Les phénomènes extrêmes résultant du changement climatique se sont multipliés au sein des villes et métropoles ces dernières années. Les récentes inondations et pluies diluviennes en Australie, en Belgique ou en Allemagne, ainsi que les pics de pollution dans les mégalopoles comme New Dheli ou Mexico en témoignent.
Plus généralement, des îlots de chaleur se produisent dans de très nombreuses villes à travers la planète, les écarts de températures entre les agglomérations et les campagnes peuvent aller jusqu’à dix degrés lors des plus fortes vagues de chaleur. Et la tendance à l’accélération de la fréquence de ces phénomènes extrêmes devrait se maintenir dans les prochaines années, alors même que le Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques (UNDRR) estime que leur occurrence a déjà doublé au cours des deux dernières décennies.
Les villes, dont la taille moyenne ne cesse d’augmenter, sont des environnements très artificialisés et dont les conditions de vie diffèrent sensiblement de celles du milieu rural. En participant à leur propre affaiblissement, elles sont devenues particulièrement vulnérables. Très énergivores, on les tient pour responsables de près de 70% des émissions de CO2 à l’échelle mondiale, tandis que 75% des Européens sont citadins, et que 68% de personnes le seront dans le monde en 2050 selon l’ONU.
Transports, bâtiments, eau, éclairage, déchets… Les besoins des villes sont multiples et le temps d’une nécessaire adaptation est venu.
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Les villes, nouveaux lieux d’expérimentation soutenus par l’Europe
Les villes sont des acteurs majeurs des changements. L’échelle est d’autant plus pertinente que, comme rappelé lors du récent Sommet Climate Chance Europe, les métropoles concentrent l’ensemble des enjeux de développement durable au sein d’un même territoire : ceux du climat, de la santé et de la qualité de vie. En effet, à la question du défi écologique se superpose le coût économique des catastrophes ainsi que des enjeux sociaux associés. Une attention grandissante est accordée à ces questions par les pouvoirs publics.
Au niveau européen, la mission “Villes intelligentes et neutres en carbone” s’inscrit directement dans les objectifs du Pacte Vert. Afin de réaliser les objectifs de l’Union Européenne en la matière, la mission s’est ainsi vu octroyer un budget de 360 millions d’euros par la plateforme Horizon Europe pour la période 2022-2023. Ce financement doit permettre de soutenir l’innovation notamment en matière de mobilité durable et d’efficacité énergétique.
Si les ambitions ont été revues à la hausse et des moyens proportionnés débloqués, cette approche d’ampleur inédite n’est cependant pas nouvelle. Depuis le début des années 2000, le projet URBACT favorise la coopération entre les villes européennes et les accompagne dans l’élaboration de projets de développement urbain durable. Cofinancé par le Fonds européen de développement régional, le programme est structuré en réseaux de planification, de mise en œuvre et partage de bonnes pratiques. De la même façon, la Convention des Maires pour le Climat et l’Énergie a réussi à associer dès 2008 plus de dix mille métropoles désireuses de s’engager sur les questions de climat et d’énergie en Europe et ailleurs.
La résilience des villes face au changement climatique doit être organisée. Elle n’aura lieu que si ces dernières ne se contentent plus d’être dans la réaction face aux phénomènes climatiques, mais les anticipent. Pour cela, il est crucial que ces territoires puissent avoir une vision complète de leur environnement au travers du croisement de caractéristiques et de paramètres locaux (pluviométrie, vent, géométrie urbaine, matériaux utilisés…) qui influencent leurs climats. Dans ce contexte, l’étude approfondie du climat urbain et de ses variations est nécessaire pour prévoir les besoins futurs des zones urbaines ainsi que les potentiels risques à venir.
Connaître pour anticiper : la modélisation
En ce sens, les outils de modélisation sont pertinents car ils permettent de produire des données localisées en tenant compte par exemple des couloirs de ventilation, de l’humidité, de la qualité de l’air etc. Ceci dans le but de créer des profils de villes types et des atlas climatiques. C’est ainsi que les territoires pourront prendre conscience des multiples pressions pesant sur eux. La possibilité sera alors donnée aux collectivités de formuler des réponses locales adaptées aux enjeux. Nombre de ces enjeux réclament par ailleurs des réponses urgentes, voici quelques exemples d’anticipation par modélisation.
Faire circuler l’air frais en ville
L’imperméabilisation des sols ainsi que l’extension urbaine et la densité des bâtiments accentuent la capacité des villes à conserver la chaleur du soleil, restituée ensuite la nuit. Ce phénomène pose la question de leur vulnérabilité ainsi que de leur habitabilité : la surmortalité était de près de 140% à Paris contre 40% en zone rurale lors de la canicule de 2003. Rafraîchir les villes requiert le plus souvent de végétaliser les espaces et de repenser l’architecture urbaine : revêtements réfléchissants, zones d’ombrage… Des solutions existent. Mais elles nécessitent une très bonne connaissance de la configuration des lieux et de leurs contraintes : c’est là qu’interviennent les outils de modélisation.
Parmi eux, le projet PÆNDORA, qui a pour ambition de faciliter la prise de décisions publiques. Au croisement de trois disciplines, la météorologie, la géomatique et l’urbanisme, PÆNDORA (pour Planification, Adaptation, Énergie : Données Territoriales et Accompagnement) produit des données évolutives d’une grande précision puisqu’il permet de cibler les îlots urbains, que l’on retrouve le plus souvent à l’échelle d’un quartier voire d’un pâté de maisons. Le territoire de Toulouse Métropole qui a servi de pilote au projet, a ainsi obtenu une meilleure vision du climat local et de ses potentielles évolutions. Ces données ont donc permis aux décideurs publics d’orienter le Projet d’Aménagement et de Développement Durable en mettant l’accent sur le confort thermique des espaces. Parmi les principales dispositions retenues, celles d’encourager l’approche bioclimatique dans la conception des bâtiments (orientation, volume…) et de développer des îlots de fraîcheur grâce à la végétalisation.
Croiser les données pour surveiller la qualité de l’air
De plus en plus d’agglomérations voient leur qualité de l’air se dégrader, connaissant ainsi des pics de pollution à répétition. Cela a été le cas dernièrement à Paris, Lyon, Grenoble ou encore Marseille. Ces villes doivent agir en amont pour réduire la pollution atmosphérique. En France, de nombreux organismes scrutent les évolutions de la qualité de l’air et les concentrations en polluants et particules. C’est le cas d’Atmo ou encore d’Airparif. Si ces logiciels permettent une meilleure compréhension par le grand public, d’autres outils ont vu le jour avec pour vocation d’être utilisés dans le cadre de politiques locales de réduction des émissions ou encore afin d’orienter les projets d’aménagement dans les zones concernées.
C’est le cas de SIRANE, un logiciel de modélisation de la pollution atmosphérique capable de prédire la concentration en polluants sur un territoire urbain donné. SIRANE tient compte – entre autres – des caractéristiques urbaines (rue-canyon, etc.), des données météorologiques et de leurs évolutions, ainsi que des processus physico-chimiques qui affectent les polluants étudiés. Il est utilisé dans plusieurs villes françaises : Paris, Lyon, Le Havre, Rouen… et européennes : Milan, Turin et Londres.
A Lyon, c’est en partie sur ce logiciel que se sont appuyés les pouvoirs publics locaux afin de mesurer l’exposition des territoires et des habitants à la pollution et d’estimer l’impact de potentielles actions. Ces données ont permis à l’agglomération de revoir son Plan de Protection de l’Atmosphère en conséquence. Ce dernier compte désormais 35 actions, réparties selon les différentes secteurs à l’œuvre (industrie, résidentiel, mobilités, agriculture et communication). A titre d’exemple, l’une de ces mesures limite la construction d’établissements scolaires et de santé dans les zones polluées de la métropole. L’autre fixe un seuil maximal d’émission de poussières par jour aux infrastructures de traitement des matériaux.
L’eau dans tous ses états
Le rôle des villes et des métropoles est aussi d’être en mesure d’assurer les besoins en eau potable de leurs populations et de développer des stratégies d’adaptation aux stress hydriques extrêmes. Dans le cas précis de la qualité de l’eau, le modèle PEGASE permet d’évaluer celle des eaux de surface. Pour cela, le logiciel s’appuie sur les caractéristiques hydrologiques et météorologiques d’un territoire ainsi que sur les pressions exercées.
Ce modèle a permis de réaliser plusieurs bases de données notamment dans les bassins hydrographiques de la Loire, de la Bretagne et de la Vendée. En Bretagne, le modèle a notamment permis d’estimer la pollution associée aux rejets urbains et activités industrielles et de structurer les actions à engager. Parmi ces mesures, demande a été faite aux industriels dont les activités polluent les masses d’eau de définir et mettre en place des programmes d’actions.
Plus loin de nous, en Inde, c’est l’approvisionnement en eau potable qui est étudié. Ainsi, la ville de Jaipur a servi de pilote pour tester l’outil “Conserve” qui rassemble les données relatives aux ressources aquifères de la ville : consommation, demande, écoulement de pluies, niveau des nappes phréatiques… et sont associées à un éventail de paramètres : variation de population, changement climatique, etc. La finalité est simple, mais essentielle : pouvoir estimer les ressources disponibles, ainsi que la demande par secteurs. Des scénarios sont ensuite produits, qui doivent permettre aux autorités compétentes de gérer durablement la ressource.
Les outils de modélisation participent donc à l’élaboration de réponses pour lutter contre les changements à l’échelle des villes. La multiplication ainsi que la transversalité des défis associés au changement climatique forcent les villes à organiser dès à présent leur durabilité. Pour cela, ces dernières devront également savoir prendre en compte les considérations sociales et démocratiques qui traversent nos sociétés. Si leur échelle leur confère un potentiel d’action intéressant, c’est bien l’articulation de chacune de ces dimensions qui leur permettra d’assurer leur pérennité.