Le temps des promesses d’engagement ou du greenwashing est en passe d’être révolu. L’heure est à l’évaluation de l’impact réel des entreprises. L’attente des parties prenantes d’une entreprise (clients, salariés, fournisseurs, actionnaires, société civile etc) sur ces sujets est grande. L’impact est même devenu un argument majeur pour arbitrer une potentielle collaboration avec une entreprise, que ce soit pour y travailler, y investir ou y faire du business.
L’impact permet de créer de la valeur pour l’entreprise, il est devenu un outil de gestion ainsi qu’un outil de communication pour les entreprises.
Mais cela va dans les 2 sens. Aujourd’hui toutes ces parties prenantes veulent pouvoir juger des résultats des actions menées et de l’impact réel de ces dernières. La valorisation d’une entreprise passe maintenant nécessairement aussi par l’impact social et environnemental produit. Et plus uniquement par ses résultats financiers.
3 experts impliqués dans le domaine de l’impact sont venus témoigner lors de l’édition 2019 du Web2Day à Nantes. Ils se sont tout d’abord entendus sur la définition de l’impact au sens anglophone du terme : il s’agit de la transformation positive ou négative d’une activité d’une entreprise sur la cible visée. Ce sont les externalités positives ou négatives que dégage une entreprise.
L’impact étant par définition créé par rapport à une cible visée, il a donc une valeur différente pour chaque cible. La valeur sociale ou environnementale est différente de la valeur financière. “Il faut poser la question au bénéficiaire pour pouvoir mesurer l’impact. Ca n’est pas au porteur de projet de dire si son projet est porteur d’impact ou de bénéfices” explique Ricardo Scacchetti, fondateur d’Impact Track, une plateforme digitale dont l’objectif est de démocratiser la mesure d’impact social.
Outils et référentiels de la mesure d’impact
Il existe de nombreuses certifications plus ou moins indépendantes à travers le monde. Nous n’allons pas ici évaluer chacune d’entre elles, mais plutôt essayer d’établir quels sont les critères et outils retenus par nos 3 experts pour bien juger de l’impact d’une entreprise.
Parmi les certifications liées à l’environnement, citons tout de même les certifications B Corp, Eco-Management and Audit Scheme (EMAS) ou le tout récent Global Biodiversity Score (GBS).
Coté outils, la méthodologie de l’Impact Management Project (IMP) se dégage et semble être aujourd’hui le projet le plus abouti visant un consensus mondial autour des questions de la mesure de l’impact. Cette méthodologie se décompose en 5 axes :
- qui est impacté : la cible, le besoin
- en quoi les bénéfices attendus sur la cible sont ils importants ?
- combien : ce sont les indicateurs de mesure qui jugent de la performance de l’action (durée, portée, profondeur)
- contribution : quel est l’impact réel généré par l’activité de l’entreprise
- le risque si l’action menée ne remplit pas ses objectifs (différent du risque financier)
Une des finalités de la mesure d’impact des entreprises est de la rendre accessible à tous. Et pour cela, “la méthodologie d’évaluation se doit d’être simple ce qui n’est pas vraiment le cas au travers de cette matrice” note Ricardo Scacchetti.
Par ailleurs, en plus d’être accessible à tous, “il est important d’internaliser à l’entreprise la gestion de la connaissance de l’impact” d’après Pierre Fillaudeau, chargé d’investissement chez Lita.co, une plateforme d’investissement participatif pour entreprises à impact.
Autre outil évoqué par les participants à cette table ronde, le SROI pour Social Return On Investiment. Le SROI est un outil intéressant et un bon référentiel. Mais il reste limité car ne permet pas comparer l’impact de 2 entreprises. En effet car c’est un indicateur de monétisation de l’impact. Or on peut pas comparer une action qui aura un impact sur l’emploi et une action qui aura un impact sur le réchauffement climatique. La question reste donc entière : comment mettre toutes les actions à impact dans le même référentiel ?
Néanmoins, le concept d’efficacité amené par le SROI est intéressant et la solution est peut être toute trouvée : avoir des indicateurs spécifiques par secteur, plus clairs et uniquement liés à l’activité. Les participants s’accordant sur le fait que ces indicateurs, plus précis et plus transparents, seraient définis en amont et ce pour activité donnée.
Différents niveaux d’investissements solidaires
Pierre Fillaudeau rappelle ainsi le fonctionnement de Lita.co. Il y a d’un côté des critères de sélection pour qu’une entreprise à impact soit référencée sur la plateforme :
- critères pur impact, quel sont les impacts réels des actions menées ?
- critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) : ce sont des critères de bonne gestion au sein de la société : utilisation d’énergies renouvelables, gestion des déchets etc.
- critères économiques : c’est le retour sur impact social, s’assurer que l’action de l’entreprise est pérenne
Autre point vérifié par les équipes de Lita.co, pour chaque nouvelle entreprise référencée, une analyse de la communication de l’entreprise est effectuée. Comment communique-t-elle, pourquoi le fait-elle, les arguments utilisés sont ils à visée commerciale ou d’engagement ?
Ce n’est qu’en passant tous ces critères qu’une entreprise sera alors proposée aux investisseurs.
De l’autre côté Pierre nous précise les différents types d’investissements (entendre par là les différents niveaux d’intégration de l’impact dans le cadre d’un investissement responsable). Ce qui peut aussi correspondre au degré d’engagement voulu par les investisseurs.
Les fonds ISR (Investissement Socialement Responsable) constituent le premier niveau. L’idée est de cibler les grosses entreprises dont la vocation n’est pas d’être des entreprises à impact – cotées par exemple au Cac 40 – mais qui intègrent des critères ESG. C’est pour Pierre “une logique de moindre mal”. Le 2ème niveau correspond à des fonds dits 90/10 : 90% des investissements sont réalisés dans des fonds ISR, et 10% des investissements dans des entreprises solidaires non cotées à forte utilité sociale entreprises solidaire (ESUS). Enfin, l’épargne salariale ou investissement solidaire en direct vers des entreprises ou projets à impact. Même si des incitations fiscales existent, cela reste un pari risqué car ce sont la plupart du temps de jeunes structures. “Ce type d’investissements dénote plus une envie de soutenir un projet auquel on croit” détaille Pierre.
L’impact issu de la collaboration et l’entraide
« La collaboration est le carburant de l’Économie Sociale et Solidaire, notamment entre le monde associatif et les entreprises ou institutions » explique Binta Jammeh, co-fondatrice de Konexio, une association qui promeut l’inclusion des personnes réfugiées en s’appuyant sur l’innovation et la technologie. Une entreprise peut décider de travailler avec une association sur un sujet donné pour générer un impact. C’est même un process recommandé lorsque l’entreprise n’a ni les compétences ni le savoir faire en interne. La collaboration avec des experts de la thématique s’avère très efficace pour les 2 parties. Et permet à l’entreprise de s’inscrire dans une démarche d’impact réel.
Notamment à la suite de différentes collaborations, Danone a par exemple ajouté une mission sociale et environnementale au même niveau que sa mission financière dans ses statuts. Cela permet d’aligner l’activité globale de l’entreprise vers l’impact, et d’avoir un engagement clair. Mais aussi d’intégrer cette vision impact au niveau stratégique et opérationnel des prises de décision, ainsi qu’au quotidien.
“Il n’y a pas forcément besoin des licornes : les collaborations sont un très bon moyen de se développer dans l’ESS” conclut Ricardo Scacchetti, faisant écho à un sujet que nous avions traité ici.
Dernier point abordé lors de la conférence, les impacts négatifs. Car si on ne peut pas tous les éviter, il faut aussi penser à réduire l’impact négatif généré par les entreprises. Et savoir comment les gérer.
Et les participants de conclure cette table ronde par un questionnement autour de la transparence sur les impacts négatifs générés par les entreprises. Doit-on rendre public tous les impacts, et pas seulement les positifs ?