Afin de mettre en œuvre ses ambitions de réduction des émissions de CO2, L’UE et les 27 États membres ont voté fin octobre l’interdiction à la vente des voitures neuves thermiques – essence et diesel – en 2035. Les voitures électriques seront alors les seuls véhicules neufs autorisés à être mis en circulation sur le marché européen.
Annoncée par certains comme la solution pour répondre aux enjeux des transports de demain, considérée par d’autres comme une aberration écologique, la voiture électrique va quoiqu’il en soit devenir incontournable. Malgré certaines idées reçues tenaces, il n’y a pas photo entre la motorisation électrique et thermique du point de vue émissions de gaz à effet de serre (GES). Cela ne signifie pour autant en aucun cas que l’électrique est l’unique solution.
Car même avec les avancées des dernières technologies, la motorisation électrique sera à elle seule très insuffisante pour résoudre l’équation complexe des mobilités, secteur qui représente 38% des émissions de CO2 en France. Réduire la taille des véhicules et user de plus de sobriété dans les usages sont par exemple deux éléments incontournables pour réussir la transition dans les transports.
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L’électrique bien moins émetteur que le thermique
Coupons court à tous les fantasmes tout de suite : non, un véhicule électrique n’est pas “propre”. En revanche, il peut être qualifié de “bien plus propre que le thermique ». La production d’une voiture électrique émet plus de gaz à effet de serre que son équivalent thermique, essentiellement à cause des batteries. Mais ces émissions sont très largement compensées lors de l’utilisation du véhicule, le véhicule électrique n’émettant ni CO2, ni particules lorsqu’il circule. Lors de sa durée de vie complète – de la fabrication jusqu’à la fin de vie -, une voiture électrique émettra en moyenne 3 fois moins de CO2e (en gCO2e/km) que son équivalent thermique. Le gain est donc bien là. Et il n’est pas négligeable, en particulier en France.
Car il est pertinent de questionner l’impact des véhicules électriques en matière d’émission de GES, selon le pays dans lequel elles sont utilisées. En effet, le vrai avantage de l’électrique se situe dans la très faible consommation d’énergie sur leur durée de vie. Plus la production d’électricité du pays est décarbonée, mieux c’est. C’est pourquoi la France ressort en très bonne position au niveau européen. Et ce sera encore plus le cas lorsque la batterie sera fabriquée sur le territoire (pas avant 2025).
En attendant et comme on peut le constater sur le graphique du rapport de l’ONG Transport & Environnement, même dans le pire des cas, c’est à dire en Pologne qui est le mauvais élève européen en matière de décarbonation de son électricité, une voiture électrique émettra malgré tout 22% de CO2 de moins que son équivalent diesel et 29% de moins que l’essence.
“Même lorsqu’elles sont rechargées à partir d’un mix électrique dominé par le charbon, comme en Australie, en Chine ou en Pologne, les émissions des voitures électriques sont dès aujourd’hui inférieures à celles des voitures thermiques sur leur cycle de vie. Ainsi, les voitures électriques sont déjà meilleures pour le climat que les voitures thermiques dans la plupart des pays du monde” note ainsi le cabinet Carbone 4. Si on part en plus du principe que les mix énergétiques de chaque pays vont tendre à se décarboner dans les années à venir (c’est bien l’objectif non?), ce constat sera encore davantage appuyé dans le temps.
La question du kilométrage minimum afin que l’électrique devienne préférable pour le climat plutôt que le thermique, est une sous question du débat qui revient régulièrement. Mais elle est en fait mal posée. Carbone 4 a travaillé à différents scénarios qui montrent que le point de bascule pour que la voiture électrique devienne moins émettrice que son équivalent thermique se situe aux alentours de 30 à 40 000 km parcourus, soit 3 ans d’utilisation en moyenne d’apres les statistiques gouvernementales à 12200 km par an. Mais cette question est mal posée car tout véhicule mis en circulation aura une durée de vie moyenne d’environ 200 000 km. Il est donc préférable dans tous les cas que la motorisation soit électrique plutôt que thermique.
Le poids des véhicules en question
Ce qui n’empêche pas que l’impact environnemental d’une voiture électrique peut dans certains cas s’avérer plus que problématique. En particulier pour les véhicules lourds, comme les SUV. Plus un véhicule est imposant et lourd, plus il est composé de matière et plus il consomme. Et la motorisation électrique ne change pas les lois de la physique. Il faudra donc l’équiper d’une batterie plus grosse pour répondre à ce plus gros besoin énergétique, et lui assurer une autonomie minimum acceptable. Ce sont donc plus d’émissions liées à la fabrication d’une batterie plus importante.
Dans la même étude, Carbone 4 a comparé la citadine Volkswagen e-Up avec le SUV e-Tron de chez Audi Le poids de la batterie de l’e-Tron est de 700 kg alors qu’il est de 248 kg dans l’e-Up. Résultat, l’e-Tron a une empreinte carbone plus de 2 fois supérieure à une Volkwagen e-Up, pour 150 000 km parcourus !
Le problème est que le SUV est devenu en très peu de temps le format de véhicules le plus vendu en France et en Europe, avec 50% des ventes pour ce segment qui n’existait pas il y a encore quelques années. On parle même de SUVisation du parc automobile. “La ‘SUVisation’ du parc automobile vient annuler tous les progrès techniques de ces dernières années en termes de motorisation ou d’allègement des matériaux” confiait Mathieu Chassignet de l’ADEME à Franceinfo.
Pour rappel, l’objectif est d’électrifier petit à petit le parc automobile dans son ensemble. Or les SUV représentent le segment le plus rentable pour les constructeurs. Pas question en l’état pour ces derniers de changer les lignes de production, hormis pour la motorisation donc. Et c’est la que se pose le problème : électrifier ces « tanks » à l’heure où on devrait repenser nos déplacements avec plus de sobriété, en remettant par exemple en question la taille de nos moyens de locomotion individuels.
Le tout électrique pose nécessairement et dès aujourd’hui la question de l’approvisionnement et de la disponibilité finie des ressources pour les batteries (lithium, cobalt, cuivre…). Mais aussi le coût environnemental de l’extraction, sans oublier les coûts humains et sociaux engendrés. Tout passer à l’électrique va faire de ces problématiques les enjeux de demain. Mais en plus de cela, s’il nous faut électrifier un parc constitué en majorité de véhicules de plus de 2 tonnes, l’équation s’annonce très complexe à résoudre.
Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports, a poussé la comparaison sur la taille un peu plus loin, en comparant une citadine électrique légère avec d’autres véhicules électriques plus petits, comme la Twizzy de Renault, le vélomobile, ou les vélos à assistance électrique (comparaison évidemment pertinente que pour une application urbaine). Le constat est le même qu’entre la citadine et le SUV : qui dit véhicule électrique lourd dit plus de matière et une plus grosse batterie pour répondre à son besoin énergétique. La citadine électrique se retrouve donc largement plus émettrice que les autres modes de transports doux.
L’électrification loin d’être suffisante
L’électrification du parc n’est donc qu’une partie de la réponse en vue de décarboner le secteur des transports. Ou plutôt, c’est une réponse qui ne couvre qu’une partie du problème. Car, au delà de la taille des véhicules, si basiquement le parc reste constitué du même nombre de véhicules, même électrifiés, nous aurons les mêmes problématiques d’occupation de l’espace public, d’encombrement des voies et de circulation. Une voiture reste une voiture. Et si passer du thermique à l’électrique est souhaitable, il faut nécessairement que cela soit couplé à plus de sobriété dans les usages : produire moins de véhicules et des véhicules plus sobres, en particulier concernant leur taille et leur poids.
Mais également coupler cela à davantage de sobriété dans les usages. Comme privilégier les transports collectifs (tram, bus, trains, etc. électriques ou non) lorsque cela est possible – cela requiert un investissement de l’Etat et des collectivités afin de développer l’offre, mais c’est un autre débat -, lé vélo, la marche à pieds, le covoiturage… C’est ce qu’on appelle le report modal. Et c’est le socle de la sobriété d’usage, indispensable pour relever le défi.