Les Horizons : Alexandra Veland, pouvez-vous nous dire comment est né l’incubateur Première Brique ?
Alexandra Veland : Avec Claire Landat, nous l’avons initié, testé et expérimenté pendant un an et demi. Pour ma part, je suis employée par la Métropole de Toulouse et Première Brique est une marque qui a été créée en 2015 par la Métropole toulousaine et France Active. Auparavant, Claire et moi avions rencontré des homologues, notamment Atis à Bordeaux. Nous étions deux au démarrage et aujourd’hui nous sommes six salariés.
L’initiative est partie d’une co-construction avec les acteurs et partenaires de l’économie sociale et solidaire (ESS) du territoire. La Métropole a voulu construire un parcours avec ces acteurs de l’ESS pour mettre en œuvre un dispositif qui réponde au mieux aux besoins des entrepreneurs, de l’émergence jusqu’au développement, y compris le financement, l’hébergement, etc. De ces échanges est sortie la volonté de créer un incubateur de l’innovation sociale, qui n’existait pas sur le territoire.
Nous sommes implantés dans un tiers-lieu de l’innovation sociale, en plein cœur d’un quartier Politique de la Ville. Mais notre vocation territoriale va au-delà de la région toulousaine, et englobe l’ancienne région Midi-Pyrénées. Par contre, comme on est co-porté par la Métropole de Toulouse, on demande aux porteurs de projets de tester et expérimenter la solution sur le territoire métropolitain.
Alexandra, présentez-nous la raison d’être de Première Brique.
Notre volonté est d’accompagner la transformation systémique, par le biais de l’innovation sociale. Notre raison d’être est d’apporter des solutions aux besoins sociaux et environnementaux mal couverts au travers de l’innovation sociale. Et notre manière de faire c’est de transformer les idées en entreprises durables dans le sens ESS.
Première Brique est inscrite dans le schéma de développement économique du territoire (…) les projets sont directement liés à nos politiques publiques
Pouvez-vous décrire vos spécificités ?
Nous avons récemment réalisé une mesure d’impact auprès de nos entreprises et partenaires pour mieux comprendre les spécificités de notre accompagnement. Parmi les caractéristiques qui ont été relevées, on note en premier lieu notre ancrage territorial fort pour répondre aux enjeux locaux.
C’est dans les gènes de Première Brique, qui est co-portée par une collectivité et une association. Première Brique est d’ailleurs inscrite dans le schéma de développement économique du territoire et se place au bénéfice du territoire et de sa population. Les projets sont directement liés à nos politiques publiques, tout en bénéficiant de l’agilité, de la souplesse, du professionnalisme de l’association France Active.
Ensuite, c’est notre positionnement stratégique spécifique d’accompagnement à l’émergence, dans le champ de l’innovation sociale et de l’entrepreneuriat social. Nous avons aussi notre dispositif innovant, en plus de l’incubateur, qui est La Fabrique à Initiatives, comme Atis. Seules neuf Fabriques à Initiatives existent en France. C’est un dispositif inversé de la création d’entreprise, qui part du besoin pour trouver ou créer la structure qui y répondra. C’est complémentaire de l’incubateur, et les deux peuvent se nourrir l’un l’autre.
Le coût de l’incubation est entièrement assumé par Première Brique
Comment recrutez-vous les entreprises que vous allez accompagner ?
Pour l’incubateur, on lance un appel à projets annuel en octobre, avec une sélection en décembre, pour avoir le temps de faire de la qualité. Vu le stade très précoce auquel on accueille les porteurs de projet, l’accompagnement est vraiment sur mesure. On retient au maximum huit projets par an. On peut se permettre de faire cette sélection parce qu’il y a d’autres dispositifs sur le territoire qui répondent aux besoins de l’ESS. Il n’y a pas non plus pléthore de projets d’innovation sociale.
Nos entrepreneurs peuvent être accompagnés jusqu’à 18 mois. Au bout des 6 premiers mois, ce qu’on appelle la phase de pré-incubation, il y a un « Go – No go ». Ça donne la possibilité d’étudier le besoin en profondeur, de comprendre pourquoi la solution n’existe pas encore, et de définir quelle proposition de valeur sera faite. Au bout de 6 mois, ils ont un exercice de communication avec un pitch devant une soixantaine de partenaires. Ceux qui restent démarrent une phase d’expérimentation, pour réajuster et voir comment réagissent les bénéficiaires et les parties prenantes.
Les risques sont tellement importants pour ces porteurs de projet que Toulouse Métropole et France Active ont décidé de prendre en charge toute l’incubation. On s’assure quand même en amont d’une assise financière suffisante pour tenir dans la durée. Parce que les premiers fonds qu’ils obtiennent permettent en général de financer les prototypes mais pas un salaire.
Et pour La Fabrique à Initiatives ?
On maille le territoire en contactant les associations, les collectifs citoyens, les acteurs de la Politique de la Ville, etc. Nos « apporteurs d’idées » – des entreprises et associations – font remonter un besoin qui n’est pas encore couvert sur le territoire concerné, qui peut être à l’échelle d’un quartier. La Fabrique à Initiatives se saisit de ce besoin et vérifie qu’il correspond bien à nos critères avant de travailler à la solution.
En 2021, on va développer une offre d’accompagnement à l’implantation sur notre territoire d’entreprises sociales qui ont été innovantes sur leur territoire d’origine.
Quel est le profil type des entrepreneur-es que vous accompagnez ?
En majorité ce sont des femmes, avec un niveau d’études supérieures Bac + 3 à Bac + 5. Après ce sont soit des étudiants en sortie d’études, car c’est une génération qui se préoccupe beaucoup des problématiques environnementales, soit des cadres qui avaient une progression fulgurante dans leur carrière professionnelle, et à la quarantaine, elles et ils sont en recherche de sens, de valeurs. Toulouse est très marquée par l’aéronautique, nous avons donc beaucoup de profils ingénieurs et consultants de ce secteur.
Quels sont les bénéfices que ces entrepreneurs retirent de l’accompagnement de Première Brique ?
Beaucoup nous disent que ça leur redonne confiance, qu’on ait cru en eux, qu’on ait révélé leurs capacités entrepreneuriales pour mener à bien un projet. À ce jour, on a accompagné 54 projets, pour La Fabrique et l’incubateur. Mais dans le champ de l’innovation sociale, les projets sont compliqués parce que le marché n’est pas mature, avec des modèles économiques très complexes. Et les impacts des projets, au-delà de la création d’activité économique, portent aussi sur l’environnement, les politiques publiques, l’individu et la société.
Les projets traitent d’économie circulaire, d’habitat digne, d’alimentation durable et d’agriculture périurbaine, de lutte contre les exclusions et inégalités
Quels projets voudriez-vous présenter en particulier ?
Sur la question environnementale, il y a Citoy’enR, une coopérative de production d’énergie renouvelable sur Toulouse, dont la gouvernance et le financement sont ouverts aux citoyens. À leur arrivée c’était beaucoup de militants et c’est Enercoop qui les a orientés vers nous pour les aider à avoir un impact systémique en devenant une entreprise sociale. Aujourd’hui leur gouvernance regroupe plus de 200 sociétaires, des citoyens, des collectivités territoriales et des acteurs locaux. La Métropole de Toulouse est rentrée dans leur capital social et ils développent des centrales photovoltaïques sur le territoire.
L’association L’échappée des copropriétés emploie aujourd’hui cinq salariés alors qu’au départ, en 2018, il y avait une dame seule. Le but est de lutter contre les copropriétés dégradées et de remettre en dynamique les copropriétaires, en affrontant les problèmes de gestion interne et en les aidant à trouver des solutions financières.
En ce moment on accompagne un projet hyper innovant, Ilya, porté par deux ingénieurs en sortie d’étude. Ils créent une douche cyclique qui n’utilise que cinq litres d’eau, quel que soit le temps passé sous la douche. L’eau est récupérée et remise dans le circuit, avec filtration. Ils viennent de finaliser une campagne de financement participatif.
Voyez-vous des tendances se dessiner dans le dernier appel à projets ?
On a pas mal de projets sur l’économie circulaire qui est très porteuse, l’alimentation, très fortement représentée, et les questions d’inclusion.
Quelles sont les perspectives pour Première Brique ?
En 2021 on va développer une offre d’accompagnement à l’implantation sur notre territoire d’entreprises sociales qui ont été innovantes sur leur territoire d’origine. C’est donc un troisième service qu’on va tester sur l’année qui vient. On prendra probablement les projets au fil de l’eau. On s’inspire de Ronalpia sur Lyon, mais sans appel à projets pour nous.
On continue aussi à renforcer nos briques pour l’accompagnement des porteurs de projets, et on testera de nouveaux modules sur le début de la nouvelle promotion d’incubation. On veut les sécuriser personnellement dans leur prise de risques, et on va tester une offre de conseils en relations conjugales et familiales.