Il s’agit d’un sujet récurrent dans le débat public local mais surtout d’une préoccupation majeure pour les collectivités : comment résorber les embouteillages ? Outre que le sujet soit un inconvénient pour tout automobiliste, les embouteillages ont surtout un coût qui est loin d’être anodin. En 2013, une étude américaine a ainsi démontré que les embouteillages coûtent 5,9 milliards d’euros à l’économie française chaque année. Une étude publiée par « Le Parisien » en 2014 évaluait quant à elle la facture annuelle des bouchons à 17 milliards d’euros par an en France. Un chiffre réévalué en 2017 par le fournisseur d’informations routières Inrix à 20 milliards d’euros.
Bref, quel que soit le chiffre retenu, les embouteillages coûtent évidemment trop cher à l’économie et il est évidemment très difficile de les empêcher de se produire. Le chercheur français Waleed Mouhali a d’ailleurs écrit un article passionnant sur la manière dont les embouteillages se forment sur le site The Conversation. Il y revient notamment sur une logique qui a induit en erreur des générations d’élus locaux : construire de nouvelles routes ne permet pas de réduire les embouteillages.
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La faute au paradoxe de Braess et au trafic induit
Pourtant, sur le papier, cela semble logique : si on augmente le nombre de voies et que le nombre de véhicules reste le même, alors on fluidifie le trafic. Mais dans les faits, cette logique se heurte au paradoxe théorisé par le mathématicien Allemand Dietrich Braess en 1968 qui démontre que le comportement opportuniste et égoïste de l’automobiliste augmente le trafic lorsqu’on augmente le nombre de voies ; et qu’il peut donc diminuer lorsqu’on diminue le nombre de voies.
C’est une astuce mathématique observée à New-York, en 1990, alors que la municipalité avait décidé de fermer la 42ème rue, l’une des plus empruntées de New-York. Et à la surprise générale, cette fermeture d’un axe très emprunté à permis de réduire les bouchons dans Manhattan.
À l’inverse, l’histoire de l’urbanisme américain prouve également qu’augmenter le nombre de voies n’empêche pas les bouchons de se former. Voyez la Katy Freeway, par exemple, une autoroute à 2 x 6 voies de circulation construite dans les années 1960. À cause des embouteillages, elle a été agrandie à 2 x 8 voies en 2000. Mais cela ne suffisait pas car il y avait toujours des bouchons. Elle a donc été agrandie à 2 x 10 voies en 2004. Mais cela ne suffisait pas car il y avait toujours des bouchons. Elle a donc été agrandie à 2 x 11 voies en 2006. Mais cela ne suffisait pas et, il faut saluer l’effort, elle a été encore agrandie 2 x 13 voies en 2008. Spoiler, il y a toujours des bouchons sur la Katy Freeway.
En matière d’urbanisme, on appelle cela le trafic induit, ou trafic évaporé. Rien ne l’explique concrètement hormis le fait que l’automobiliste se comporte comme un « profiteur d’infrastructures ». Plus on lui en propose, et plus il les utilise. Et quand on lui enlève des routes, il se débrouille autrement. Dans le cadre de ses travaux, l’Institut Paris Région a documenté de nombreux cas de villes américaines et asiatiques qui ont fermé des voies express et des autoroutes traversant leurs villes. De Séoul à Portland, leurs travaux démontrent que la suppression des voies n’a pas fait croître la congestion du trafic.
Au contraire, lorsque ces actions sont soutenues par la mise en place progressive d’un système de mobilité alternatif, basé sur les transports en commun, le vélo, la marche à pied, le co-voiturage ou encore l’encouragement au travail à domicile, le trafic peut même avoir tendance à diminuer.
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Donner des alternatives aux automobilistes
En 2017, Elon Musk a lancé l’entreprise The Boring Company dont la mission consiste à creuser des tunnels permettant de désengorger les villes. Un premier chantier est d’ailleurs en cours à Las-Vegas afin de créer un réseau de tunnels de 47 kilomètres, comprenant 51 stations. En Janvier 2022, à l’occasion du CES, de nombreux participants et journalistes ont d’ailleurs pu tester ce premier tunnel sur un peu moins de 2 kilomètres. Avec la désagréable surprise de voir se former des bouchons à la sortie de la première station. Ainsi, si le tunnel peut être pertinent pour invisibiliser les voitures, cela ne semble pas – pour le moment – répondre à la question des embouteillages.
De nombreuses solutions ont été testées par les villes et métropoles pour réduire la congestion du trafic. On peut citer par exemple les expérimentations de péages urbains à l’entrée des villes à Londres ou à Helsinki pour réduire le nombre de voitures. Il y a également le recours à la technologie avec des applications de suivi du trafic en temps réel permettant de dispatcher le trafic vers d’autres axes. C’est ce que propose Waze depuis déjà quelque temps… avec des externalités négatives. Ainsi, comme le note le think-tank La Fabrique de la Cité dans un rapport, “en déplaçant un problème vers un autre territoire, les applications de navigation ont conduit à créer de nouveaux embouteillages, empirant ainsi la congestion alors qu’elles promettaient d’y mettre fin”.
Mais comme en témoignent les exemples de Portland ou de Séoul, c’est probablement dans le report modal vers les transports en commun, les mobilités douces voire le covoiturage que se trouve la meilleure solution pour réduire les embouteillages. Le Cerema a d’ailleurs documenté un exemple intéressant sur le sujet, survenu à Rouen en 2012, suite à la fermeture d’un pont sur lequel passaient chaque jour près de 90 000 véhicules. En étudiant le comportement des usagers de la route suite à cette fermeture, les auteurs de l’étude ont mis en évidence « que le volume des véhicules en traversée de Seine a baissé et que les modes alternatifs à la voiture, comme les transports en commun et les modes actifs ont connu une augmentation de leur usage”.