Les grandes orientations concernant la transition énergétique sont définies à un niveau national au travers notamment d’objectifs à moyen et long terme comme réduire les émissions de gaz à effet de serre, la part des EnR dans le mix énergétique etc. Ces caps fixés par l’Etat doivent être répercutés au niveau des territoires. Et à l’instar de la gestion des déchets, les Régions sont désignées par la Loi de transition énergétique pour la croissance verte comme les chefs de fil devant assumer la cohérence et la bonne mise en action des écosystèmes pour atteindre ces objectifs.

Ayant compris que la transition énergétique était une opportunité pour les territoires et les entreprises, la Région Pays de la Loire a été labellisée en 2016 “Territoire Hydrogène” dans le cadre de l’appel à projets national Nouvelle France Industrielle. Il en a découlé dès 2017 une feuille de route régionale ambitieuse – 192 millions d’euros sur 5 ans, dont 71 millions de fonds européens – concernant la transition énergétique de la région. Et en particulier sur le développement d’une filière hydrogène.

Mais comment est insufflée à l’échelle d’une région la dynamique de structuration d’une filière naissante telle que celle de l’hydrogène, et comment concrètement les acteurs des territoires s’emparent d’un sujet comme celui ci ? 

Nous nous sommes donc posés la question de la mise en action d’un plan à l’échelle régionale et locale. Pour ce faire nous avons eu l’opportunité de rencontrer Laurent Gérault Conseiller Régional, Vice-Président délégué à l’Environnement et à la Transition Énergétique. Nous avons déroulé avec lui la feuille de route régionale Hydrogène 2020-2030. Ou plutôt le projet de feuille de route. Car initialement, cette feuille de route aurait dû être adoptée en séance les 19 et 20 mars derniers. Mais avec l’épisode du confinement ces dates ont été décalées aux 9 et 10 juillet prochains. Entre temps la feuille de route à même été intégrée au plan de relance de la région.

Laurent Gérault
Laurent Gérault en session à l’Hôtel de Région des Pays de la Loire – Crédits Conseil Régional


Créer la dynamique à l’échelle des territoires

Si cela semble évident, il est toutefois utile de rappeler que chaque région a ses spécificités. A l’échelle nationale la Région des Pays de la Loire n’est pas la plus en pointe sur l’hydrogène. D’autres régions ont pris un temps d’avance grâce à leurs spécificités régionales liées par exemple à des secteurs industriels bien implantés localement. C’est le cas notamment de la Région Auvergne-Rhône-Alpes avec Michelin et le secteur automobile ou de l’Occitanie avec Safran et l’aéronautique. “Les acteurs privés ont incité ces régions à se positionner très tôt sur le sujet hydrogène” abonde Laurent Gérault.

Si des actions ponctuelles ont bien vu le jour en région Pays de la Loire, “il n’y avait pas une vision filière long terme sur le territoire, pas de collectifs au niveau régional” poursuit Laurent Gérault. Aucun acteur privé ne s’était réellement emparé du sujet et donc aucune dynamique n’a pu être créée. Pourtant les Pays de la Loire ne manquent pas d’atouts industriels forts à faire valoir pour le développement d’une filière hydrogène, notamment d’un point de vue portuaire, maritime et fluvial. Mais il fallait « un acteur fédérateur qui se porte garant qu’un écosystème pouvait se construire » et parvenir à des solutions concrètes propres à chaque usage.

C’est donc la Région qui s’est lancée au travers d’une feuille de route 2020-2030 d’envergure qui a permis de fédérer derrière elle pas moins de 250 acteurs du cru. L’objectif est de créer un contexte favorable avec des enjeux identifiés pour que les acteurs du territoire se mobilisent et travaillent ensemble sur le sujet. Ce grand écosystème est formé à la fois d’acteurs et de donneurs d’ordres issus du privé et des collectivités locales.

Pour le bon développement de la filière dans la région, il était important de regarder l’hydrogène dans une logique globale qui allie mobilité durable et problématique du stockage. Car la région Pays de la Loire est plutôt en avance sur les énergies renouvelables. Or, avec les EnR on passe d’un modèle concentré et simple dans l’usage et la production, à un modèle décentralisé et intermittent qui dépend de paramètres. Et qui nécessite donc de fortes capacités de stockage de l’énergie produite, une des caractéristiques de l’hydrogène justement. C’est donc avant tout l’angle du stockage avec l’essor des EnR sur le territoire qui a permis de dynamiser la région et a entraîné dans son sillage la naissance d’une filière Hydrogène. “Même si in fine c’est au privé de trouver le modèle économique, les régions créent l’écosystème et les outils nécessaires pour faire la bascule au sein des territoires”.

Si le Plan Hydrogène de Nicolas Hulot aura été la première étape concrète des financements publics, les annonces du Green Deal mi-avril (10 milliards d’euros investis sur 10 ans) donnent le vrai point de départ d’une stratégie Hydrogène au niveau européen, et donc national. Comme le rappelle Laurent Gérault “la volonté politique forte sur un sujet comme celui ci ne se décide pas à l’échelle d’une région. A l’échelle d’une région on peut être prêt en fonction des axes et process industriels nécessaires, à répondre en créant des écosystèmes locaux en fonction des ressources et des talents”. Les régions traduisent cette volonté politique sur les filières et les territoires.



Les ambitions concrètes de la feuille de route régionale Hydrogène

Le Conseil Régional porte conjointement avec la CCI Régionale l’ambition “Trajectoire Hydrogène” qui vise à monter en puissance au fil des années sur l’hydrogène, et d’assurer l’implantation d’une véritable filière d’excellence sur le territoire. Notamment au travers de 4 axes forts qui permettent d’appréhender à la fois la production et les usages de l’hydrogène. Tout en tenant compte des spécificités régionales. Ces 4 axes, déclinables en 25 actions opérationnelles, constituent la feuille de route 2020-2030 qui sera donc définitivement adoptée courant Juillet. Au moins 70 millions d’euros seront mis sur table pour la mise en oeuvre de ces actions, hors budget transport. Ce montant pouvant être réévalué à 100 millions d’euros.

Les régions créent l’écosystème et les outils nécessaires pour faire la bascule au sein des territoires



Le premier axe est celui de la production d’un hydrogène vert ou renouvelable sur le territoire, ainsi que la mise en place de stations de distribution. Aujourd’hui 96% de la production mondiale d’hydrogène l’est par vaporeformage, et donc carbonée car obtenu à partir de combustibles fossiles. L’ambition est de produire un hydrogène vert à partir d’eau avec des énergies renouvelables (solaire ou éolien).  L’ambition de la région est d’accompagner en 2021 la mise en place de projets de production ou de stations de distributions sur au moins 3 nouveaux territoires. Un accompagnement qui se traduit par une mobilisation des ressources à travers une assistance à maîtrise d’ouvrage dédiée, et une aide financière à hauteur de 1,7 million d’euros dès cette année. Et jusqu’à 12 millions d’euros seront investis d’ici 2030 pour la mise en place au global de 10 projets de productions et 15 stations de distribution.

Le deuxième axe concerne le développement des usages de l’hydrogène.  L’émergence et le déploiement des écosystèmes hydrogène en région passera nécessairement par le développement des usages sur les territoires, notamment les usages terrestres. “Il faut créer les infrastructures qui permettent le passage à l’acte, et il faut qu’on démontre que cela fonctionne” détaille ainsi Laurent Gérault. 3 millions d’euros seront alloués à l’acquisition de 50 véhicules terrestres roulant à l’hydrogène par an (flottes de collectivités, utilitaires, bus, bennes à ordures, véhicules professionnels à destination des TPE/PME/GE, et les premiers véhicules particuliers). L’objectif au global est d’atteindre 13 000 véhicules en circulation d’ici 2030 pour un besoin d’hydrogène de 2800 tonnes. Intégrer l’hydrogène dans les flottes de la région telles que les transports scolaires, les flottes de navires (liaison Ile d’Yeux) ou les TER régionaux fait également partie de cet axe. Tout comme développer des expérimentations autour des usages bâtimentaires de l’hydrogène comme le stockage d’énergie. Près de 17 millions d’euros seront investis sur cet axe d’ici 2030, dont 1,6 million dès cette année.

navibus navette hydrogene nantes
le Navibus à Nantes



Le troisième axe qui consiste à faire émerger des filières d’excellence en région PdL, est le développement d’un savoir faire industriel local, en lien avec les spécificités de la Région. A savoir les domaines maritime et fluvial. Cela passe nécessairement par un soutien fort aux acteurs économiques et académiques sur leurs projets. L’ambition est de faire de l’hydrogène, avec les énergies marines renouvelables, la thématique principale d’investissement de la région en matière de R&D. De la même manière sera créé un Technocampus sur les EnR et en particulier sur l’hydrogène, à l’instar des Technocampus Composite, Océan ou Alimentation déjà existant sur le territoire. Enfin, le Grand Port Maritime Nantes Saint Nazaire jouera un rôle central dans le développement territorial de la filière hydrogène. Pour cet axe, pas moins de 38 millions d’euros seront investis d’ici 2030.

Enfin, le quatrième et dernier axe de la feuille de route est celui du maintien de la dynamique autour de l’hydrogène dans la Région en installant le collectif nouvellement créé “Pays de la Loire Hydrogène Vallée” dans le paysage national et européen. Il s’agit là de l’axe sur la gouvernance, de la mise en place et de l’animation de clusters et comités d’acteurs liés à l’hydrogène. Ou comment à la fois bien s’organiser entre acteurs afin de savoir saisir les opportunités et répondre aux appels d’offre Nationaux et Européens. Et faire connaître l’hydrogène et ses nombreuses applications aux ligériens pour une acceptation par tous de cette technologie.



Applications et projets en Pays de la Loire : les acteurs au cœur des enjeux

Si la région des Pays de la Loire n’est pas leader sur le secteur de l’hydrogène, plusieurs expérimentations ont déjà eu lieu sur le territoire. On peut citer le Navibus qui a permis de tester et de valider l’utilisation de piles à combustible pour le transport fluvial. Ou la station de production et de distribution Multhy qui est opérationnelle sur la métropole nantaise depuis 2018. La station est opérée par la Semitan, la société des transports de l’agglomération nantaise, et alimente une quarantaine de véhicules utilitaires électriques et deux camions. Si ces expérimentations ont eu le mérite de montrer la voie, on assiste à présent à la création de synergies plus fortes entre acteurs dans le cadre de véritables écosystèmes qui se créent. 

L’appel à projet de l’ADEME “écosystèmes de mobilité hydrogène” a permis l’éclosion sur le territoire de deux écosystèmes viables et transposables : H2Ouest et H2 Loire Vallée. Le projet H2Ouest rassemble 6 acteurs (dont la métropole du Mans, le Syndicat départemental d’énergie de la Vendée, la start up Lhyfe ou l’Automobile Club de l’Ouest) et a pour ambition la mise en action d’une filière hydrogène 100 % vert visant à couvrir l’intégralité de la chaîne de valeur : production d’hydrogène vert par Lhyfe à partir du parc éolien de Bouin en Vendée, flottes à hydrogène en Vendée et autour du Mans, et les fameuses “24h du Mans” à l’hydrogène en 2024 illustrent les différents aspects du projet.

Le projet H2 Loire Vallée, porté entre autres par Neopolia et Hynamics la filiale hydrogène d’EDF, s’appuiera lui davantage sur les spécificités du territoire car il s’agit avant tout d’applications maritimes et portuaires. Ou comment créer une chaîne de valeur autour de l’hydrogène maritime et fluvial, afin d’accompagner la montée en gamme des acteurs économiques sur le sujet. Ce projet est par ailleurs rattaché à l’association inter-régionale Smile.

D’autres projets visant à créer des écosystèmes où les acteurs travaillent ensemble sont en réflexion avancée. Ces projets traduisent la mise en action voulue par la Région, à savoir jouer en équipe entre acteurs d’horizons différents et de départements voisins. Le tout sur du temps long, avec en perspective de nouvelles activités et les emplois de demain.