Le Salon FoodUseTech est un évènement incontournable pour les professionnels de l’agriculture et de l’alimentation ; un espace d’échange et de réflexion sur les tendances de l’alimentation de demain. C’est dans ce cadre que nous avons interrogé Xavier Boidevézi, secrétaire national du réseau thématique Foodtech, instigateur de cet évènement. Il nous livre ses sentiments sur les grandes tendances de la Foodtech, les perspectives et points essentiels pour s’orienter vers une alimentation durable.
Les Horizons : En amont du salon, on a appris que le groupe Intermarché allait revoir la composition d’environ 900 de ses produits alimentaires, afin qu’ils soient davantage en adéquation avec le système de notation de l’application Yuka. Qu’est ce que cela vous inspire ?
Xavier Boidevézi : C’est une vraie force d’Intermarché d’être à la fois producteur et distributeur. De par cette position, ils ont la possibilité de changer la composition de leurs produits. Donc ils le font et c’est très bien. Après, la raison du changement d’Intermarché, peu importe finalement. Ce qui compte, c’est qu’ils aient pris conscience de la nécessité de changer.
Et c’est important car cela souligne la prise de conscience collective que nous vivons aujourd’hui. Il y a une demande des consommateurs qui disent « On veut mieux manger et on veut que vous soyez transparents sur ce qu’on mange ». Cette demande est peut-être amplifiée par les start-up comme Yuka, mais elle vient surtout des différentes crises alimentaires de ces dernières années qui nous font nous demander « mais jusqu’où on va aller ? »
Et il faut aussi interroger le rôle des consommateurs à ce sujet. Qu’ils se posent la question : « si j’achète une barquette de viande à 1€, quelle qualité je dois réellement attendre en retour ? ». Evidemment, on aimerait que ça ne soit pas au consommateur de se poser cette question. Mais aujourd’hui, on est entré dans une nouvelle forme de consommation, qui est une consommation militante. Le consommateur, à travers le digital et des applications comme yuka, peut et veut prendre la parole.
Et à côté, il existe des alternatives à la distribution qui se développent : la ruche qui dit Oui, les AMAP, mais aussi le marché de producteur qui revient à la mode. Voire même, on constate que les consommateurs sont de plus en plus sensible au fait de cultiver chez eux. Et quand on redécouvre que faire pousser des courgettes, c’est très simple et c’est meilleur, alors on fait évoluer les choses. Et c’est génial parce que ça va dans le sens du « mieux manger ». De fait, la grande distribution doit revoir son modèle, se transformer et se réinventer pour aller dans ce sens.
Avec ces applications mobiles, est-ce qu’on ne s’oriente pas aussi vers une alimentation très personnalisée ?
C’est une évidence. Mais il faut être prudent sur cet aspect. Quand je vois des start up, aux États-Unis, proposer des tests ADN pour adapter la nutrition, ou même en France, des acteurs qui proposent des analyses de microbiote intestinal pour adapter la nutrition… personnellement, ça ne me fait pas rêver. Par contre, une start up qui va répondre à mes usages du quotidien et qui me personnalise mon alimentation par rapport à cela, oui c’est très intéressant. Je pense que ça va se développer.
Mais pour moi dans les grandes tendances de la Foodtech, on a la personnalisation d’un côté, mais surtout on a cette prise de conscience qui consiste à se demander : « comment nourrir la planète en 2050 ? ». Là on touche à différents sujets. Il y a les alternatives aux protéines animales : les algues, les insectes, les légumineuses. Ça, c’est une vraie thématique. Et puis surtout, il y a la question de la planète et des ressources. Donc tout ce qui tourne autour de l’agroécologie par exemple, et aussi de la lutte contre le gaspillage. Et puis, comme on vient de l’évoquer, il y a cette envie de transparence et de traçabilité concernant l’alimentation.
Justement, on a quoi comme solutions pour préserver la biodiversité ?
C’est un sujet d’actualité, parce qu’à la métropole de Dijon, cette semaine (la semaine du 16 septembre 2019, NDLR) on a été lauréat du projet Territoires d’Innovation porté par la caisse des dépôts, dans le cadre des Investissements d’Avenir. On a tout un projet sur « Dijon métropole d’avenir, modèle d’alimentation durable ». Et en travaillant sur ce projet, on a mis en avant le rôle de l’agroécologie.
Et là dessus, en matière de production, c’est un modèle fabuleux. On parle beaucoup de l’agriculture conventionnelle, qu’on oppose facilement au bio. Mais les extrêmes, on sait bien que ça n’est pas bon. Bien sûr qu’il y a eu des excès dans le conventionnel et inversement, on sait bien qu’avec le bio, on ne va pas nourrir la planète. Mais l’agroécologie, qui pour moi se situe entre les deux, c’est un modèle ancré dans une logique de mieux produire, et de mieux choisir ce qu’on produit. L’exemple parfait, c’est de ramener des protéines de type légumineuses dans nos cultures, parce qu’elles permettent naturellement de réduire les besoins en intrants chimiques. Et pour moi, ça c’est le futur.
On est entré dans une nouvelle forme de consommation, qui est une consommation militante
Mais au-delà de ces tendances, ce qui compte vraiment, c’est aussi que les consommateurs réapprennent le plaisir des bons aliments et le plaisir de cuisiner. Ça c’est essentiel, et c’est déjà une tendance. Il n’y a qu’à regarder l’essor des émissions de cuisine à la télévision. Les gens reprennent plaisir à cuisiner et ils s’aperçoivent que d’un point de vue financier, c’est pertinent. Parce que les plats préparés ou les alternatives avec la livraison, ça coûte vite très cher. Alors que se préparer un plat de légumes chez soi, ça n’est pas cher. Bien manger, ça ne coûte pas cher.
Mais pour ça il faut réapprendre à cultiver et à cuisiner. Aujourd’hui, les jeunes, en particulier, ne savent plus cuisiner. On parle des légumineuses comme d’une alternative aux protéines animales. Mais préparer un plat de lentilles, les faire tremper 24h avant, les jeunes ne savent plus faire ça. Donc soit on trouve des alternatives – et on en voit certaines sur le salon FoodUseTech – pour transformer de la légumineuse en quelque chose de plus sympa, façon chips. Soit il faut être capable d’accompagner l’utilisateur pour lui donner les bonnes idées et lui réapprendre à cuisiner.
Vous savez, une des questions fondamentales dans le quotidien des français c’est : « j’ouvre mon frigo 30 minutes avant de passer à table, qu’est ce que je vais bien pouvoir manger ? ». Et finalement, aujourd’hui, on a assez peu de solutions pertinentes pour accompagner les consommateurs dans cette démarche.
Pour ça, il faut travailler en écosystème. Chez SEB, on a une application de recommandations de repas par exemple. Mais si je recommande de préparer un steak frites alors que c’est ce que mon utilisateur à mangé à midi, eh bien je ne suis pas pertinent. Alors que si j’ai davantage de données parce que je travaille avec la restauration collective et la distribution, là je peux aider le consommateur.
Ce qui compte, c’est que les consommateurs réapprennent le plaisir des bons aliments et le plaisir de cuisiner.
La solution pour améliorer notre alimentation, ce serait donc un recours à l’open data ?
L’ambition de la Foodtech, au départ, c’est de dire : « seul on y arrivera pas, il faut qu’on travaille en écosystème ». C’est pour ça qu’on fait le lien entre les start up et les industriels. Et pour que cela fonctionne, il nous faut un langage commun compréhensible pour tous les acteurs de la chaine de valeur. Et ce langage commun, c’est la recette de cuisine. Des ingrédients à la préparation, c’est ce langage commun qui va permettre de créer les produits et services de demain. Alors après, est-ce que cela doit passer par de l’open data, par des plateformes communes, par de l’intelligence artificielle ?
Moi je crois aux nouvelles technologies comme un moyen pas comme une finalité. Par exemple, la blockchain, je ne peux pas dire si j’y crois ou pas. Ce qui va m’intéresser, ce sont les usages qu’on est capable de créer en utilisant une technologie qui s’appuie sur la blockchain. Aujourd’hui, j’ai le sentiment qu’il y a des choses intéressantes à ce sujet. Regardons. Quels bénéfices cela peut apporter et à quels besoins est-ce que cela va répondre ? C’est ça qu’il faut regarder.
Vous parlez de fonctionnement en écosystème. Quel est le rôle des entreprises comme SEB au sein de cette chaine ?
Le rôle qu’on essaie de jouer, il est double. Premièrement, c’est de développer cet écosystème. Donc de commencer par reconnaitre et accepter que, tout seul, on ne fera rien, même quand on est une entreprise Internationale. Et donc accepter le fait qu’il faut travailler avec les autres. Deuxièmement, notre rôle, c’est aussi de réaliser des investissements que les acteurs plus petits ne peuvent pas faire, et de les ouvrir à tout le monde.
Concrètement, pour prendre l’exemple de SEB, on a fait un partenariat avec Orange il y a 3 ans pour que toutes nos connaissances sur les recettes de cuisines soient accessibles via des API. Ça veut dire que demain, s’il y a une petite start up qui a une idée intelligente que nous on pas eu, eh bien cette start up pourra se dire « tiens, j’ai besoin de recettes, je peux me brancher sur ce que SEB a mis à disposition ». Et ça, pour moi, c’est le rôle des grands groupes. Et c’est pour ça aussi que SEB me libère un peu de mon temps pour participer à cet écosystème.
Justement, c’est quoi exactement le réseau Foodtech dont vous êtes le secrétaire national ?
La Foodtech, c’est un réseau thématique de la frenchtech. À l’époque de la création de la frenchtech, plusieurs villes ont été labellisées et ce n’était pas le cas de Dijon. En revanche, on savait qu’on avait ici un territoire super : le pays du vin, de la moutarde, du pain d’épices, la Cité Internationale de la gastronomie, un territoire où l’on retrouve énormément d’acteurs autour de l’alimentation.
Et ce qu’on se disait, surtout, c’est que la France n’avait pas le droit de laisser passer la thématique de la Food. Parce qu’aujourd’hui, mondialement, on est l’un des pays les plus pertinents pour parler d’alimentation. On a l’histoire, on a les traditions, on a le terroir. Et il faut s’appuyer dessus. Donc on a travaillé à créer un réseau thématique pour faire émerger un écosystème qui va porter cela en France, mais aussi à l’International.
Vous êtes en relation avec d’autres écosystèmes similaires à l’étranger ?
Oui bien sûr. Par exemple demain sur le salon, on a Peter Kruger qui va intervenir. Il est à l’origine de l’équivalent de la Foodtech en Italie. Mais on discute aussi avec l’Allemagne, avec les UK. Mais c’est essentiel parce qu’en fait, nos concurrents en matière d’alimentation et de technologie, ce sont les États-Unis et la Chine. Donc si on veut peser, c’est au niveau européen que cela va se passer.
Aujourd’hui, avec l’essor des enceintes vocales par exemple, qui va savoir demain ce que les petits français mangent ? Ce sont des entreprises comme Amazon et Google… Et s’ils savent ce qu’on mange, ils seront capable de développer les produits et services de demain en lien avec notre alimentation. On sait déjà que Google possède tout un laboratoire de R&D consacré à l’alimentation. On ne sait pas encore ce qu’ils préparent, mais ils travaillent dessus.
Donc il faut être attentif à cela. Aujourd’hui, quand on voit par exemple en Chine, qu’ils ont crée des pollinisateurs électriques, on se demande « mais quel futur on veut ? Est-ce qu’on veut un futur où la technologie pollinise des fleurs ou un futur dans lequel on a réussi à préserver les abeilles ? »
La chance qu’on a, c’est que l’alimentation, c’est quelque chose qu’il faut adapter localement. D’un pays à l’autre, ça ne fonctionne pas de la même manière. Il faut connaitre la culture. Ça reste encore un marché de niche, donc on a encore une carte à jouer là-dessus en France et en Europe. On y travaille.
Propos recueillis par Guillaume Joly et Mathieu Desprez.