L’augmentation des températures qui est à l’œuvre depuis plusieurs dizaines d’années impacte déjà la filière du vin. La floraison de la vigne intervient plus tôt que par le passé, la période de récolte aussi et le vin est plus fort en alcool. Ce constat n’annonce rien de bon puisqu’il est prévu que les températures continuent leur hausse dans les années à venir. Et ce même dans les scénarios les plus optimistes.

Face à ces observations, la filière viticole a décidé de se protéger en préparant une stratégie d’adaptation au changement climatique. C’est précisément ce plan qui a récemment été présenté au Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation le 27 août 2021.

La préoccupation de la filière vitivinicole pour le changement climatique n’est pas nouvelle. Dès 2012 l’INRAE a lancé un programme (LACCAVE) visant à réunir les recherches françaises sur l’adaptation de la filière au changement climatique. Ce fut d’ailleurs un franc succès puisque plus de 600 partenaires y ont contribué. En 2017, alors que la maison Taittinger plantait ses premiers ceps en Angleterre, les différents acteurs de la filière (le Conseil spécialisé Vin de FranceAgriMer, les comités nationaux AOP et IGP du vin de l’INAO, l’IFV) ont joint leurs forces pour mettre sur pied un groupe de travail visant à centraliser les résultats obtenus par l’INRAE et à écrire une feuille de route. 

Afin d’établir un plan clair et réalisable, un protocole de concertation a vu le jour. Celui-ci doit permettre de recenser les actions réalisées, en cours, ou envisagées par les organisations professionnelles de 10 bassins viticoles pour permettre au secteur de se conformer au cap fixé. Le groupe de travail a répertorié plus de 790 actions. La stratégie présentée au ministre en comprend 40, elles sont réparties sur 7 domaines jugés primordiaux pour préparer la filière aux changements à venir. 


Une stratégie structurée autour de 7 domaines d’actions prioritaires. 

Afin de mieux s’adapter au changement climatique, la filière envisage en premier lieu d’améliorer sa connaissance des zones viticoles afin de ne pas être prise de court par les bouleversements induits par le réchauffement de la planète. Cela passe par le développement de la cartographie et la création d’une nouvelle ingénierie climatique. Pour développer la cartographie, les acteurs du vin souhaitent améliorer la collecte de données. Il est prévu de mettre en place un réseau de stations météo visant à mutualiser les informations. Le rapport prend en exemple VitiData, une plateforme collaborative qui permet de simplifier le traitement et l’analyse des données.

Un des objectifs est aussi d’agir sur les conditions de production. Puisqu’il ne sera plus possible, à l’avenir, de continuer à produire le vin de la même manière qu’aujourd’hui. Cette section du programme aspire à prendre les devants sur la question.

La stratégie s’articule autour de trois idées majeures. La première consiste à assurer une gestion économe de l’eau tout en développant une méthode pour gérer les potentielles situations de stress hydrique (nouvel usage de la canopée par exemple). La deuxième idée consiste à développer le stockage de l’eau pour permettre à tous les territoires d’y avoir accès. La troisième n’est pas une solution pratique mais demeure essentielle puisqu’il s’agit de poursuivre les travaux de recherches et développement déjà en cours. Les sujets à creuser sont nombreux : modélisation de l’écosystème vigne, principes de l’agroécologie appliqués aux vignobles, expérimentation de stratégies sèches. 

un vignoble


Le groupe de travail a également ciblé le développement d’un matériel végétal adapté. Reconnu par les équipes du rapport comme le levier le plus puissant pour adapter la vigne à une augmentation des températures et au stress hydrique, cette idée concentre beaucoup d’espoir. Son aboutissement permettrait aussi d’éviter de produire des raisins devenus trop riches en sucre sous l’effet de la hausse des températures. Concrètement, on entend par matériel végétal une vigne capable de résister au changement climatique. Celle-ci est obtenue par le travail conjoint des vignerons, des pépiniéristes et des chercheurs. 

Il ne suffira pas d’agir sur la vigne pour assurer le maintien de la qualité de nos vins. La hausse des températures altère le raisin en le rendant plus sucré. Le vin devient aussi plus fort en alcool. Selon les membres de la filière viniculture (ensemble des opérations d’élaboration du vin) il est primordial de modifier les pratiques œnologiques.


Anticiper permettra aussi d’apaiser les marchés.

Ainsi, il est jugé nécessaire de réaffirmer la spécificité du vin pour éviter qu’il soit assimilé au secteur de l’agroalimentaire. Cela signifie que si le vin doit être modifié, ces altérations doivent se faire par des traitements physiques ou biologiques et non par l’usage d’additifs alimentaires. Ensuite, le réchauffement rendant les vins plus chargés en alcool, il pourrait être judicieux de modifier le protocole de désalcoolisation du vin afin de permettre de désalcooliser des crus au-delà de la limite actuelle (fixée à 20%). La réflexion est la même pour l’acidification. 

La dimension économique n’est pas oubliée puisque l’un des domaines d’action concerne l’avenir des marchés. Puisque la crise climatique est amenée à modifier les vins, les marchés sont voués à être perturbés. Les produits vendus ne seront plus exactement les mêmes. Rien ne dit que les bouteilles de vin seront aussi facilement disponibles qu’aujourd’hui.

Toutes ces raisons doivent pousser les acteurs du vin à travailler sur différentes pistes. La première d’entre elles consiste à repenser les conditions de travail des hommes sur la vigne (horaires, protections, développement de nouveaux outils). La deuxième porte sur le renforcement de la couverture des exploitations par des assurances multirisques. Et la dernière concerne le soutien financier des dispositifs antigel, anti grêle ou de lutte contre la sécheresse. Pour cela, l’aide des pouvoirs publics sera essentielle. 

Verre de vin sur un tonneau dans un cave


S’adapter pour pérenniser l’excellence du vin français.

Le sixième domaine d’action touche à la recherche et au développement. Il s’agit de continuer les efforts dans cette branche en associant les acteurs de la filière mais aussi des consommateurs, des citoyens, des acteurs publics et des territoires. 

Enfin le dernier domaine identifié par le groupe de travail peut apparaître comme tautologique mais comprend bel et bien une partie des solutions pour assurer un avenir à la filière. Il est question de contribuer à l’atténuation du changement climatique. Comme dans bien d’autres secteurs cela revient à réduire les émissions de CO2 de la filière vin (utiliser moins de carburant fossile notamment) en France et à favoriser la captation de ces émissions par les sols. Il est aussi envisagé d’accélérer l’écoconception des bâtiments et des caves. Des indicateurs d’empreinte carbone sont appelés à être élaborés, ce qui permettra d’identifier les pratiques responsables et de participer à la stratégie nationale bas carbone. Enfin, la filière pense aussi à réduire l’empreinte carbone du conditionnement des vins (consignes, vin au verre écoconçus, choix de matériaux en tenant compte de la gestion de leur fin de vie).

Sous l’impulsion du changement climatique, le secteur du vin et toutes ses composantes sont amenés à connaître de grands chamboulements. Le premier réflexe pourrait être d’être craintif face aux changements à venir. On pourrait à priori craindre que les propositions énoncées plus haut pervertissent la pureté de ce fleuron français. En réalité le travail de la filière vitivinicole vise précisément à sauvegarder ce qui fait des vins français une référence mondiale en proposant des mesures d’action avant que la situation ne devienne trop compliquée pour agir. 

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