Le rapport annuel 2022 de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) sur l’état des services climatologiques résonne comme un signal d’alarme supplémentaire pour les décideurs du monde entier. Un thème ressort particulièrement de cette publication : la sécurité énergétique au niveau de la planète. Ce document est l’aboutissement des contributions de 26 organismes internationaux. Il fait le lien entre le réchauffement climatique et les risques que les évènements climatiques qu’il engendre peuvent avoir sur nos sources de production d’énergie.

« La situation s’aggrave de jour en jour et le climat se transforme sous nos yeux. Nous devons totalement repenser le système énergétique planétaire » explique Petteri Taalas, Secrétaire Général de l’OMM, soulignant au passage que la neutralité carbone « ne sera toutefois possible que si nous doublons l’offre d’électricité à faibles émissions au cours des huit prochaines années ». Et pour les experts de l’OMM, c’est avant tout dans le solaire et l’éolien qu’il faut investir d’urgence car il s’agit de sources d’électricité qui ne sont pas dépendantes des ressources en eau, au contraire du nucléaire, de l’hydroélectricité ou des sources thermiques comme le charbon.

Lire aussi : les sites industriels français menacés par les incendies ?

un bâtiment avec un toit photovoltaÏque


La sécurité énergétique mondiale en péril

« Si nous voulons maintenir la sécurité énergétique tout en accélérant la transition vers la neutralité carbone, nous devons de toute urgence réagir aux incidences de plus en plus sensibles du changement climatique sur les systèmes énergétiques » explique de son côté Fatih Birol, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie, qui a également participé à ces travaux.

En 2020, l’OMM et ses partenaires estiment ainsi que 87 % de l’électricité mondiale produite par des systèmes thermiques, nucléaires ou hydroélectriques dépendait directement des ressources en eau disponibles. Or, le rapport souligne bien que « 33 % des centrales thermiques qui dépendent des ressources d’eau douce disponibles pour le refroidissement se trouvent dans des zones soumises à un stress hydrique élevé ».

Ce sont ce qu’on appelle « les évènements climatiques extrêmes » qui sont en cause dans la vulnérabilité de nos modes de production d’électricité : canicules, sécheresses, orages stationnaires, tempêtes et autres phénomènes sur lesquels le GIEC alerte. De fait, il est aujourd’hui admis avec certitude que ces évènements vont croître en fréquence et en intensité dans les prochaines années. Et il y a donc une certitude sur le fait qu’ils vont mettre nos infrastructures à dure épreuve. D’ailleurs, cette année 2022 nous l’a encore démontré avec force.

Ainsi, parmi différents exemples intervenus tout au long de l’année à travers le monde, on peut citer l’Argentine qui, au mois de janvier, a subi de très lourdes coupures de courant causées par une canicule historique à Buenos Aires, et qui ont touché environ 700 000 personnes. En Autriche, les vents violents du mois de Mai ont fait tomber des pylônes électriques. En Chine, les fortes chaleurs ont imposé des coupures de courant et un rationnement de l’électricité dans plusieurs provinces avec des industries mises à l’arrêt.

En France, il y a aussi eu des coupures d’électricité dans certaines villes lors de la canicule du mois d’Août. L’État a également dû agir en catastrophe pour éviter des coupures de courant en accordant une dérogation à quatre centrales nucléaires afin qu’elles puissent continuer de fonctionner malgré le dépassement des normes de température en vigueur. Le nucléaire français est d’ailleurs déjà régulièrement bousculé par le climat : d’après la startup Callendar, spécialisée en risques climatiques, les canicules et les sécheresses ont entraîné plus de 360 arrêts ou baisses de production sur le parc nucléaire français entre 2015 et 2021.

De quoi s’interroger sur la pertinence du nucléaire dans contexte de réchauffement climatique ? D’après l’OMM, 25 % des centrales nucléaires existantes se trouveront dans des zones soumises à un risque élevé de stress hydrique d’ici 20 ans. Et cela ne prend pas en compte les centrales qui se trouvent exposées à des risques de submersion en raison de l’élévation du niveau des mers.

En outre, l’OMM estime également que 11 % des capacités hydroélectriques mondiales sont situées dans des zones soumises à un fort stress hydrique. Enfin, les lieux d’implantation d’environ 26 % des barrages hydrauliques existants et 23 % des barrages prévus se trouvent dans des bassins versants exposés à un risque de pénurie d’eau considéré comme moyen à très élevé. Un sujet qui concerne également la France, 2ème producteur européen d’hydroélectricité.

Lire aussi : la Maif propose un simulateur de risques climatiques pour les logements

des éoliennes dans un champ


Des efforts insuffisants de la part des États

Alors, pour aller plus loin, l’OMM et ses partenaires préconisent de s’orienter le plus rapidement possible et le plus massivement possible vers l’éolien et le solaire photovoltaïque. « La transition vers les énergies renouvelables contribuera à atténuer le stress hydrique mondial car il faut beaucoup moins d’eau pour produire de l’électricité dans des installations solaires ou éoliennes que dans les centrales électriques plus traditionnelles, telles que les dispositifs utilisant des combustibles fossiles ou les centrales nucléaires » souligne ainsi le rapport, qui expose aussi les investissements insuffisants des États sur ce sujet.

Car malgré ces constats implacables, malgré les prévisions des scientifiques et malgré des exemples concrets venant illustrer la vulnérabilité de nos infrastructures vis-à-vis du changement climatique, l’OMM estime que « seulement 40 % des plans d’action pour le climat soumis par les gouvernements à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) se focalisent sur l’adaptation dans le secteur de l’énergie »

Les chiffres cités dans le rapport révèlent également que les investissements dans les énergies renouvelables devront tripler d’ici à 2050 pour que le monde puisse atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Sur ce point, l’agence cible notamment le retard de l’Afrique en la matière. Le continent n’a bénéficié que de 2 % des investissements dans les énergies propres au cours des deux dernières décennies alors qu’il abrite 60 % des meilleures ressources de la planète en matière d’ensoleillement. D’après les scientifiques, pour garantir au continent africain un accès à des services énergétiques modernes, il faudrait un investissement annuel de 25 milliards de dollars, soit environ 1 % des investissements planétaires actuels dans le domaine de l’énergie.

De manière globale, les chiffres de l’OMM permettent d’estimer que, pour atteindre l’objectif mondial à long terme fixé par l’Accord de Paris en matière de température, il faudrait installer 7,1 TW de capacité d’énergie propre d’ici à 2030.

Lire aussi : En 2021, les catastrophes météo ont coûté encore plus cher à l’économie mondiale


Le réchauffement climatique en France s’annonce pire que prévu

Et comme pour mettre en perspective cette vulnérabilité de la production d’électricité au réchauffement climatique, une équipe du CNRS, de Météo France et du Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique a justement publié cette semaine une étude qui permet d’évaluer le réchauffement climatique dans l’hexagone. Un réchauffement qui s’annonce plus intense que prévu et qui fait craindre un scénario très difficile à l’avenir.

« Le Giec propose des scénarios de réchauffement climatique au niveau planétaire et au niveau de grandes régions comme l’Europe ou le bassin méditerranéen. Mais il ne va pas en-dessous. Or il existe un appétit pour des projections à des échelles plus réduites« , explique Aurélien Ribes, chercheur au Centre national de la recherche météorologique qui a participé à ces travaux.

En utilisant les données récoltées par une trentaine de stations météorologiques réparties sur toute la France, et en les passant dans le modèle développé par le GIEC, l’équipe de chercheurs a montré que la température moyenne de la France actuelle est supérieure de 1,7 °C à celle de la France entre 1900 et 1930. Un réchauffement qui pourrait atteindre les 3,8°C d’ici 2100 si rien n’est fait, avec un palier à +2,7°C en 2050. Si tel était le cas, « les étés pourraient être en moyenne 5 °C plus chauds par rapport aux décennies 1900-1930 » précise l’équipe ayant travaillé sur ces modèles.

Un état des lieux qui fait donc écho aux analyses de l’OMM en matière de sécurité énergétique. En France, nos principales sources de production d’électricité sont le nucléaire et l’hydroélectricité : deux sources particulièrement exposées aux risques de sécheresses et de canicules.

À lire également