La France a une vraie tradition dans l’arboriculture fruitière. En 2019, le marché national pesait 3,2 milliards d’euros, pour un volume annuel de production de 2,5 millions de tonnes et environ 100 000 emplois directs. Les cultures françaises sont variées, allant de l’abricot, aux pommes, poires, kiwis, raisin ou encore noisettes. Et sont nécessairement tributaires du changement climatique. Mais à quel point ?
Les dernières études scientifiques et autres rapports du GIEC estiment que le réchauffement climatique pourrait atteindre les +1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle d’ici 2030, que le nombre des vagues de chaleur est amené à être multiplié par quatre et que les sécheresses seront deux fois plus fréquentes.
C’est à ce titre que la Fédération Nationale des Producteurs de Fruits (FNPF) a mandaté AXA Climate, l’entité du Groupe AXA dédiée à l’adaptation climatique et environnementale, pour mener une étude sur l’impact du réchauffement climatique sur la production de fruits.
Les risques pour certaines filières pourraient se multiplier
L’étude porte précisément sur 16 cultures fruitières en France (pommes, poires, pêches, nectarines, abricots, cerises, prunes, noix, noisettes, amandes, framboises, myrtilles, cassis, groseilles, kiwis et raisins de table), et a été menée dans 25 départements formant une sélection de zones climatiques représentatives. Au total, cela représente 76 % des surfaces de production française.
En lien avec les agronomes de la FNPF, et basant leur étude sur deux scénarios climatiques du GIEC (un scénario pessimiste (SSP5-8.5) et un scénario réaliste (SSP2-4.5)), les scientifiques d’AXA Climate ont analysé une série d’indicateurs climatiques et leurs effets pour chaque culture, en fonction des différents stades de leur croissance. Nous avons croisé leurs résultats avec quelques analyses réalisées récemment par certains spécialistes en agroclimatologie (on vous recommande chaudement le compte twitter de Serge Zaka sur ces sujets ou son interview dans nos colonnes).
En premier lieu, l’étude montre que dans les 25 départements étudiés, la température moyenne observée en 2030 serait de 13,6° dans le scénario pessimiste, au lieu des 12,4° du scénario de référence (moyenne 1980-2014). Soit une augmentation en moyenne d’1,2°. L’ensemble des zones étudiées verront leur température moyenne annuelle augmenter, certaines régions de façon plus marquée comme la Vallée du Rhône.
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Même constat à la hausse pour les températures maximales estivales qui augmenteront de 1,7° en moyenne et dépasseront les extrêmes historiques. Cette évolution aura des conséquences importantes sur le cycle de croissance des fruits qui souffriront de stress thermique chronique, voire de grillure.
La hausse des températures moyennes nationales est un phénomène déjà en marche. Il est fréquemment documenté par de nombreux scientifiques. “Cette hausse de la température jusqu’en 2050 est inévitable quelque soit le scénario. La température de Nîmes serait celle d’Andalousie voire du Caire, impliquant des modifications profondes des filières mais aussi de nouvelles opportunités agricoles (nèfles, agrumes, pistaches, nouveaux cépages…).” note ainsi Serge Zaka.
L’étude FNPF/Axa Climate pointe par ailleurs que le risque de gelées printanières perdurera en 2030, avec des températures minimales en mars augmentant moins vite (+0,4°) que les températures moyennes. Ainsi 86% des départements étudiés subiront des températures négatives en mars, et 17% en avril.
Gelées printanières, bilan hydrique en baisse et sècheresses accrues
S’ils ont toujours existé, les gels tardifs s’enchaînent ces dernières années. Et lorsque ces épisodes sont très virulents, ou se répètent plusieurs années de suite, les risques pour l’arboriculture peuvent être immenses. Car, à la faveur d’une fin d’hiver douce, les végétaux peuvent débuter leur floraison. Cela concerne en particulier les cultures à floraison précoce comme l’abricot ou l’amande. En 2021 par exemple, le gel printanier d’avril avait été particulièrement sévère sur l’ensemble du pays, détruisant tout ou partie des cultures agricoles et arboricoles, et faisant 4 milliards d’euros de dégâts. 2022 avait également été une année jugée catastrophique par le secteur.
Par ailleurs, l’étude nous indique que le rayonnement solaire augmentera de 4,2% en moyenne sur les zones étudiées (soit +2,3 kW/m2) ce qui pourrait induire des risques de coups de soleil pour les cultures tardives. Le rayonnement a des conséquences directes sur la photosynthèse et la qualité de la production de biomasse.
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En 2030, toujours selon le scénario pessimiste, le bilan hydrique cumulé annuel diminuera de 38% en moyenne dans les départements étudiés, avec de fortes disparités géographiques (-47% dans le Tarn) et une diminution marquée dans le sud-ouest. Mais c’est toute la saisonnalité des pluies qui est en train d’évoluer : nous aurons plus de pluie en hiver et moins en été. Ce sont donc les cultures de printemps qui vont subir de plein fouet ce manque d’eau.
De plus, on constate à la fois une évapotranspiration plus importante (un degré supplémentaire entraîne une augmentation de 9% de l’humidité, rappelle le GIEC), et des épisodes pluvieux plus intenses. ‘Le problème, précise Serge Zaka, c’est qu’en agriculture et arboriculture, on regarde la pluviométrie efficace, c’est-à-dire celle qui pénètre dans le sol. Or, l’évapotranspiration couplée à une forte intensité qui augmente le ruissellement, amènent une perte d’eau pour les écosystèmes« .
La moitié des zones de production considérées comme en risque élevé à extrême en 2030
Avec ces résultats, les scientifiques ont pu conclure qu’en 2030, 45% des zones de production étudiées seront considérées comme à risque extrême ou élevé, contre 22% aujourd’hui. Les principales causes sont les vagues de chaleur et le gel. Ce risque sera très variable d’un fruit à l’autre et d’un département à l’autre.
Pour la culture d’abricots, 60% des zones seront en risque élevé à extrême, principalement à cause du gel et de l’augmentation des vagues de chaleur, contre 28% aujourd’hui.
Même constat pour la culture de pêches, pour laquelle 33% des zones seront en risque extrême, localisées dans le nord de la vallée du Rhône et le Tarn-et-Garonne, contre 4% aujourd’hui. Les zones de production des cultures de pommes en risque faible passeraient de 93% à 51%. Tous les curseurs glissent dans le rouge.
Les climatologues et les agronomes essaient de mesurer précisément les risques de manque d’eau et d’identifier les ajustements nécessaires en termes d’organisation et de pratiques culturales (irrigation, choix de variétés de fruits ayant moins besoin d’eau). « Le changement climatique ne signe pas la fin de l’agriculture et de l’arboriculture indique Serge Zaka, mais bien qu’il faille mettre en place des adaptations nécessaires et anticiper de nouvelles filières de production ».
Ces prévisions incitent à devoir adapter l’existant dans la mesure de qui est réalisable. Une meilleure gestion de l’eau notamment ainsi qu’une meilleure conservation des sols sont deux axes pertinents à suivre. Mais elle induisent surtout une évolution profonde à venir des systèmes culturaux avec de nouvelles variétés et espèces qui verront le jour en France.