’au traitement et au recyclage. Et ce pour tout type d’écoles, des formations techniques en passant par les écoles d’ingénieurs ou les BTS.
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Quels seront les temps forts de cette 16e édition des Assises ?
Nous aurons les temps forts habituels comme les ateliers. Ils collent à l’actualité et à la réalité. Ils font la part belle à la R&D, aux innovations, au droit des déchets. Nous allons faire intervenir des personnes qui ont des idées et des initiatives intéressantes. En deuxième journée, nous aurons deux plénières au lieu d’une habituellement. Dont une sur le plan de relance, afin d’aller plus loin après ces 30 années d’inefficacité. Mais aussi regarder comment pérenniser les dispositifs d’appui déjà en place. Car les dispositifs libéraux ou de marché ne suffisent pas.
Quelles avancées positives avez-vous relevé depuis l’édition de 2019 ?
J’ai notamment un exemple en tête qui concerne les déchets dits routiers, ceux qu’on récupère suite à la construction, l’exploitation ou l’entretien des routes. On constate que ça fonctionne vraiment bien. La récupération de ces déchets permet de les valoriser et de les réutiliser. Ça a mis du temps mais aujourd’hui les opérateurs sont au rendez-vous. Une des interrogations cette année, ce sont les nouvelles filières REP. En particulier celles liées au bâtiment et aux travaux publics. Ces filières fonctionnent bien chez les gros faiseurs qui intègrent ces processus dans leur RSE. En revanche, pour les petits faiseurs cela semble plus compliqué à mettre en place. On retrouve par exemple de plus en plus de déchets en périphérie des agglomérations, ce qui est profondément anormal.
Le phénomène de dépôts sauvages semble prendre de l’ampleur depuis peu ?
Je vous confirme que ces dépôts s’amplifient. On a plusieurs intervenants qui vont témoigner en ce sens lors des Assises, c’est devenu un vrai sujet.
Si nous ne favorisons pas une prise en charge simple et incitative des déchets, on risque de les retrouver dans la nature
Justement, comment accompagner les collectivités qui sont en première ligne ?
C’est en effet un sujet compliqué à résoudre. Est ce que la mise en place de caméras serait la solution ? Je ne sais pas, encore faudrait-il les placer au bon endroit. Je ne pense pas être compétent pour répondre à cela. En revanche, je souhaiterais entendre la gendarmerie et la justice sur ces sujets. Notamment celui de pouvoir retrouver ou non des coupables, de savoir si les peines sont à la hauteur des préjudices et du délit, de savoir si les peines sont réellement appliquées. Et de l’autre côté, si nous ne favorisons pas une prise en charge simple et incitative des déchets, on risque de les retrouver dans la nature. Ces deux aspects, justice et incitation, doivent être articulés ensemble.
On constate l’éclosion de nombreuses nouvelles idées et innovations concernant les déchets depuis quelques années, qui s’appuient notamment sur le numérique, que pensez-vous de cette tendance?
C’est une tendance lourde depuis quelques années. La ville de Nantes est en pointe là dessus, nous aurons donc la chance d’avoir des démonstrations lors des Assises. Dans le milieu urbain, on constate que ces innovations commencent à prendre une place très significative. Ces innovations sont d’ailleurs également liées aux modes de consommation qui évoluent, pas uniquement à la simple gestion des déchets. On voit de plus en plus souvent des recycleries apparaître non loin des déchetteries. C’est intéressant. Les applications de réemploi jouent aussi leur rôle dans ces nouvelles pratiques. Le vrac également fait une belle percée. Nous constatons que ces nouvelles tendances fonctionnent bien.