Le marché de la fibre de carbone connaît un très fort développement ces dernières années. La fibre de carbone est un matériau qui permet à certaines industries comme l’aéronautique, l’automobile haut de gamme ou l’éolien de fabriquer des pièces plus légères et très résistantes (en l’assemblant généralement à d’autres composants pour donner ce qu’on appelle un matériau composite).
Ce matériau performant, aujourd’hui essentiel dans les process de ces industries, gagne de nombreux autres secteurs comme le bâtiment ou les équipements sportifs, et les volumes de production sont donc en forte hausse (environ 120 000 tonnes en 2022).
De par sa résistance et sa grande légèreté, la fibre de carbone a une dimension vertueuse dans ses applications. En effet, elle permet de fabriquer des avions ou des voitures nécessitant moins d’énergie lors de leur utilisation, ou par exemple de développer des pâles d’éoliennes plus grandes permettant de produire davantage d’électricité.
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Un recyclage à faible impact
Cependant, produire de la fibre de carbone est très énergivore, ce qui engendre un coût final du matériau élevé et un réel impact environnemental. Mais surtout, la conséquence directe des qualités de la fibre de carbone en font un matériau dit avancé, et donc complexe à recycler. En effet, la fibre de carbone résiste aux techniques traditionnelles du recyclage industriel – par traitement thermique ou chimique tels que la solvolyse ou la thermolyse – techniques qui ont même un coût environnemental supérieur à la production du matériau neuf.
C’est pourquoi aujourd’hui la grande majorité des déchets et rebuts en fibre de carbone sont enfouis dans les sols alors même qu’ils ne sont pas biodégradables. Le recyclage et la valorisation de ces déchets est un défi capital pour l’environnement, et revêt un intérêt énorme pour les industries qui l’utilisent.
C’est précisément dans ce domaine que Fairmat est spécialisée. La jeune start up, lancée fin 2020 par Benjamin Saada, va plus loin que les méthodes actuellement employées par la filière. Jusqu’ici, on recyclait par broyage, ce qui faisait perdre au matériau toutes ses propriétés. Ce qui empêchait sa revalorisation. Fairmat propose en effet un nouveau procédé de recyclage mécanique par découpage qui transforme les chutes de production et les déchets en petits morceaux de quelques centaines de microns d’épaisseur, grâce à une technologie robotisée basée sur l’IA et l’apprentissage.
Ainsi, environ 70% des qualités de base du matériau sont récupérées. Ce qui va permettre, après une phase de réassemblage, de créer un nouveau matériau recyclable 5 fois, d’une durée de vie de 20 ans, et jusqu’à 10 fois moins cher que le composite neuf, d’après Benjamin Saada.
Par ailleurs, ce tout nouveau procédé n’utilise que peu d’énergie car il ne cherche pas à séparer la résine des fibres de carbone. Il émet ainsi très peu de CO2 poursuit le fondateur. Fairmat apporte donc une solution de recyclage doublée d’une solution de revalorisation qui n’a presque pas d’impact en termes d’émissions de CO2, et qui permet d’offrir une seconde vie à ces matériaux avancés.
Des nouveaux besoins sur des nouveaux marchés
Le nouveau matériau, obtenu à partir de rebuts et de déchets variés, à en fin de process une qualité standard homogène. Et est surtout bien moins cher. Il pourra donc répondre à la demande croissante de marchés plus vastes que ceux des industries de pointe. Des secteurs avec des productions en série et aux volumes importants, et pour lesquels se fournir en fibre de carbone neuve n’était envisageable ni en terme de coût, ni en terme d’empreinte environnementale.
« Il n’est pas question de produire des avions ou des éoliennes en composite recyclé. En revanche, dans tous les (autres) secteurs, il faut se poser la question : est-ce que le sacrifice environnemental en vaut vraiment la chandelle ? » confiait Benjamin Saada dans les colonnes de Challenges.
C’est le cas par exemple du secteur de l’automobile. En effet, jusqu’ici seules les marques de luxe, les hypercars ou la Formule 1 pouvaient embarquer de la fibre de carbone. Demain, c’est possiblement une grande partie de cette industrie qui pourra être adressée et qui bénéficiera des performances du matériau. De la même manière, les équipements de sports et de loisirs, les biens électroniques, le mobilier urbain ou les autres mobilités sont des marchés ayant montré un fort intérêt.
Si démocratiser l’usage des matériaux composites semble être une bonne idée du point de vue des performances de la fibre de carbone, ça l’est bien davantage s’il s’agit de matériau recyclé, et si les filières de recyclage et de valorisation des déchets et rebuts sont en place.
Une filière de l’économie circulaire du carbone
Après une première levée de 8,6 millions d’euros en septembre 2021, Fairmat a bouclé en novembre dernier un tour de table de 34 millions d’euros afin d’accélérer. Dans le même temps, la start up a inauguré sa nouvelle usine à Bouguenais près de Nantes. L’objectif est de passer la capacité actuelle de traitement de 200 tonnes de matériaux recyclés par an à 3 500 tonnes.
Sur le même rythme, l’entreprise souhaite faire évoluer ses effectifs de 80 jusqu’à 400 salariés à terme, et investir dans cette usine pilote de Bouguenais entre 7 et 10 millions par an sur les trois prochaines années. Une internationalisation est à venir prochainement, avec une implantation des process de production développés à Bouguenais vers les Etats unis notamment.
L’entreprise collecte aujourd’hui les matériaux composites issus d’industries comme l’aéronautique ou l’énergie. “Nous travaillons actuellement avec une trentaine d’acteurs, partout en Europe, tels que Dassault ou Hexcel, qui est le leader de la fabrication de fibre de carbone. Au total, nous collectons 35 % des déchets de fibre carbone à l’échelle du continent”, assure le dirigeant.
Le développement d’une filière de recyclage et de valorisation de la fibre de carbone peu émettrice est évidemment une très bonne chose. Mais cela ne doit pas pour autant faire oublier les principes d’éco-conception en amont des chaînes de production. Des recherches sont par ailleurs en cours pour développer une fibre de carbone qui serait produite à partir de matériaux biosourcés.
Image illustration Crédits Fairmat