La désindustrialisation est un mécanisme structurel touchant toutes les économies des pays développés depuis 30 ans. Suite aux crises récentes, dont évidemment celle du Covid-19, l’idée d’un redéploiement industriel sur le territoire a fait son chemin, et est en passe de devenir une réalité. Les conséquences économiques et sociales de la désindustrialisation sont certes douloureuses mais bien identifiées : destructions d’emplois, aggravation des fractures sociales, profondes modifications et perte de productivité des territoires.
Si, en premier lieu, on peut donc se satisfaire des enjeux économiques et de souveraineté nationale auxquels répond une politique de réindustrialisation, quel est l’impact de cette démarche sur le climat ? Quel a été le bilan de cette désindustrialisation sur l’environnement, et est ce que la réindustrialisation d’un pays comme la France serait compatible avec les objectifs liés à l’environnement ?
Le phénomène de délocalisation de ces dernières années a mécaniquement entraîné en bout de chaine un boost des importations de productions délocalisées. Et pour savoir si la relocalisation est compatible avec nos objectifs climatiques, il apparait donc comme nécessaire de suivre un indicateur qui serait basé sur l’ensemble du cycle de production, et qui intégrerait donc les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à ces importations.
De l’importance de raisonner en empreinte carbone
Historiquement, lors des discussions internationales liées aux GES, les objectifs négociés l’étaient sur la base d’émissions liées à un territoire. Donc sur la base du lieu de production, ce qui exclut de fait les importations. C’est ce qu’on appelle l’inventaire national. “Cette méthode basée sur l’inventaire national est aveugle à tout phénomène de délocalisation qui n’a rien de vertueux en terme d’émission de GES au niveau mondial” explique Sébastien Jean, Directeur du CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), avant de poursuivre “On peut donc avoir des illusions d’optique liés à la façon dont on approche les objectifs de réduction de GES”. Ce que rappelle également le Haut Conseil pour le Climat dans un récent rapport.
Pour se rendre compte des impacts environnementaux de la désindustrialisation de manière objective, il faut avoir une vision globale de la lutte contre les émissions de GES. L’empreinte carbone semble être un indicateur pertinent car il permet justement d’apprécier les pressions d’un pays sur le climat en se basant sur les GES induits par le lieu de consommation finale et non plus sur le lieu de production. Raisonner en empreinte carbone, et non plus par l’approche territoriale de l’inventaire national, permet donc de prendre en compte les émissions importées dans le calcul. C’est à dire les émissions qui se sont produites à l’étranger durant la chaîne de production, ainsi que lors du transport. Rien que sur cette base, les constats – et donc les enjeux – ne sont plus les mêmes. La masse de l’empreinte carbone de la France étant en effet 52% plus élevée que son inventaire national.
En France en 2016, l’empreinte carbone s’établissait à 666 millions de tonnes équivalents CO2 (Mt CO2 éq). Les émissions nettes importées (biens et services) représentaient alors 51% des émissions nationales en 2016. Ce chiffre atteignant 57% en 2018. Si on compare les évolutions des deux indicateurs sur la période 1995-2015, l’inventaire national diminue de 25% pendant que l’empreinte carbone, elle, augmente de 11%. Cela est dû en grande partie aux importations qui se sont nettement accrues sur la période (+85%), et qui découlent du mécanisme de désindustrialisation. Ces importations sont fortement carbonées car les pays qui exportent vers la France ont la plupart du temps, soit un mix énergétique plus carboné, soit des réglementations moins ambitieuses (ou moins contraignantes, c’est selon) sur le climat, soit des technologies plus émettrices. Soit les trois.
La désindustrialisation a donc engendré une augmentation des importations, qui ont généré 50% d’émissions de GES supplémentaires comparé à une production maintenue sur le territoire national
La double peine économique et environnementale de la désindustrialisation
La branche Développement Durable du cabinet Deloitte a récemment mené une étude intitulée « Impact de la désindustrialisation sur l’empreinte carbone de la France ». Cette étude estime, chiffres à l’appui, l’impact de la désindustrialisation sur l’empreinte carbone de la France en se basant sur 7 filières françaises très émettrices de GES (acier, aluminium, ciment papier, PVC, sucre et verre plat), et sous la dimension du commerce international.
D’un point de vue économique, l’analyse de la période 1995-2015 montre sans surprise une dégradation des soldes commerciaux – dégradation de la position de l’industrie française dans la concurrence internationale – ce qui se traduit par une accélération des importations. De nombreuses analyses économiques à ce sujet attestent de ce mouvement qui a touché l’ensemble des industries étudiées.
Les émissions nettes importées représentaient alors 57% des émissions nationales de GES en 2018
En revanche, l’étude apporte de nouveaux éléments concernant les impacts environnementaux de cette désindustrialisation. Pour cela, Deloitte a établi des couples filière/pays partenaire commercial. Pour chaque couple, l’idée était de mesurer le niveau des productions françaises qui a été substituée par des importations, et d’y appliquer l’écart moyen d’intensité carbone entre la France et le pays partenaire.
Le résultat global est éloquent : une augmentation de 50% des émissions de GES associées à ces volumes de production substituée. En résumé, la désindustrialisation a donc engendré une augmentation des importations, et ces importations ont généré 50% d’émissions de GES supplémentaires comparé à une production maintenue sur le territoire national. L’équivalent en volume de ces 50% supplémentaires est estimé à plus de 2 millions de tonnes (en eqCO2).
En terme d’émission carbone, une production en France est très largement et systématiquement préférable à une production importée
L’industrie française parmi les plus efficaces du monde sur le plan énergétique
En adoptant la vision globale que permet l’empreinte carbone, l’étude nous enseigne donc que le recul des industries dû au mouvement de délocalisation aurait eu un impact environnemental d’une grande ampleur depuis 20 ans. Ce que cacherait la même analyse en inventaire national. “C’est une double peine économique et environnementale” en conclut Nicolas de Warren, Président de l’UNIDEN, l’Union des industries utilisatrices d’énergie.
Dans le détail, on distingue 2 groupes de partenaires commerciaux qui contribuent différemment à l’augmentation de l’empreinte carbone de la France. Les partenaires extra européens, pour lesquels on observe des volumes de productions substituées faibles mais des différentiels de niveaux d’émissions très élevés. La Chine arrive en tête notamment pour l’aluminium ou le PVC. Et les partenaires européens – notre commerce est tout d’abord intra européen – pour lesquels les écarts d’émissions sont faibles mais les volumes substitués conséquents. Domination de l’Allemagne à ce niveau, particulièrement pour l’industrie du papier.
Il en découle une conclusion implacable : en terme d’émissions carbone, une production en France est très largement et systématiquement préférable à une production importée (production et transport). Les principales raisons résident dans le fait que le mix énergétique de la France est très faiblement carboné. La France possède en outre une avance relative dans l’efficacité environnementale des procédés (d’où l’importance des investissements privés et publics à ce niveau) : l’industrie française compte en effet parmi les plus efficaces au monde sur les plans énergétique et climatique. Et enfin le transport s’ajoute nécessairement au déficit des importations dans ce calcul de l’empreinte carbone.
Mais l’étude va plus loin puisqu’elle rend des travaux de prospective en modélisant une potentielle réindustrialisation, afin d’en estimer les bénéfices sur ces filières.
Une réindustrialisation pour remplir les objectifs liés au climat
La méthodologie de calibrage appliquée par Deloitte a été affinée par filière, chacune évoluant dans des contextes internationaux qui lui sont propres. Par exemple un rééquilibrage en matière de commerce international vis à vis de tous les partenaires pour le verre ou le PVC, un rééquilibrage uniquement pour les partenaires extra européens pour l’acier, ou une simple réduction du déficit commercial pour la filière papier.
Chaque filière obtient ainsi une estimation de volumes de reconquêtes sur la base de volumes observés d’importation. À ceci s’ajoute une modélisation de la part du cabinet des évolutions annoncés des mix énergétiques futurs pour chaque pays partenaire selon les Accords de Paris. On obtient alors un scénario de réindustrialisation à 2035 pour chaque filière.
Au vu des résultats de l’étude, le bénéfice d’un redéploiement industriel sur le territoire national serait alors double. Économique tout d’abord, avec des retombées positives logiques en matière de gains de production, de valeur ajoutée et d’emplois. Mais également des gains environnementaux conséquents : 5,2 millions de tonnes eqCO2 potentiellement évitées et une contribution positive pour toutes les filières étudiées. Dans l’optique d’un redéploiement sur le territoire des filières observées, elles seraient alors toutes en moyenne plus efficaces en terme environnemental que les partenaires commerciaux qu’elles remplaceraient.
La France semble armée pour produire bas carbone sur son territoire, une réindustrialisation contribuerait donc à concilier et à réussir les objectifs économiques et environnementaux du pays. Grâce notamment à une meilleure maitrise son empreinte carbone.
Il est donc indispensable d’accompagner les filières industrielles dans leurs transformations. Par une politique industrielle ambitieuse insufflée par l’Etat pour les années à venir, par le biais de mécanisme incitatifs à la relocalisation de productions en France via la mise en place de réglementations nationales, européennes et internationales notamment. Et par une stratégie d’investissement pour continuer le verdissement des activités sur le territoire, qui va de pair avec un haut niveau d’engagement des industriels dans leurs démarches de décarbonation. Le chemin de la réindustrialisation est tracé, mais il est encore long.
Sources :
- https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2019-01/document-travail-n%2038-empreinte%20carbone-avril-2018.pdf
- https://ree.developpement-durable.gouv.fr/themes/defis-environnementaux/changement-climatique/empreinte-carbone/article/l-empreinte-carbone-de-la-france
- L’étude du cabinet Deloitte