La réussite dans l’émergence de structures pérennes voire de licornes dans la mouvance Tech for Good ne viendrait donc pas de l’hyperscale (ou croissance exponentielle à tout prix). Ni de la loi de la jungle ou le plus gros mange le plus petit. Il existerait en effet une autre loi possible dans cette jungle : celle de l’entraide. Dans le règne animal, certaines espèces collaborent avec d’autres. Et au final, les gros sont gros parce qu’il y existe des petits. Ce qui est important, c’est l’écosystème. C’est pareil pour le monde de l’entreprise et plus particulièrement le secteur de l’ESS (économie sociale et solidaire).

Il faut favoriser la convergence entre les projets et ne pas faire émerger un champion au détriment de tous les autres (ce qui semble être une spécialité française). La tendance serait donc de favoriser l’entraide à plusieurs, car comme le répète Frédéric Bardeau CEO de Simplon.co : « les gros de demain n’émergeront que si il y a des petits à côtés ». Et dans le monde de l’ESS qui grossit rapidement, il semblerait que ça soit le modèle tout trouvé à adopter.

 Liza Belozerova (Google.org) et Paul Duan (Bayes Impact) sur le Web2Day 2019
Liza Belozerova (Google.org) et Paul Duan (Bayes Impact) sur le Web2Day 2019


L’entraide comme clé pour faire grandir les entreprises orientées Tech for Good

Plusieurs pistes de collaborations sont envisageables. La première, la fusion ou joint-venture entre entreprises qui ont une cause commune. Plusieurs exemples réussis existent insiste Frédéric. Comme Ares (Fondation Accenture) et Investir&+ qui se sont alliés pour créer la co-entreprise Acces Inclusive Tech qui oeuvre pour l’insertion professionnelle par le numérique.

De leur coté, Passeport Avenir et Frateli, deux des plus importantes associations en France de lutte contre l’inégalité des chances dans l’accès aux études, mais toutes les deux de taille moyenne et concurrentes ont décidé de fusionner pour mutualiser les financements, les coûts ou les levées de fond. De cette fusion est née Article 1 dont l’impact est aujourd’hui plus fort qu’avant la fusion. Une autre piste semblable est celle de la coopération territoriale qui permet également de fédérer acteurs et territoires par la coopération.

Autre piste pour faire émerger des licornes ESS, se baser sur l’open source pour faire croître d’avantage les modèles à impact qui fonctionnent. Le principe ici est de laisser l’idée libre si quelqu’un souhaite s’en emparer et la faire scaler. L’exemple type de Simplon.co qui laisse son modèle libre d’accès pour de potentielles duplications ailleurs dans le monde.

« il faut que des micro projets convergent, s’entraident et donnent des licornes décentralisées »

Frédéric Bardeau. Simplon.co


Enfin, la collaboration entre grands groupes et start up est très importante. La bonne nouvelle c’est que l’écosystème tech français s’y met petit à petit et les fameux gros (BNP, Capgemini, France Digitale, BPI, StationF) commencent à travailler ensemble sur ces sujets. Ensemble on est plus forts vous dit-on.

Quelle que soit la piste d’entraide choisie, la création du FEST (France Eco-Sociale Tech) a été et est essentielle. Le FEST a pour objectif de cartographier et de structurer l’écocsysteme naissant de la Tech for Good en France. A date 140 membres y trouvent une maison commune pour se retrouver sur des sujets variés mais communs à tous : juridique, investisseurs, capital risque, etc.

Et si le plus gros grain de sable dans le passage à l’échelle des entreprises de l’ESS était finalement la technologie elle même ? Est ce que les licornes actuelles sont compatibles avec la mouvance Tech for Good ? Est ce que la vraie finalité de tout cela serait de ne pas créer des licornes ESS, mais bien de faire des licornes actuelles des entreprises responsables ? Et Frédéric Bardeau de conclure « il faut que des micro projets convergent, s’entraident et donnent des licornes décentralisées ». On parlerait alors d’un cross-concept de low-tech4good.

groupe de personnes


La nécessité d’une volonté politique

La volonté politique est un autre pilier de la réussite du passage à l’échelle pour les entreprises de la mouvance Tech for Good. « Cette volonté est nécessaire, il faut nouer des partenariats et avoir la volonté de construire ensemble avec le service public » assène Liza Belozerova, Program Manager Europe & Sub-Saharan Africa chez Google.org

Car en effet, pour qu’une initiative à impact positif passe à l’échelle, c’est à dire qu’elle ait un impact positif pour des millions de personnes, cela nécessite d’associer les initiatives privées avec le secteur public et les gouvernements. Il manque aujourd’hui ces mécanismes de création disruptive orientés « good » entre les initiatives privées d’intérêt général et les organismes publics. Il faut que les initiatives privées aident le service public, puis que derrière les deux s’associent pour passer à l’échelle.

Le besoin est « à former des réseaux pour que le service public devienne la plateforme qui redirige derrière vers ces initiatives privées orientées « good » et non profitables » explique Paul Duan, fondateur de l’ONG Bayes Impact.

« les gros de demain n’émergeront que si il y a des petits à côtés »

Prenons l’exemple de la Fondation Google.org. C’est en France que la fondation soutient le plus grand nombre d’associations en Europe. En partie car notre gouvernement est plutôt jeune, issu de d’une génération plus ouverte sur ces sujets. Dans certains pays européens, la barrière générationnelle existe et rend les discussions plus compliquées. C’est encore différent aux Etats-Unis, où on laisse le marché faire son effet et si cela ne produit pas de résultats dits à impact, alors on enclenche le modèle de la philanthropie.

Il apparaît donc nécessaire que les services publics construisent ensemble avec les acteurs de la tech car il n’y a finalement pas d’intérêt d’être en opposition systématique (la question de la sécurité des datas reste néanmoins un vrai sujet). Mais il faut cette volonté de construire ensemble, notamment côté emploi.

Le Web2day fait la part-belle à la Tech for Good et aux technologies de demain.
Le Web2day fait la part-belle à la Tech for Good et aux technologies de demain.


Se financer par la philanthropie durable ?

Au travers de dons monétaires, la fondation Google.org aide financièrement les associations et entreprises de l’ESS afin qu’elles arrivent à croître durablement. Il s’agit de missions de mécénat de compétence ainsi que d’un suivi dans le temps. Les dons de la fondations représentent 1% du CA Google par an, soit environ 200 millions de dollars par an (dont 12 en France).

La philanthropie est donc une autre piste intéressante pour faire émerger durablement les entreprises et initiatives du secteur de l’ESS. À condition d’être durable, et que ces missions fort louables aient une vision à long terme, et ce dès le premier euro ou dollar versé. Il faut se détacher du modèle court-termiste car on ne sait jamais si l’entreprise ou l’association financée sera durable. Il faut généralement deux ou trois ans avant de commencer à avoir une idée claire. La nécessité de s’investir à long terme dès le départ est donc primordiale pour la philanthropie.

Par ailleurs dans le cadre de la philanthropie il faut dépasser la question du modèle économique dans le financement, et penser à financer les opérationnels, les équipes, favoriser le recrutement et les outils pour permettre à ces entreprises de pouvoir se développer. Le budget philanthropique devrait servir à financer ces structures. Il faut aider à l’expertise et pas toujours se focaliser sur le projet en lui même. « On oublie qu’une asso ou une entreprise de l’ESS ce sont des gens opérationnels avec des budgets etc. c’est une erreur de l’oublier : il faut aider à l’expertise des ces personnels » explique Liza Belozerova.