Plus la concentration de CO2 augmente dans l’atmosphère et plus les océans se réchauffent et s’acidifient. C’est l’une des conséquences du réchauffement climatique qui pèse sur la biodiversité marine. Actuellement, le réchauffement des océans est à +1°C depuis le début de l’ère industrielle, et son pH a augmenté de 0,1 unité. Cela peut paraître peu. Mais pour les écosystèmes marins, ces changements peuvent avoir des conséquences néfastes, et à terme, cela pourrait bouleverser certaines de nos pratiques. La conchyliculture en fait partie.

Actuellement, au niveau des côtes françaises, le pH de l’eau varie continuellement entre 8,1 et 7,8. Des variations qui sont sans conséquences à condition que le pH ne baisse pas davantage. Car en 2019, une étude menée par l’IFREMER a a démontré qu’un « point de bascule physiologique » existe à partir d’un pH de 7,3, qui compromettrait la survie des jeunes huîtres, et que cela peut impacter certaines larves dès que le pH passe en dessous de 7,6. « Après avoir analysé de plus près certaines caractéristiques d’huîtres ayant grandi dans des conditions même peu acides, nous avons découvert que leur coquille était moins épaisse et plus légère, suggérant une moindre résistance à la prédation et aux chocs » révèle ainsi Fabrice Pernet, chercheur à l’Ifremer.

En effet, l’excès de CO2 dans l’eau de mer provoque une diminution de la concentration en carbonate de calcium, un élément chimique à partir duquel le plancton, les coraux et les mollusques construisent leur coquille ou leur squelette interne. Ce qui les rend plus vulnérables. C’est donc pour anticiper les effets à long-terme du réchauffement climatique sur la conchyliculture que l’Ifremer, en partenariat avec le CNRS, le Comité National de la Conchyliculture et les Comités Régionaux de Bretagne-Nord et de Méditerranée, a lancé récemment le projet CocoriCO2.

Un parc à moules à Bouzigues, en région Occitanie


CocoriCO2, un projet d’envergure pour étudier le futur de la conchyliculture

CocoriCO2, c’est d’abord un réseau de 14 sondes qui a été déployé près de sites conchylicoles depuis le nord de la Bretagne jusqu’à la Méditerranée. Ce qui en fait le premier réseau de suivi de l’acidification des eaux côtières en France. Une approche importante car le pH de l’eau est beaucoup moins stable près des côtes qu’au large. « Or, les modèles climatiques actuels sont fondés sur des mesures de pH effectuées au large » précise Frédéric Gazeau, chercheur au CNRS. L’idée de ce réseau sera donc d’actualiser les modèles en travaillant sur l’acidification des côtes et leur impact sur les huîtres et les moules.

En parallèle, les scientifiques ont installé deux stations expérimentales dans le Finistère et en Méditerranée. Dans ces deux bassins, des huîtres creuses, des huîtres plates et des moules sont maintenues dans des conditions de température et pH prévues par le GIEC en Atlantique et Méditerranée pour les années 2050, 2075 et 2100. Ces stations vont ainsi analyser pendant 3 années la croissance, la survie, la physiologie, la qualité des coquilles et la valeur nutritionnelle des coquillages en fonction de ces paramètres. « Ces expériences à long terme permettront d’évaluer les capacités d’acclimatation et d’adaptation des bivalves au fil des générations et de fournir un aperçu clair de l’avenir de ces espèces et de leur exploitation, des résultats cruciaux pour l’avenir de nos professions« , précise Philippe Le Gal, président du Comité National de la Conchyliculture.

En parallèle, plusieurs pistes de solutions pour réguler le pH de l’eau au niveau des exploitations conchylicoles seront testées en laboratoire, puis en conditions réelles dans certains sites. L’utilisation de macro-algues que l’on retrouve sur nos côtes et de produits issus de déchets coquillés pourraient notamment contribuer à rendre le milieu plus alcalin (c’est-à-dire moins acide) et permettre ainsi à ces cultures de perdurer dans le temps. Néanmoins, nous n’en sommes encore qu’au début des recherches et, à l’avenir, d’autres solutions viendront peut-être compléter ces hypothèses.

Le réchauffement climatique favorise certaines microalgues

À noter que, récemment, une autre étude européenne à laquelle participe également l’Ifremer a démontré que le réchauffement climatique risquait d’augmenter les épisodes de dinophysis sur nos côtes. Il s’agit d’une microalgue naturelle et toxique qui se développe à la fin du printemps et qui impacte les exploitations ostréicoles et conchylicoles.

Cette algue synthétise certaines substances, en particulier l’acide okadaïque et la pecténotoxine, qui sont surtout connues pour rendre les consommateurs malades lorsqu’elles se fixent sur les coquillages. Ce qui oblige les exploitations à fermer le temps que le phénomène disparaisse. Or, ces algues se nourrissent de nutriments qui sont plus à l’aise dans des environnements plus acides. Ainsi, le réchauffement de l’eau favoriserait leur prolifération. Une mauvaise nouvelle car, outre le fait que cela pourrait augmenter le risque ou la durée des fermetures de fermes conchylicoles, les chercheurs ont également découvert que la pecténotoxine « tue » les cellules sexuelles des huîtres, ce qui pourrait bouleverser, à terme, leur renouvellement.

Pour rappel, la France est le second producteur européen de coquillages. L’ostréiculture, avec près de 2 654 entreprises, produit 130 000 tonnes d’huîtres en moyenne, chaque année. Ce volume représente un chiffre d’affaires estimé à 630 millions d’euros. De son côté, la mytiliculture produit 65 milles tonnes de moules pour un chiffre d’affaires estimé à 120 millions d’euros.

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