La désertification était le grand sujet de la COP15 qui s’est tenue au mois de mai dernier à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Mais si la désertification touche tous les continents et constitue un enjeu planétaire, elle touche plus particulièrement le continent Africain, dont 45% des terres doivent faire face à ce défi. Et pour cela, l’idée principale qui est envisagée depuis les années 1980 est celle d’un reboisement massif du continent africain pour ralentir la désertification. Un projet qui a vu le jour officiellement en 2007 sous l’appellation de « Grande muraille verte ».
Ce projet, c’est celui d’une grande reforestation du continent, d’Est en Ouest, sur une bande de près de 8 000 kilomètres allant du Sénégal à Djibouti. En 2007, ce sont onze pays qui s’associent dans cette optique avec le souhait commun de réhabiliter les paysages dégradés du continent. En tout, près de 100 millions d’hectares de terres sont concernés.
Un projet de taille, soutenu par nombre d’institutions internationales, parmi lesquelles la Banque Mondiale, l’ONU, la FAO ou encore l’IUCN. Depuis ses débuts, l’opération a reçu près de 2,5Mds d’euros et vise à séquestrer 250 millions de tonnes de CO2 et à créer pas moins de 10 millions d’emplois « verts » d’ici 2030.
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Le changement climatique : un facteur aggravant
L’objectif a quelque peu changé depuis sa création. Ce qui devait être à l’origine une barrière de verdure pour restaurer les terres a fini par intégrer d’autres problématiques et devenir un véritable projet de développement rural. Et pour cause : la région est traversée par des crises multiples et interdépendantes, que le changement climatique ne fait qu’accentuer. Depuis plusieurs années maintenant, la région du Sahel fait ainsi face à des phénomènes météorologiques de plus en plus imprévisibles et violents. Aux pluies torrentielles qui ont dévasté la région il y a deux ans a succédé une sécheresse historique : par exemple, cela fait maintenant plus d’un an et demi qu’il n’a pas plu en Éthiopie.
Des catastrophes à répétition, qui font des milliers de victimes et affectent directement les ressources naturelles et les sols. Une menace d’autant plus grande pour les populations que l’agriculture demeure le moyen de subsistance de deux personnes sur trois dans la région, soit 135 millions de personnes.
Et d’ailleurs, si les activités pastorales et les pratiques agricoles de cette partie du monde ont un temps été adaptées au climat aride de la région, voilà que le changement climatique accentue les pressions exercées sur les territoires et fait pointer d’autres défis : une population jeune qui peine à trouver un emploi ; des conflits liés à la disponibilité des terres ; des pénuries d’eau de plus en graves. On rappelle ainsi que la sécheresse en Éthiopie a tué près de 1,5 million de bêtes de bétail, dont dépendait une grande partie des populations nomades de la région pour vivre. C’est désormais le spectre d’une crise alimentaire sans précédent qui menace de famine 12 millions de personnes selon l’ONU, soit trois fois plus qu’en 2019.
Une initiative qui se veut fructueuse
Bien sûr, le changement climatique n’est pas le seul facteur à l’œuvre. Il n’en demeure pas moins l’une des causes principales et un accélérateur de catastrophes. En effet, celles évoquées précédemment sont à l’origine de déplacements de populations, dans une région déjà prise en étau par les groupes armés et les opérations militaires. À tel point que l’ONU estime que plus de 4,6 millions de personnes ont été contraintes de quitter leur foyer, sous l’effet combiné des crises alimentaires, de la pauvreté et des conflits armés.
Une chose est certaine cependant : dans une région avec une telle imbrication des crises, la sauvegarde des terres et l’accès aux ressources sont primordiaux. Ces derniers y revêtent une dimension politique, sociale et économique particulièrement forte. Et dans ce contexte, la Grande Muraille Verte apparaît bel et bien comme un « symbole vivant d’espoir », selon les mots de l’UNCCD. À travers la reforestation et les missions de restauration, c’est aussi un usage différent des terres qui est encouragé. C’est l’ambition d’associer résilience, sécurité alimentaire et croissance économique dans une des régions les plus fragiles du monde.
Pour cela, une grande partie des actions repose sur l’enseignement agricole : formation des agriculteurs, actions de restauration… autant de mesures bénéfiques pour les humains et pour la biodiversité. Ainsi, la reforestation et les reboisements jouent un rôle important dans le projet. Les arbres font office de brise-vent et viennent protéger les terres de l’érosion tandis que des trouées dans la végétation servent de pare-feu et ralentissent la progression des incendies.
Des plantations qui ont aussi permis de développer l’agroforesterie. Ainsi, jardins et vergers permettent aux agriculteurs de diversifier leur production et d’augmenter leurs revenus. Ces mesures de restauration et de gestion durable ont pour objectif d’augmenter la productivité des terres.Un véritable travail est également mené pour répondre au défi posé par la disponibilité en eau dans la région.
Les cultures en terrasse permettent par exemple une meilleure retenue de l’eau pour les cultures, tout en luttant contre l’érosion. Autre point intéressant, le projet s’appuie aussi sur des méthodes traditionnelles : celle du Zaï par exemple, qui consiste à creuser des fosses qui retiennent l’eau et dans lesquelles s’accumulent le compost. Une façon de capter l’eau, et d’augmenter la fertilité des sols. Une méthode qui a permis d’augmenter les revenus des cultivateurs burkinabés, et de renforcer le système alimentaire du pays.
Car outre l’atténuation des risques climatiques, l’initiative sert d’autres Objectifs du Développement Durable. En effet, si les crises sont exacerbées au Sahel, c’est là comme ailleurs une nécessité : assurer une transition écologique juste et sociale. Parmi ces objectifs, la diminution de la pauvreté rurale et la sécurité alimentaire. En ce sens, le soutien apporté aux populations rurales a permis de créer 350 000 emplois, et a généré près de 90M de dollars.
Et maintenant ?
La Grande Muraille Verte a encore du chemin à parcourir. Le rapport sur son avancement et la marche à suivre à horizon 2030, paru il y a deux ans est clair sur ce point. Les États membres devraient ainsi restaurer plus de 8M d’hectares de terres et investir plus de 4Mds de dollars par an pour atteindre l’objectif initial, alors que 4% des territoires de la zone ont été restaurés et que les résultats sont assez variables selon la date de mise en œuvre dans chaque pays.
Le Sénégal par exemple, fait figure de bon élève avec 50 000 hectares restaurés, pour un objectif de 150 000ha en 2030. En la matière, le défi tient dans la nature-même de l’opération : il est crucial de suivre la survie des arbres plantés dans la première décennie suivant leur plantation pour pouvoir déterminer le succès de l’opération.
De réels efforts sont donc attendus pour pouvoir poursuivre. L’initiative pâtit en effet du manque de politiques nationales à la hauteur. Et, sur onze pays participants, huit demeurent des zones de conflits armés, qui freinent la mise en place d’initiatives sur le terrain. Enfin, des financements supplémentaires sont également nécessaires.
En la matière, c’est à l’occasion du One Planet Summit, que M. Macron a annoncé la création du Great Green Wall Accelerator. À la clef de ce dispositif au nom hollywoodien : plus de 14Mds de dollars de financement supplémentaire afin de mieux coordonner les actions et leur suivi et relever les défis évoqués plus haut. Les investissements de l’accélérateur visent les exploitations agricoles pour soutenir les économies locales, et la restauration des terres et le développement des énergies renouvelables, pour développer la résilience de ces sociétés.
Tout récemment, une université d’été s’est tenue début juillet à Poitiers, qui rassemble des chercheurs africains et européens pour mener une réflexion collective sur la changement climatique dans la région du Sahel. Une façon de redonner de l’impulsion au mouvement et soutenir les actions sur place.