Une « loi d’orientation des mobilités » est promise par le gouvernement pour le premier semestre 2018, sans que l’on sache encore exactement ce qu’elle contiendra. Dans cette réflexion, une chose est sûre cependant : pour bien adapter les politiques, il faut s’intéresser de près à la distance que permet de parcourir chaque déplacement.
En France, 98 % des déplacements relèvent de ce que l’on appelle la mobilité « locale » (qui intègre tous les déplacements inférieurs à 80 kilomètres). Parmi ces déplacements locaux, l’essentiel se fait à petite distance ; en effet, 35 % ne dépassent pas 2 kilomètres et 60 % font moins de 5 kilomètres.
Pourquoi cette observation est-elle cruciale ? Parce que 5 kilomètres c’est 20 minutes à vélo.
Transformer nos modes de déplacement
C’est donc, en France, une part considérable des déplacements qui pourrait être basculée vers la marche et le vélo… si du moins ces modes n’étaient pas, comme c’est encore généralement le cas aujourd’hui, chassés de la voirie par un aménagement tourné vers les seules voitures. Ainsi, à Paris, la moitié de la voirie est-elle consacrée à l’automobile, qui n’assure pourtant que 10 % des déplacements des habitants. Une situation d’autant plus absurde qu’en agglomération les voitures sont utilisées à 40 % pour ne faire que des trajets inférieurs à 3 kilomètres (soit l’équivalent de 10 minutes à vélo).
On pourrait avancer que tout le monde n’est pas capable de faire du vélo. Tout le monde, peut-être pas… mais les 27 millions de vélos français ont bien un ou une propriétaire capable de les utiliser ! Cela fait déjà une belle base, et le parc automobile français n’est d’ailleurs pas beaucoup plus développé avec ses 32 millions de voitures.
On pourrait également objecter qu’il faut penser d’abord aux gens qui ont vraiment besoin de leur voiture, c’est-à-dire ceux qui l’utilisent pour aller travailler. Mais, là aussi, on ne saurait ignorer que 60 % des déplacements domicile-travail inférieurs à 3 kilomètres se font en voiture, alors même qu’ils seraient tout aussi rapidement effectuables à vélo, dans la mesure où la vitesse moyenne d’une voiture en milieu urbain est similaire (et en fait légèrement inférieure) à celle d’un vélo.
Une question d’équité sociale
Un tel report de la voiture vers la marche et le vélo n’entraînera pas seulement de considérables gains en matière de pollution, et donc d’importantes économies en termes de coûts sanitaires ; rappelons ici que la pollution aux particules fines provoque à elle seule chaque année en France la perte de 500 000 années de vie.
Il y va aussi d’une exigence d’équité sociale. En effet, à rebours de la présentation usuelle des mesures pro-vélo comme constituant des politiques pro-bobos, plus les ménages sont pauvres, plus la part dans leur mobilité des déplacements inférieurs à 5 kilomètres (et donc assurables à vélo) est importante ; et plus également la marche et le vélo représentent une proportion notable de leurs déplacements.
Pour le quart le plus pauvre de la population française, c’est ainsi jusqu’à 67 % des déplacements qui font moins de 5 kilomètres (contre 53 % seulement chez le quart le plus aisé), et les modes actifs représentent 37 % de leurs déplacements, contre seulement 20 % pour le quart le plus riche. Réaménager la voirie au profit de la marche et du vélo, et donc nécessairement au détriment des voitures, est non seulement une politique économiquement rationnelle mais aussi une politique socialement juste.
La première exigence d’une loi sur la mobilité, c’est donc de déterminer sa logique en fonction des distances qui caractérisent le plus grand nombre de déplacements : en fonction donc, aussi bien, des formes de mobilité qui sont les mieux adaptées à ces distances.
Mais on ne saurait s’arrêter là : plus un déplacement se fait sur une distance restreinte, plus il est économe en temps, en énergie et en argent ; plus un déplacement est court, plus de ce fait il est efficace. Ce sont donc les déplacements à distance mesurée et les modes, actifs, qui leur sont le mieux adaptés, que se doit de privilégier toute loi sur la mobilité.
L’auteur : Julien Demade, Chercheur en histoire et économie, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.