Il y a 3 piliers à l’économie circulaire. L’un d’eux, c’est d’améliorer le recyclage et il existe pour cela de plus en plus d’entreprises en France qui proposent des initiatives afin de limiter ce problème. Mais, avant de parler de recyclage, les deux enjeux les plus importants se situent en amont. Il s’agit de mieux consommer. Et avant de mieux consommer, il faut mieux produire. C’est à dire de manière plus durable et plus éthique.
Beaucoup d’entreprises, tout secteur confondu, sont aujourd’hui confrontées à cette problématique. Quatre d’entre elles, AVN et Clear Fashion (engagées dans le textile et la mode), Le pavé parisien et POI sont venues témoigner au Web2Day 2019 sur leur engagement pour une production et une consommation durable. Ces jeunes entrepreneurs s’exprimaient sur les enjeux et les limites de nos sociétés et sur l’impact du numérique pour répondre à ces problématiques.
La transparence, problème et solution pour une consommation durable ?
Le premier constat de ces entrepreneurs engagés, c’est que les sujets liés à la consommation responsable sont entrain d’émerger de manière durable. « C’est venu d’abord sur des aspects liés à notre santé, c’est à dire l’alimentation, avec l’émergence du bio, des productions locales et des circuits-courts », précise Marguerite Dorangeon, de Clothparency « mais petit à petit, cela s’étend sur d’autres secteurs comme celui de la mode qui a un impact très fort sur l’environnement. » Un constat partagé par Arthur Cochin, co-fondateur de l’Atelier de la Venise Normande, une marque de textile qui propose le 1er jean 100% fabriqué en France grâce à des matières recyclées. « Il faut montrer au consommateur toute la chaîne de production, qu’il puisse prendre conscience et visualiser l’impact réel de ce qu’il achète ».
La transparence, c’est en effet l’un des mots qui revient le plus souvent lorsqu’on aborde les sujets de consommation responsable. Le manque de transparence amène en effet son lot de dérives sociales et environnementales. Elle crée aussi une défiance des consommateurs qui ne savent plus ce qu’il faut croire. « Les consommateurs cherchent à faire des achats éclairés, mais ils n’ont pas les informations pour cela. Le Greenwashing est très présent et les labels sont souvent trop complexes » précise Marguerite Dorangeon.
Un point sur lequel renchérit le fondateur de la marque Le Pavé Parisien, qui insiste sur les attentes des consommateurs vis à vis des marques responsables. « Aujourd’hui, 43% des consommateurs quittent une marque parce qu’elle n’est pas en adéquation avec leurs convictions. Et les marques les plus en croissance, ce sont celles qui ont un aspect durable/éthique plus fort. » Pour une marque, il faut donc diminuer ses impacts négatifs pour pouvoir conserver ses utilisateurs et sa croissance.
Mais pour cela, il faut aussi avoir des outils qui permettent de le mesurer. C’est ce que propose Allan Floury, co-fondateur de POI, une application qui mesure et valorise l’impact social et environnemental de nos actes quotidiens. « Les marques ne peuvent plus se contenter de faire du déclaratif ». L’acte responsable doit être mesurable et quantifiable.
De la difficulté à être maître de sa chaîne de production
Mais la vraie difficulté c’est avant tout dans la production. Car maîtriser l’intégralité de sa chaîne est compliqué. Et surtout, il faut être en capacité de gérer le savoir-faire, comme le précise Arthur Cochin. « Chez AVN, on utilise du lin qui pousse en France, mais on doit le faire traiter en Europe de l’Est car il n’y a plus le savoir-faire ici. C’est donc primordial de faire revenir nos savoir-faire localement si on veut réduire nos impacts environnementaux ». Et ne pas penser qu’à la production, comme le précise la co-fondatrice de Clothparency « la localisation de la chaine de production doit aussi être raisonnée, il faut moins de transports et des transports moins impactants. Aujourd’hui, en moyenne, un T-shirt parcours 40 000 kilomètres dans son cycle de production ». Sans oublier la distribution. Ce qui, dans le secteur de la mode, reviendrait par exemple à limiter le nombre de collections par an.
Cependant, est-ce que les consommateurs vont suivre ? Aujourd’hui, oui, pensent en coeur les intervenants du Web2Day. « Aujourd’hui, seuls 13% des produits textiles sont recyclés en France. Mais cela augmente ». Il y a de plus en plus de sites et applications pour la seconde main par exemple. En fait, pour Pierre-Axel Izerable, la question n’est pas tant de la durabilité que de la qualité des produits. « Le consommateur achète d’abord pour la qualité du produit. Ensuite, l’aspect durable, le made in france, etc, c’est juste du baume au coeur ». Un sujet partagé part Arthur Cochin pour qui le consommateur n’a plus l’habitude d’acheter des produits qui vont durer à cause des prix qui sont à la baisse. Or, « de plus en plus de consommateurs sont aujourd’hui prêt à payer plus cher pour un jean s’ils savent que celui-ci va durer 5 ans ».
On touche ici à la limite de la production responsable. Car tous les consommateurs ne peuvent pas se permettre de payer un produit deux ou trois fois plus cher que le marché. Et pour les producteurs durables, la question de la scalabilité est un frein au développement. « La production de masse génère plus de marge qu’un petit producteur. Il faut avoir conscience de cette réalité de marché car on ne peut pas être trop radical dans la production si on veut produire à l’échelle. »
« Il faut sortir de la culpabilisation et de l’anxiété si on veut réellement réussir la transition »
Évidemment, ces sujets sont complexes et il nous faudrait plus d’un article pour les retranscrire, plus d’une conférence pour les raconter. Cependant, s’il est un message que nos jeunes entrepreneurs sont venus porter sur la scène du Web2Day, c’est qu’il faut être positif et croire aux changements qui sont à l’oeuvre aujourd’hui. Comme le précise Pierre-Axel Izerable, « les entrepreneurs aujourd’hui sont tous des entrepreneurs à impact. Plus personne veut devenir Coca-Cola. L’impact, il se trouve dans l’ADN de la nouvelle génération ». Le constat partagé, c’est que face à l’urgence climatique et face à la pression de la société civile, la performance économique s’amenuise. L’impact environnemental et social vient bouleverser les normes et les KPI.
Même si pour Allan Floury, « ce n’est pas tant une question de génération qu’une question d’époque, car on se challenge les uns, les autres, et la génération qui grandit avec l’urgence climatique, elle pousse les autres à agir avec elle ». Un point sur lequel Marguerite Dorangeon rebondit « les marques plus anciennes ont conscience que l’impact environnemental et social, c’est le futur, et qu’elles vont devoir faire des efforts, et qu’elles doivent le faire dès maintenant ». Evidemment, les manières d’agir sont encore en reflexion ou en test. Mais c’est cette dynamique qui est importante à leurs yeux, et qu’il faut à tout prix encourager.
« Il faut aussi remettre de la bienveillance dans tout ça et accepter que chacun fasse à sa manière. Il ne faut pas que l’urgence devienne paralysant. Aujourd’hui, les entreprises qui se mettent en action sont parfois plus critiquées que celles qui ne font rien. On les attaque sur le greenwashing, ou sur le fait qu’elles ne font pas assez, que ça n’est pas parfait. Mais ce n’est pas la bonne manière de faire. Il faut sortir de la culpabilisation et de l’anxiété si on veut réellement réussir la transition. »
Les Horizons, en direct du Web2Day 2019.