L’écologie industrielle est un mode d’organisation industrielle qui se présente aujourd’hui comme une voie possible à la mutation des systèmes de production actuels. Là où ces derniers sont très énergivores et produisent beaucoup de déchets, l’écologie industrielle a pour vocation une gestion optimisée des stocks et des flux de matières, de l’énergie et des services, en créant des synergies entre différentes industries.

En faisant notamment des déchets des uns la matière première des autres, elle vise à réduire l’impact négatif de l’activité industrielle sur l’environnement afin d’inscrire l’industrie dans un mode de fonctionnement durable, source d’externalités positives (apprentissage collectif, dynamique d’éco-innovation, diversification des activités économiques d’un territoire…).

Dunkerque, en tant que ville pionnière en France à s’être engagée dans cette voie est désormais reconnue au niveau national pour son expérience d’écologie industrielle.


À Dunkerque, l’écologie industrielle depuis les années 60

Le premier exemple d’écologie industrielle à Dunkerque remonte à l’année 1962. Alors que l’aciériste Usino (aujourd’hui connu sous le nom d’ArcelorMittal) venait tout juste de s’implanter dans la ville, EDF a fait le choix d’y installer une centrale thermique afin de profiter des gaz de process de l’aciériste pour fonctionner. Depuis, cette centrale remplacée en 2005 par DK6 (groupe ENGIE), permet de valoriser chaque année 5 milliards de m3 de gaz sidérurgiques provenant d’ArcelorMittal.

En 1986, Dunkerque renforce son engagement dans l’écologie industrielle en créant au sein de la ville le plus important réseau de chaleur de France grâce à la récupération de la chaleur fatale issue des hauts fourneaux d’ArcelorMittal. Aujourd’hui, ce réseau permet notamment de chauffer 16 000 logements collectifs et bureaux et ainsi d’éviter l’émission de 30 000 tonnes de CO2 par an.

5 ans plus tard, une ferme aquacole voit le jour à Dunkerque grâce à une convention signée avec EDF pour lui faire profiter des eaux réchauffées du circuit secondaire de la centrale nucléaire de Gravelines. À l’heure actuelle, Aquanord produit 1 500 tonnes de poissons chaque année.

Enfin, en 2007, la Communauté Urbaine de Dunkerque ouvre le CVE (Centre de Valorisation Energétique) et le CVO (Centre de Valorisation Organique) qui vont devenir eux aussi des exemples d’écologie industrielle réussis. En effet, le CVE permet de produire chaque année 48 000 MWh d’énergie électrique grâce au traitement de déchets tandis que le CVO transforme 22 000 tonnes de déchets organiques en 6 700 tonnes de compost utilisé pour fertiliser des terres agricoles.

Dunkerque - ArceloMittal
ArcelorMittal, à Dunkerque depuis les années 1960, fer de lance de la dynamique industrielle de la région


Une toile industrielle comme réponse à la crise de 2008

Ainsi, face aux réussites de ces synergies expérimentées sur le territoire dunkerquois depuis la fin du 20ème siècle, la Communauté Urbaine de Dunkerque voit, au moment de la crise de 2008, la mise en avant de ces interactions entre les entreprises comme un potentiel levier pour anticiper les effets domino des fermetures de sites industriels qui se profilaient à l’horizon.

La schématisation de ces interactions à travers ce qu’ils ont alors appelé la « toile industrielle » a alors été utilisée comme un outil par les acteurs de la ville pour négocier de nouveaux investissements sur le territoire.

Il s’agissait de mettre en avant, parmi les industriels qui y figurent, les flux manquants de chaleur, d’électricité, de matières premières secondaires ou de gaz, ou au contraire ceux qui ne trouvent pas de débouchés pour en faire un facteur d’attractivité pour les industries désireuses de s’inscrire dans un écosystème de flux.

Cette stratégie a fait ses preuves puisque, si tous les territoires industriels ont perdu beaucoup d’emplois ces dernières années, la ville de Dunkerque semble quant à elle avoir limité la casse et voit affluer de nouveaux investissements depuis quatre ou cinq ans. Selon Jean-François Vereecke, directeur général adjoint de l’AGUR (Agence d’urbanisme Flandre Dunkerque), il s’agirait même d’un record.

En connectant les entreprises les unes aux autres, cela permet d’éviter les pertes de valeur, d’optimiser le process des industries déjà implantées, de baisser leurs coûts et d’assurer leur pérennité.

Jean-François Vereecke, directeur général adjoint de l’AGUR (Agence d’urbanisme Flandre Dunkerque)


L’écologie industrielle comme facteur d’attractivité

Ainsi, cet écosystème industriel attire de plus en plus d’entreprises sur le territoire dunkerquois. Que ce soit pour valoriser leurs déchets plutôt que financer leur traitement ou pour bénéficier d’une main d’oeuvre et d’infrastructures spécialisées, de nombreuses industries ont fait le choix ces dernières années de venir s’installer à Dunkerque.

Parmi les nouveaux venus, on retrouve notamment l’irlandais Ecocem, qui récupère des co-produits de la sidérurgie d’ArcelorMittal pour fabriquer un ciment écologique. Selon Dominique Pair, le chef d’établissement d’ArcelorMittal, ce ciment permet d’économiser 40 fois plus de CO2 qu’un ciment traditionnel.

On peut aussi citer l’arrivée ces dernières années d’IndaChlor (groupe Indaver), une industrie qui recycle les résidus de production chlorés provenant principalement de l’industrie PVC, et qui cède sa vapeur au producteur d’alcools et de biocarburants Ryssen qui devait auparavant la produire lui-même.


Une organisation industrielle soutenue par les acteurs du territoire

Au sein de cette symbiose industrielle, les synergies sont portées par les entreprises mais aussi par les acteurs publics (institutions locales) et semi-publics (association Ecopal, clubs d’entreprises…). Ces derniers interviennent principalement par l’accompagnement des industriels dans la mise en place et, surtout, dans la promotion des pratiques d’écologie industrielle alors que les acteurs publics travaillent eux à la mise en place d’infrastructures adaptées à l’émergence de ces synergies.

Ecopal est l’une des premières associations dédiées à l’écologie industrielle en France et est implantée sur le territoire dunkerquois depuis 2001. Elle se positionne comme un observatoire permettant l’inventaire des flux et la recherche de synergies et oeuvre pour mettre en relation les industriels et les pouvoirs publics.

En 10 ans, Ecopal a notamment permis d’économiser 230 tonnes de CO2 soit l’équivalent de 230 aller-retour Paris New-York. Aujourd’hui, l’association compte plus de 100 adhérents et est soutenue à l’international notamment par Suren Erkman, spécialiste mondial de l’écologie industrielle.

En octobre dernier, les rencontres européennes CO2, Industrie et Territoires, organisées à Dunkerque, ont une nouvelle fois démontré la capacité du territoire à prendre le leadership sur des enjeux majeurs pour les prochaines années. Bien consciente qu’à chaque nouvelle synergie créée c’est la résilience du territoire qui est renforcée, la ville de Dunkerque fait de l’écologie industrielle une de ces priorités stratégiques.

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