Christophe Chantepy est Expert en Défense des Forêts Contre les Incendies (DFCI) pour l’ONF à Avignon. Alors que l’ensemble du territoire fait aujourd’hui face à un déficit hydrique important, avec des sols secs et à risque pour les incendies, et que la saison estivale débute à peine, nous avons échangé avec lui sur les missions de l’ONF, les adaptations aux risques climatiques et la gestion des feux de forêts dans un contexte de réchauffement global de la planète.
Les Horizons : après des chaleurs record au printemps, l’été 2022 prévoit d’être particulièrement chaud et sec. Quelles seraient vos recommandations pour réduire les risques de feux de forêts ?
Christophe Chantepy : Nous avons en effet une inquiétude face à une saison qui commence plus tôt, avec un déficit pluviométrique, des grosses chaleurs, et un état de sécheresse qui est marqué quasiment dans la France entière. Avec le changement climatique, nous sommes dans une septentrionalisation du risque d’incendies et, à l’ONF, nous savons que nous allons commencer un peu plus tôt cette année.
Pour réduire les risques d’incendies, chaque citoyen doit se retrouver en situation la plus responsable possible vis-à-vis du feu de forêt, car ce risque est rarement naturel : dans moins de 10% des cas, le départ des feux est d’origine naturelle, avec les orages et la foudre. Dans 90% des cas, il est d’origine anthropique. Il faut comprendre que le fait que la végétation soit sèche n’est pas un facteur de déclenchement de l’incendie. C’est l’activité humaine qui l’est en réalité. Il faut donc avoir des comportements responsables.
Parmi les recommandations : ne pas jeter de mégots à proximité des forêts et ne pas faire de feu en zone forestière ou aux abords, limiter les travaux pouvant être générateur d’étincelles, etc. Concernant les gens qui habitent en forêt ou à proximité, il faut aussi préparer sa maison aux risques, généralement en période hivernale.
Cela s’effectue en débroussaillant 50 mètres aux abords de son habitation, ou en vérifiant qu’il n’y ait pas d’aiguilles de pins sur la toiture. Il faut aussi veiller à ne pas stocker de matériaux combustibles comme du bois contre la maison, ou des équipements en plastique à côté des portes ou fenêtres lorsque l’on n’est pas chez soi.
Le débroussaillement dont vous parlez est une technique utilisée pour empêcher le feu de se propager en cas d’incendie. Comment fonctionne cette solution ?
Le débroussaillement correspond à la diminution de la masse de combustibles autour des habitations, et au fait de créer une discontinuité dans la végétation. Concrètement, moins il y a de combustibles près des maisons, moins le feu y sera virulent.
Donc, si on espace les arbres et si on crée une discontinuité entre le sol et le houppier des branches, en élaguant les branches, nous créons une difficulté pour le feu de se développer. Mais il ne s’agit pas d’une coupe rase de la végétation, c’est simplement une opération sylvicole dont le but consiste à éviter que des combustibles se trouvent en contact avec les habitations.
Le réchauffement climatique est susceptible d’augmenter le risque d’incendies. Face à cela, l’ONF a-t-elle ou prévoit-elle de mettre en place une stratégie d’adaptation particulière ?
Oui, et ce à deux points de vue. Le premier concerne le cœur du métier. Avec l’Agence de Défense contre l’Incendie, où je travaille, nous essayons vraiment d’anticiper le risque, notamment dans les départements qui vont être de plus en plus concernés par les risques d’incendies. Dans ces départements, nous réfléchissons à installer des pistes et des citernes pour les pompiers dans les forêts que nous gérons, où encore à la pertinence de continuer à faire des travaux en été dans ces forêts.
Mais la réflexion la plus profonde reste l’adaptation de la forêt au changement climatique, qui passe par une adaptation des essences. Aujourd’hui, nous mettons en place, autant que faire se peut, des « forêts mosaïques », c’est-à-dire des forêts les plus diversifiées possibles, avec des essences les plus adaptées possibles. Car nous commençons à voir des dépérissements de certaines essences à cause du stress hydrique ou de certaines maladies.
La politique de l’ONF à ce sujet est d’accompagner la migration des espèces forestières, qui ont su s’adapter à travers les millénaires, mais pas au sein de la période restreinte dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Plus nous implantons des essences diversifiées dans les forêts, plus nous avons de chance que ces essences soient adaptées à ces bouleversements climatiques. Ce concept de « forêt mosaïque » est une technique que nous mettons en place depuis plusieurs années dans nos aménagements forestiers.
La gestion du feu se fait beaucoup par de l’anticipation, de la prévention et de la surveillance
Est-ce-que les techniques de prévention des risques et de gestion des feux de forêt évoluent de nos jours, notamment en raison du changement climatique ?
Ces techniques vont évoluer territorialement, au niveau de l’extension du risque, puisque cette extension est à la fois temporelle et géographique. Elle est temporelle car les risques liés aux saisons des feux de forêts sont plus grands, comme on le voit par exemple cette année. Elle est aussi géographique car certains territoires sont davantage soumis aux risques que d’autres.
En ce qui concerne les techniques, en été, la gestion du feu se fait beaucoup par de l’anticipation, de la prévention et de la surveillance. L’anticipation s’effectue en partenariat avec Météo France, grâce à des systèmes de modélisation, pour cibler les secteurs les plus à risques. À l’ONF, nous faisons chaque semaine des prélèvements de végétation dans plusieurs départements de France afin de mesurer le taux d’humidité de la végétation et pouvoir donner des témoins d’alerte.
Ensuite, Météo-France cartographie le risque à l’échelle nationale, et fait bénéficier de ces informations les pompiers, les forestiers de l’ONF, ainsi que les préfectures. Le but est de pouvoir ensuite dimensionner un dispositif de surveillance grâce auquel les pompiers et les forestiers vont déployer des moyens dans les endroits à risques.
Ensuite, les forestiers de l’ONF patrouillent en forêt pour surveiller, sensibiliser, alerter et le cas échéant faire de la « primo extinction sur feu naissant », pour freiner le feu le plus tôt possible. Ce système fonctionne depuis longtemps, mais depuis ces dernières années émergent aussi de nouveaux dispositifs de surveillance, comme par exemple des caméras thermiques, qui peuvent détecter les fumées et accompagner les services sur la localisation des départs de feu.
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Selon vous, qu’est-ce-qui serait nécessaire pour améliorer la gestion des incendies en forêt, par rapport au contexte climatique qui évolue ? A-t-on besoin de davantage de prévention, de moyens, d’outils ?
C’est difficile de se prononcer, dans la mesure où la France est plutôt en pointe en termes de gestion des incendies. Il existe en effet une organisation multi-partenariale avec les pompiers, la sécurité civile, les forestiers et les conseils départementaux, qui fait que le maillage est plutôt bon. Il y a une vraie efficacité de la politique nationale d’extinction des feux naissants, mise en place après les grands feux des années 1980.
Depuis, le nombre de départs de grands feux et surtout la surface parcourue a nettement diminué. C’est une politique qui a fait ses preuves, même s’il est évident qu’il va falloir l’étendre au-delà des zones jugées à risque jusqu’à maintenant (zone méditerranéenne et bassin aquitain, ndlr).
Il y a sûrement aussi devant nous de nouvelles mesures de prévention qu’il va falloir adapter. On peut développer la prévention en ce qui concerne la construction en forêt, qui actuellement se fait sur la limitation des constructions en zones forestières à risques. Il y a peut-être d’autres leviers d’action dans ce domaine sur lesquels il faudra plus intervenir demain qu’hier, notamment pour mieux gérer les habitations existantes.
Pensez-vous que la technologie, l’utilisation de drones, de robots, de capteurs, est indispensable dans la gestion des feux ?
Indispensable, je ne sais pas, mais très utile, c’est évident. Notamment en ce qui concerne la flotte aérienne, aujourd’hui la flotte de bombardiers d’eau que l’on peut avoir au niveau de la sécurité civile est un atout indéniable dans la lutte contre les feux de forêts. Après, toutes les évolutions qui peuvent exister sur le volet robotique, intelligence artificielle, images satellites, ce sont aussi des atouts indispensables qu’il faut savoir utiliser.
Je pense que ces outils sont amenés à se développer fortement, et qu’il y a déjà une grosse attente. C’est le cas par exemple en ce qui concerne les images satellites, qui sont déjà utilisées par l’ONF pour étudier la virulence d’un feu et ses contours. Cela nous permet de gagner un temps conséquent et de mieux connaître les comportements des feux. Nous arrivons ainsi à avoir des données d’évolution du feu de plus en plus fiables, et qui se fiabiliseront au fil des ans.
Il y a une vraie efficacité de la politique nationale d’extinction des feux naissants, mise en place après les grands feux des années 1980
La sécheresse peut-elle mettre à mal l’utilisation de la flotte aérienne chargée d’éteindre les feux ?
Si on regarde le volume d’eau embarqué par chaque avion, ainsi que le nombre d’avions, ça ne correspond pas à tant de prélèvements en eau que ça. D’autant plus qu’en général, les avions viennent s’alimenter sur des grands lacs, directement en mer ou sur des sites aménagés et dimensionnés pour cela. Il y a aura probablement un problème de gestion de la ressource en eau dans les années à venir de manière générale, mais je ne suis pas sûr que cela affectera les capacités de la flotte aérienne à utiliser l’eau.
Dans la mesure où l’ONF est gestionnaire de 25% des forêts françaises, comment sont gérés les risques de feu dans les 75% restants ?
Ces forêts sont des forêts privées, dans lesquelles il n’y a pas d’obligation formelle de gestion. Il peut cependant disposer d’un document, le « Plan Simple de Gestion » pour orienter sa gestion sur les années à venir. L’inquiétude qu’on peut avoir sur la forêt privée réside dans son morcellement, car il est beaucoup plus difficile de gérer les risques dans une multitude de petites forêts que dans des grandes forêts domaniales de plusieurs hectares.
L’adaptation au changement climatique est certes un peu plus difficile dans la partie privée, mais se fait quand même très bien car de nombreux propriétaires investissent pour s’adapter au changement climatique, notamment en modifiant des essences.
Quant aux feux, la stratégie d’alerte, de surveillance et d’anticipation décrite précédemment est réalisée à l’échelle de toutes les forêts, puisque lorsque l’ONF intervient sur cette thématique, elle le fait dans le cadre d’une mission d’intérêt général, c’est-à-dire peu importe que la forêt soit publique ou privée.
Pensez-vous que le cadre législatif autour des zones forestières va également s’alourdir ?
Les Assises des Forêts et du Bois de mars 2022 ont prévu plusieurs potentielles évolutions législatives, dont notamment une sur les obligations légales de débroussaillement. De plus, des missions parlementaires ont été confiées aux membres du Sénat pour se pencher sur la manière dont la prévention des feux de forêt est assurée en France, et voir si des avancées réglementaires étaient nécessaires. On peut donc penser que ce sont les résultats de ces commandes qui pourront dicter de potentielles évolutions à venir.
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Au sujet des mégafeux qui ont eu lieu récemment en Australie, en Californie ou au Canada, pensez-vous que l’on peut s’inspirer de la gestion de ces incendies à l’étranger ?
Oui et non. Oui, car nous avons toujours à apprendre de ce qu’il se passe ailleurs. Toutefois, c’est très difficile de comparer la situation française aux situations australiennes, californiennes, ou canadiennes. En effet, ces pays sont recouverts de surfaces forestières qui sont complètement différentes de celles qu’on peut avoir chez nous. Ils ont aussi mis en place des politiques différentes que l’on ne retrouve pas en France.
Les capacités de réaction ne sont pas les mêmes non plus, en fonction des flottes aériennes, des services de pompiers. Le terme « mégafeux » n’est d’ailleurs pas applicable à l’échelle française, nous parlons chez nous plutôt de feux « hors normes », notamment car les surfaces touchées sont bien inférieures.
Ainsi, vous pensez que ces « mégafeux » ne peuvent pas se déclencher en France ou en Europe ?
Des feux « hors normes » peuvent se produire oui.Des mégafeux tels qu’on l’entend quand on parle de l’Australie ou de la Californie, pas vraiment.
Ces feux ont-ils démontré les limites des techniques de gestion des incendies actuelles ?
Concernant les « méga feux », on peut avoir tendance à dire que les services de lutte ont été dépassés par l’ampleur, tant en hectares qu’en nombre de bâtiments détruits, dans la mesure où un méga feu est un incendie incontrôlable. Toutefois, en ce qui concerne la France, nous ne sommes pas face à des feux qui échappent réellement aux organismes de lutte.
Selon vous, une coordination à l’échelle européenne ou encore internationale serait-elle pertinente pour lutter contre les feux?
C’est une question plutôt politique donc je ne me prononcerais pas vraiment, mais certaines actions se structurent aujourd’hui sur ce sujet, notamment en ce qui concerne la protection civile européenne, avec la flotte de bombardiers d’eau par exemple. En France, sur la politique de prévention et de lutte, nous avons quelque chose qui est réellement structuré et qui a prouvé son efficacité. Mais cela ne signifie pas qu’il faut s’endormir sur ses lauriers, loin de là.