Joone est ce qu’on appelle une marque DTC pour Direct to Consumer, ou marque DNVB, pour Digital Native Vertical Brand. Ces deux acronymes récents et très proches illustrent une tendance qui peut se définir par une utilisation du web pour contourner les distributeurs traditionnels et adresser ainsi ses clients directement. Les deux piliers des marques dites DTC ou DNVB sont que les achats ou les abonnements s’effectuent quasi uniquement sur le site du vendeur, et leur communication et promotion passent par une utilisation massive des réseaux sociaux.
La promesse de Joone est de produire des couches saines sans lotion, sans chlore, glyphosate ou autres perturbateurs endocriniens. Le tout Made in France. La jeune start up s’est ainsi hissée en tête du classement 2018 du test de couches bébé de 60 Millions de consommateurs grâce à la qualité de son produit phare.
Mais Joone va plus loin dans son approche du business. Tout d’abord on ne peut acheter les couches Joone que sur le site de la maque, Joone.fr. Et, parfaitement incarnée par sa fondatrice Carole Juge-Llewellyn, la marque donne une place centrale au consommateur. Un des secrets du succès de Joone a été de miser sur la transparence et de donner aux consommateurs toutes les informations sur la production et la composition de ses produits. Ainsi avec la publication des analyses toxicologiques de ses couches (une première mondiale), la jeune pousse a frappé un grand coup et bouscule les codes d’une industrie plutôt opaque jusqu’ici. Le tout via les canaux du web d’aujourdhui et
Même stratégie en ce qui concerne la communication de l’entreprise. Joone a décidé de continuer à s’adresser à ses communauté de manière innovante et engagée avec un film de marque sorti cette année. Véritable court métrage de 2 minutes réalisé en stop motion, Joonerise Kingdom nous emmène dans le processus de création d’une couche Joone au travers d’un univers féerique.
Et prend à contre pied une nouvelle fois les codes de l’industrie qui fait généralement apparaître bébés et/ou parents dans ses communications :
Avec un chiffre d’affaires qui dépasse le million d’euros en 2018 et une croissance mensuelle de 10%, Carole Juge-Llewellyn fait partie de ces nouveaux visages de l’industrie française qui changent les règles du jeu tout et créent des identités de marques fortes en étant résolument orientés consommateurs et en s’affranchissant des modèles de distributions conventionnels. Un de ses premiers combats a été de mettre en place des standards élevés de production pour son entreprise. Mais la femme d’affaire ne s’arrête pas là. Forte du succès grandissant de ses couches saines, elle espère entraîner avec elle l’industrie vers un capitalisme raisonné.
Engagements, attentes du consommateur, punchlines bien senties et projets futurs, rencontre avec Carole Juge-Llewellyn, une femme ambitieuse et optimiste.
Retrouvez ci dessous l’interview complète de Carole Juge-Llewellyn :
- Transparence et standards élevés comme piliers du business model
- Entraîner le marché vers un capitalisme sain et raisonné
- Tirer l’industrie vers le haut
Les Horizons : Est-ce que tu peux nous présenter Joone ?
Carole Juge-Llewellyn : Joone c’est une marque qu’on a lancé il y a 1 an et demi qui fait du family care. Principalement des produits d’hygiène, dermo cosmétique et textile pour l’enfant et pour la famille. On a lancé la marque pour pouvoir répondre aux inquiétudes et aux angoisses des parents qui avaient beaucoup de questions sur la façon dont étaient fabriqués leurs produits, la composition de ces produits. On s’est dit que cela ne pouvait pas durer, qu’il fallait qu’on amène la transparence au cœur du débat. Et je pense qu’en un an et demi on a vraiment réussi à mettre le mot transparence au cœur de notre industrie et on en est très fiers.
Concernant le modèle économique, tu te rapproches des boxes à abonnement que l’on voit beaucoup dans la cosmétique par exemple ?
Non, ce n’est pas une box. L’idée c’est qu’il n’y a pas une façon unique d’élever son enfant. Le but c’est d’être hyper flexible. Le parent règle lui-même le curseur de sa récurrence. Notre job c’est de répondre au mieux aux attentes des parents, et derrière pouvoir leur offrir le meilleur produit, le meilleur service qui soit.
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Peux-tu nous parler de l’aspect communautaire que vous avez réussi à créer autour de la marque ?
C’est très lié à la raison pour laquelle on a lancé la marque. On ne s’est pas dit « tiens on va faire un produit ! », on s’est d’abord demandé « de quoi ont besoin les parents ? » Et à partir du moment où tu te places du côté du consommateur, en essayant de répondre à un problème que les consommateurs ont vraiment, ça change la donne. A partir du moment où tu mets ton consommateur au centre du débat, tout change. Car d’un seul coup tu vas créer des produits en essayant de répondre à ces besoins.
Aujourd’hui on a une communauté qui est hyper active, qui parle beaucoup des produits qu’on fabrique pour eux, mais également de ce qu’ils aimeraient qu’on fabrique. On est la seule marque monde qui fait à la fois des produits d’hygiène, de la cosmétique et du textile. Personne ne fait les trois. Et on est capable de faire ça non pas parce que nous sommes des génies du marketing, mais parce qu’on est très en lien avec notre communauté. Sans penser à une logique de marque ou économique, on se base avant tout sur la communauté.
Transparence et standards élevés comme piliers du business model
Justement, quels sont tes engagements, et qu’est-ce qui te différencie de tes concurrents ?
C’est principalement notre engagement pour la transparence. On est sur un marché qui est extrêmement tendu : c’est quand même 3 milliards et demi de couches par an en France, et c’est presque 1 milliard d’euros de volume rien qu’en France. Donc c’est énorme. La plupart des gens qui se sont lancés dans le marché viennent de l’acteur historique, et donc reproduisent un peu les choses qu’ils ont toujours vu et su faire. Moi je me suis lancé en ne connaissant rien du tout au marché de la couche. On a regardé, on a appris et on a donc amené un regard différent.
Typiquement, concernant l’engagement sur la transparence, on a été à la première marque au monde à publier les analyses toxicologiques de nos produits. Ça paraît très bête, ça paraît très simple, mais en fait la législation dans le domaine de l’hygiène n’est pas du tout comme dans le domaine de la cosmétique par exemple. À l’heure actuelle sur la couche on n’a pas d’obligation de donner la composition du produit ni le lieu de fabrication, on a pas l’obligation de fournir les analyses toxicologiques du produit. Nous, on élève le standard, on s’impose un standard directement. On n’a pas attendu que quelqu’un nous dise comment doivent être les standards. On s’est dit qu’on allait mettre le standard là-haut, et après, si les autres veulent venir sur ce standard alors tant mieux. Et c’est vrai qu’à cet égard le rapport de l’Anses recommande exactement d’apporter les modifications qu’on a décidé d’apporter il y a un an et demi.
« Pendant des années le consommateur n’a pas eu accès à l’information sur la composition des produits »
Peux tu nous en dire plus sur ces standards ?
L’engagement de n’avoir aucune trace de chlore même élémentaire à l’intérieur des couches, le fait de ne pas avoir de parfum ni de lotion, le fait de contrôler ses matières premières et de contrôler au mieux les protocoles de fabrication. On a été à en-tête de l’étude INC (Institut national de la consommation) et 60 millions de consommateurs parce qu’on était sans glyphosate, sans composés organiques volatiles, sans dioxyde, sans HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques, NDLR), et avec en même temps des performances techniques super bonnes. Parce que ce n’est pas tout de faire un produit sain, mais il faut aussi qu’il soit performant. Et ça, on le fait simplement en appliquant des protocoles et standards et de qualité qui n’existent pas dans ce marché.
Étonnant qu’en 2019 la loi ne dise rien sur des produits pour bébés. Les consommateurs sont demandeurs pourtant ?
C’est pareil pour les protections hygiéniques féminines où il y a très peu de législation. La même étude de l’Anses l’année dernière a démontré qu’il y avait des traces de glyphosate et que non ce n’était pas du coton mais des fibres. Et ça ce sont des choses que le consommateur ne sait pas car pendant des années, il n’a pas eu accès à cette information. Le problème c’est justement de donner l’accès à cette information et donc de dire aux consommateurs « voilà le produit qu’on fabrique, voilà ce qu’il y a dedans » et qu’ainsi le consommateur soit éclairé. Et qu’il fasse un choix derrière en son âme et conscience et ne pas simplement se baser derrière un label. Et que se cacher derrière un label ça ne suffit plus il faut l’accès à la transparence et à l’information.
Entrainer le marché vers un capitalisme sain et raisonné
Et du coup pourquoi ne pas créer un label qui entraînerait l’industrie avec toi ?
En fait on est déjà en train de changer l’industrie juste en se focalisant sur comment faire des produits de qualité. Créer un label c’est une dynamique qui est un peu plus politique. Moi, mon but c’est vraiment de rester au plus proche de ce que demande la communauté, d’être au maximum en lien avec la communauté. Et de défendre après au niveau économique ce cercle vertueux. Je pense que c’est très important de démontrer qu’on peut avoir un capitalisme sain, c’est possible, c’est faisable. C’est pour ça qu’on fait partie d’associations patronales car on veut montrer qu’on peut avoir une boîte qui fonctionne qui fait des choses de la bonne manière, ce n’est pas antinomique. C’est important que ce modèle vertueux, que ce soit le nôtre ou celui d’autres entreprises, grandisse et prenne tellement de place sur le marché qu’on ne pourra plus ignorer qu’on peut avoir un capitalisme raisonné et sain. Et une fois que cela aura une place assez importante, cela fera changer les autres.
Tu essayes de suivre le même mouvement que les applications comme Yuka ou QuelCosmetic d’UFC Que choisir, qui consistent à donner de l’information au consommateur sur la composition des produits ?
Nous, à la différence de ces applications comme Yuka qui sont très bien et qui soulèvent un problème, on soulève un problème et on apporte la solution. Nous, on est en dehors de toute approche politique pour dire qu’il y a un problème. Ainsi, on vous apporte une solution afin que vous soyez conscients que ce que l’on fait, ce n’est pas du bullshit pour vendre plus. C’est un vrai engagement que l’on a pris et c’est pour ça qu’on fait des « Insta live » depuis nos usines par exemple. C’est pour ça qu’on met des photos de nos usines en ligne, on publie les analyses de nos produits, on explique la liste INCI (“International Nomenclature of Cosmetic Ingredient”, c’est la composition précise de ce qui se trouve dans le produit, NDLR), car il faut expliquer aux consommateurs.
Au-delà de dire que le produit est bon, on va aller un cran au-dessus et expliquer à quoi sert tel composant. Ça, c’est hyper important car en tant que mini-industriel on le sait, mais il faut également donner cette information aux gens, car si ça n’est pas nous qui la donnons ils vont aller la chercher quelque part sur Internet et ça sera pas forcément une information qualifiée et ne s’appliquera pas forcément à nos produits. Donc au final il va y avoir un amalgame alors que le but c’est que cette transparence soit dirigée vers le consommateur.
Donc l’enjeu c’est que le consommateur s’empare lui-même du sujet ?
Exactement. On essaie de développer au maximum avec eux, on leur pose des questions, on essaye de les mettre au cœur. Ce qui ne veut pas dire qu’ils décident de tout. Mais le fait de les impliquer dans la conception et la fabrication de nos produits est une force pour nous.
On a des moyens de communication très forts : on a un chat sur le site, on a Facebook, Instagram, Twitter, Snapchat, on a WhatsApp… Pour ne pas communiquer avec nous il faut vraiment y aller (rires) ! Nous notre but c’est de construire et de faire grandir ces cercles vertueux de manière hyper organique.
Tu parlais tout à l’heure des protections hygiéniques féminines. C’est un marché que vous visez chez Joone ?
C’est un projet que certains parents nous ont demandé d’avoir. À titre personnel je trouve que c’est un projet hyper intéressant, mais en fait le tampon pose un peu plus de problèmes car il y a un risque de choc toxique qui existe. Donc je ne serais pas très à l’aise à l’idée de prendre position sur le produit. Mais en tout cas notre but, c’est de faire des produits sains, pas juste parce qu’il y a une demande. On est jamais opportunistes en se disant qu’il y a un marché incroyable, qu’on a déjà la communauté et donc qu’on va pouvoir le revendre. Ça n’est pas du tout notre but. Mais c’est vrai que c’est un produit qui est intéressant sur lequel il y a beaucoup de demandes. Mais il y a des boîtes qui se sont déjà lancées sur ce marché et qui font ça très bien.
Et côté production, tu arrives à suivre, car tout est Made in France ?
Oui tout est made in France. D’un point de vue production, c’est pas tant le volume, c’est surtout la croissance. Car on a une croissance à deux chiffres, tous les mois. Donc forcément, d’un seul coup ça prend de la bande passante un peu à tout le monde. Mais on suit bien, et surtout on suit bien en maintenant des standards de qualité très élevés. Parce que suivre pour suivre et réussir à grandir en disant que maintenant on fait des produits moins bien, c’est exactement ce que l’on veut pas. Nous on veut faire de la gastronomie pour toute la cantine on ne veut pas faire de la gastronomie pour deux personnes. C’est donc important de pouvoir rester sur de la top qualité tout en « scalant ». C’est un cercle vertueux, c’est faisable. Il faut juste accepter de se dire qu’il faut que ça soit bien fait à tous les maillons de la chaîne et on ne dérogera pas là dessus. Il n’y aura pas de compromis.
On a également vu que tu avais développé un partenariat avec une maternité, c’est un de vos axes de développement ?
Oui en effet, on a toujours eu beaucoup de demandes de la part de maternités, mais on n’avait pas de quoi répondre à cela car on était vraiment focus sur notre communauté de parents. Et c’est vrai que produire pour des crèches et des maternités c’est pas le plus évident. D’autant plus que ce sont des marchés qui ont été assez cooptés durant de nombreuses années par des gros acteurs qui appliquaient des prix très bas. Il y a un vrai travail d’éducation à faire pour leur faire accepter le véritable prix d’un produit sain. C’est un vrai engagement de leur part d’accepter de payer plus cher un produit de meilleure qualité. Et c’est pareil pour les crèches. À l’heure actuelle on est partenaire d’une trentaine de crèches. Il y a maintenant beaucoup de groupes de crèches qui nous contactent car ils ont envie de passer sur des meilleurs produits. Et donc maintenant on a tout ce travail-là de discussions et de négociations avec eux pour leur dire : « notre produit est différent, il est fait en France, la qualité est top. Donc forcément ça sera plus cher ».
Tirer l’industrie vers le haut
Mais tu n’as pas peur que cela puisse créer un marché à deux niveaux, Avec des gens qui ont les moyens de payer cher pour les couches qui sont mieux pour les enfants, et les autres ?
Non car je pense que le marché va être tiré vers le haut. Typiquement quand on était tous chez le ministre la semaine dernière, le fait de demander d’élever le standard de parler des compositions etc., c’est une demande qui vient d’en haut. C’est une demande qui finira par arriver en termes réglementaires, et ça tire le marché vers le haut. Donc la phase de transition fait que pour le moment, il y a un peu un double standard, parce qu’il y a le “pas-de-standard” et le standard Joone. Mais clairement l’industrie va se tirer vers le haut et va amener une réglementation plus forte. Comme on a pour la cosmétique par exemple. Le fait de réglementer n’a pas tué toutes les marques, au contraire, c’est un marché qui est en plein essor. Il va se passer la même chose pour les couches et l’hygiène. Je suis très optimiste.
Tu disais que vous étiez en rendez-vous avec plusieurs ministres ?
Oui on (les fabricants et distributeurs de couches, NDLR) était en rendez-vous à Bercy avec le ministre de la transition écologique, le ministre de l’économie et des finances et la ministre de la santé.
« C’est important que ce modèle vertueux grandisse et prenne tellement de place qu’on ne pourra plus ignorer qu’on peut avoir un capitalisme raisonné et sain »
Donc tu fais un peu de politique quand même alors ?
Suite au rapport de l’Anses, ils nous ont convoqué pour nous demander qu’on s’engage sur quelque chose. Et la prochaine étape sera de mettre en place des réglementations. Nous, on est 100 % pour. Depuis le premier jour on milite pour une réglementation plus forte. Mon deuxième combat sera de militer pour la baisse de la TVA. Parce que 20 % de TVA sur un produit de consommation quotidienne, ce n’est pas possible. On peut choisir de ne pas avoir d’enfants, mais on ne peut pas choisir de ne pas lui mettre de couches. Autant, je me tiens éloignée de tout l’aspect politique de la discussion du moment sur la TVA, mais la TVA sur les couches, depuis le début c’est un sujet. Et ça doit rester un sujet tant que la TVA n’aura pas été baissée.
Il existe des incohérences comme cela sur le marché. Et notre but c’est de dire OK il y a une incohérence mais l’idée c’est de regarder ce qu’on peut faire de mieux ne pas se focus sur ce qui a été mal fait. Rester focus sur ce qui a été mal fait, c’est négatif, c’est punitif et ça n’apporte rien de bon. Il y a des choses qui n’ont pas été faites de la bonne manière, soit. Mais maintenant regardez comment on peut les faire mieux.
En tout cas ton message positiviste est intéressant et inspirant…
J’en suis ravie ! J’espère vraiment qu’on va avoir gain de cause et réussir à démontrer qu’on peut faire les choses bien. Ça peut marcher et ça peut faire de l’argent. On est une force motrice, j’espère qu’on va tirer, qu’on va réussir à tirer l’intégralité du marché et l’industrie vers cette réalité là. Et je n’en doute vraiment pas. Car les gens de notre génération commencent à être hyper sensibilisés mais les vrais millennials, derrière, ceux qui ont 20 ans aujourd’hui, eux, ils veulent consommer mieux.
Un mot pour conclure ?
Je pense au fait que ça réussisse à faire bouger les grands. OK ils bougent doucement et parfois c’est un peu de la politique ou du marketing, mais ils bougent ! Et réussir à faire bouger un grand… Le moment où vous avez un gros acteur qui dit « j’accepte de faire comme fait la petite start-up », c’est quand même un grand moment. Je pense qu’on peut réussir à faire ça dans différents marchés. Il faut être courageux parce que ça n’est pas simple (rires) !
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