Beeguard est une startup française qui propose des capteurs et solutions connectées aux apiculteurs afin de les aider à améliorer leur activité et à mieux protéger leurs ruches. Mais les données récoltées via les ruches et les abeilles permettent d’ailler encore plus loin et de pouvoir étudier la qualité environnementale des milieux alentours. Une solution de biosurveillance utile pour la recherche, mais aussi pour les entreprises et collectivités qui souhaitent améliorer leurs pratiques.



Les Horizons : Pouvez-vous nous parler de la genèse de votre entreprise ?

Christian Lubat : Beeguard a été créée en 2016, à l’issue d’un projet de recherche que l’on a mené avec des apiculteurs. Le but était tout simplement d’apporter une certaine vision à distance de l’activité de leurs ruches tout en sécurisant leur localisation. L’idée était donc de travailler sur de la collecte de données et d’en profiter pour avoir la géolocalisation en continu des ruches équipées.

Le point fondamental, c’était d’apporter des mesures pour aider les apiculteurs à être le plus synchronisés possible avec leurs abeilles. C’est une aide à la décision pour certaines circonstances, par exemple, si elles n’ont pas assez de nourriture dans leur environnement, ou lorsque de mauvaises conditions météo se prolongent comme au printemps dernier. Les apiculteurs doivent intervenir pour essayer de compenser ces conditions. 


Pour résumer, vous commercialisez une balance de ruche connectée, un antivol GPS pour ruche, une station météo connectée et une application de gestion de ruchers. Qu’est ce que vos produits apportent aux apiculteurs ?

Notre particularité, c’est qu’on a voulu avoir une vision à 360° pour l’apiculteur. Nous ne voulions pas forcément travailler sur un seul capteur mais plutôt leur offrir un panel complet autour de leurs besoins. Nos produits permettent ainsi de mesurer la quantité de miel produite, mais aussi la dynamique de la colonie, le taux de mortalité, la température interne de la ruche. Cela implique aussi la sécurité, avec l’antivol, la mesure de poids, pour la mesure du rendement du butinage, ou encore la mesure de l’élevage de la reine et de la ponte et la contextualisation de la météo à distance ainsi que le registre d’élevage.

Notre dernière nouveauté c’est un produit appelé ApiAlert. Nous avons rajouté à l’avant de la ruche un compteur d’abeille qui nous permet aussi d’observer la mortalité qui a lieu à l’extérieur. Cela permet de rajouter la notion de pression chimique de l’habitat. Par exemple, s’il y a des substances chimiques qui sont répandues autour des ruches, on va avoir une augmentation drastique de la mortalité que nous pouvons détecter le jour même.


Que deviennent les données collectées par ces produits ?

On a une approche respectueuse de la propriété de la donnée, parce qu’on sait qu’elle a une valeur. On vend un service à un agriculteur, si derrière, on déverse la donnée en libre-accès pour tout le monde alors qu’il a payé pour l’avoir, cela revient à baisser son fond de commerce. Par principe, toutes les données appartiennent à ceux qui les collectent. Après, comme nous travaillons avec la recherche publique, nous proposons à nos clients de partager tout ou partie leurs données. Mais c’est soumis à un consentement éclairé. C’est une logique d’ouverture des données mais on reste dans l’intérêt de ceux qui ont mis en place cette collecte.

Rucher avec le nouveau compteur ApiAlert de Beeguard


Vous avez aussi des activités de biosurveillance, pouvez-vous nous en parler ?

Les données que nous collectons sont une photographie de l’activité et de la santé des abeilles, évidemment utiles pour l’apiculteur. Mais elles permettent aussi d’obtenir une photographie de la qualité environnementale vue par les pollinisateurs. En traitant les données différemment, nous sommes capables de proposer un autre service qui s’adresse aux acteurs – agriculteurs, entreprises ou collectivités locales – qui souhaitent modifier leurs pratiques pour venir rééquilibrer l’environnement. L’avantage, c’est que tout le monde peut être acteur, que ce soit les agriculteurs ou les entreprises. On peut équiper des ruches déjà présentes et collecter de la donnée pour cibler les actions les plus efficaces pour renforcer la qualité des habitats des pollinisateurs.


Même si les abeilles sont des pollinisateurs particulièrement importants, pensez-vous élargir cette biosurveillance à d’autres insectes ou animaux ? 

Les chercheurs ont qualifié les abeilles d’espèces sentinelles, et même d’espèces parapluies. Les scientifiques les analysent depuis des années. Le fait que les abeilles puissent revenir dans la ruche permet de gagner en observation. Actuellement, nous sommes partie prenante dans un gros projet qui s’appelle Econect, qui regroupe 6 laboratoires du CNRS dont le CRCA à Toulouse qui est spécialiste du comportement des insectes et des abeilles. Le projet concerne trois sentinelles de l’environnement : les abeilles, les mésanges et les escargots d’eau douce.

Le but, c’est de mettre une douzaine de stations de mesure pour voir s’il y a des liens ou des éléments qui sont détectés par une espèce plutôt qu’une autre. On s’aperçoit qu’avec les outils numériques, dont l’IA, on peut massifier les données et monter en échelle. La récolte de données est difficilement faisable en masse, surtout dans le domaine agricole, et elle doit se faire sans entraver la pollinisation. Ce qu’on souhaite, c’est travailler en symbiose avec la nature.

Les données que nous récoltons sont une photographie de la qualité environnementale d’un milieu vue par les pollinisateurs


Quels ont été les freins à votre développement ?

Nous sommes vraiment centrés sur l’innovation et les early adopters ne sont pas majoritaires sur le marché. Il a fallu prouver notre positionnement et l’intérêt de nos produits. Cela passe par le retour d’expérience. C’est pour cela que nous avons attendu avant de faire notre première levée de fonds, nous souhaitions d’abord valider l’attraction du marché et avoir des références. Si c’était à refaire, cependant, nous irions chercher le budget plus tôt pour accélérer notre entreprise. 


Où en êtes-vous aujourd’hui dans votre développement ?

Actuellement, nous avons 450 clients et nous avons déployé plus de 4 000 ruches connectées. Principalement en France, cela reste notre premier marché et nous voulons continuer à nous développer ici, mais nous sommes aussi présents en Italie et en Suisse. Nous avons également plusieurs projets en R&D, le projet Econect, et un autre projet en partenariat avec l’INRAE. Pour la biosurveillance, nous n’en sommes qu’au démarrage, mais nous souhaitons que cela compte pour 50% de notre chiffre d’affaires à terme. Nous avons encore du chemin pour nous faire connaître mais nous sommes en train de croître. Aujourd’hui, nous sommes six personnes dans l’équipe. Il y a encore 1 an et demi, nous étions trois.


Votre entreprise est-elle rentable à l’heure actuelle ?

L’entreprise est rentable, nous réalisons 210 000€ de CA mais nous souhaitons accélérer, recruter, développer le pôle R&D et le côté commercial. Pour nous, c’est le bon moment pour développer notre activité parce qu’il y a une prise de conscience. D’ailleurs, nous sommes en pleine phase de levée de fonds. Nous avons déjà levé 250 000€ auprès d’un fonds Occitan et nous avons intégré le dispositif épargne Occitanie. Nous sommes aussi en fin de collecte d’une opération de crowdfunding sur Wiseed. C’est un financement participatif, ce sont des actions. On ouvre notre capital et tout le monde peut faire un placement financier sur une entreprise rentable, locale et avec une activité qui a du sens. La campagne finit le 4 novembre. 

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