Lydie Bernard est 3ème Vice-présidente du Conseil régional des Pays de la Loire, et Présidente de la Commission Agricultures, agro-alimentaire, alimentation, forêt, pêche et mer de la région depuis 2016. Agricultrice de métier – elle associée avec sa sœur au sein d’une exploitation laitière en Vendée depuis 1984 – Lydie Bernard est une pragmatique engagée qui aime s’affranchir des étiquettes politiques afin de faire avancer les sujets.

Également Présidente déléguée de la commission Agriculture, Alimentation forêt, pêche et mer au niveau de l’association des Régions de France, Lydie Bernard insuffle sa méthode au delà de sa région natale. Elle revient pour nous sur les sujets qui font l’actualité ces dernières semaines, les menaces qui pèsent sur le secteur de l’agriculture, les dossiers en cours à la Région, notamment autour des discussions concernant la future Politique Agricole Commune. Mais aussi sur la place de l’innovation dans le secteur agricole, et sur le regain d’attractivité constaté ces dernières années pour les métiers de la filière.



Les Horizons : Lydie Bernard, l’actualité récente est notamment marquée par la guerre en Ukraine et ses répercussions sur le secteur agroalimentaire. En tant qu’agricultrice, qu’est-ce que cela vous inspire ?

Lydie Bernard : C’est une période mouvementée, mais il faut savoir rester responsables et optimistes. C’est à nous, sur le terrain, d’être agiles et adaptables. Cette période nous permettra peut-être également de remettre les vraies valeurs et les vrais défis à leur juste place, à remettre du sens dans les pratiques tout en étant dans une approche de durabilité ou d’agroécologie. Ce qu’il faut, c’est réussir à tourner cette période en positif.

Mais ce dont nous sommes sûrs, c’est que le véritable enjeu sera de continuer à produire. On parle beaucoup du présent, mais pour le monde agricole, si la guerre continue, le plus compliqué est à venir. Pour cette année, les contrats d’importation de soja ou d’engrais sont signés, donc la réelle interrogation porte avant tout sur les prochaines récoltes.


Le contexte actuel entre l’Ukraine et la sortie du Covid amène des questions sur notre souveraineté alimentaire. Quelles sont les positions de la Région là-dessus ?

Le contexte international soulève en effet des questions de souveraineté, mais pas qu’alimentaire, également énergétique, sanitaire etc. Nous constatons par exemple certaines limites, en premier lieu concernant l’autonomie protéique avec le blé, le soja ou le colza pour nourrir les animaux. De la même manière avec l’huile de tournesol. Je pense que sur ces sujets de souveraineté, nous avons pris du retard depuis une dizaine d’années. 

Concernant la Région Pays de la Loire, l’un de ses atouts est qu’elle est une région nourricière, et il faut que nous arrivions à garder notre niveau de production. La Région possède un tissu d’agriculteurs et d’agricultrices pour qui l’enjeu, sur l’aspect souveraineté, est de sécuriser l’approvisionnement en matières premières afin de permettre d’assurer la production. 


De nouveaux risques font également leur apparition, comme la grippe aviaire cette année ?

La crise est réelle concernant la grippe aviaire. Cela fait pourtant plusieurs années que nous y sommes confrontés. Quand nous constatons les ravages, j’ai du mal à comprendre que la vaccination n’ait pas été expérimentée plus tôt, dans l’optique de compiler des données exploitables. Après, il y a un point bloquant de la réglementation, qui est qu’à partir du moment où un pays lance une expérimentation, il est alors considéré comme non-indemne et cela peut potentiellement lui fermer des marchés à l’export. 

Il faut donc une acceptation du principe de vaccination au niveau de l’UE afin d’assouplir ce point. Pour le moment 22 pays sont d’accord pour reconnaître ce principe. Ça va être à nous, en tant que région, d’aller au côté du ministre plaider un cadre global d’acceptation au niveau européen pour expérimenter.

Cette période nous permettra peut-être également de remettre du sens dans les pratiques tout en étant dans une approche de durabilité ou d’agroécologie.


D’autres éléments contextuels, comme la sécheresse ou le gel, tendent eux à se répéter…

Le manque d’eau sera une menace à traiter de manière structurelle à l’avenir, si nous devons constater une répétition de ces évènements dans le temps. Je pense que les problèmes sont à venir avec la hausse des températures et la pluviométrie décalée également. Ce que nous constatons, au final, ce n’est pas forcément qu’il y a moins d’eau, mais surtout que la pluie tombe différemment. Mais pour arriver aux bonnes solutions, il faut se dire collectivement que l’eau est un bien commun, et il faut trouver la bonne articulation sur son utilisation pour produire et maintenir la biodiversité en même temps. 

Concernant le gel tardif, dans la région, nous avons constaté 4 épisodes ces 5 ou 6 dernières années. Il faut donc à présent traiter le gel tardif comme une menace structurelle. Au niveau de la Région, nous aidons les agriculteurs pour lutter contre ces épisodes de gel, notamment sous forme de financement à l’investissement. À terme, la vraie solution sur ce sujet est l’innovation. Par exemple, nous travaillons avec un acteur local, Weenat, qui conçoit des stations météo connectées qui font remonter des alertes en temps réel et aident les agriculteurs à réagir à ces épisodes de gel. 


Quel est votre position sur l’innovation dans l’agriculture ?

L’agriculture est l’un des secteurs les plus innovants aujourd’hui. Il y a beaucoup de numérique, de robotique, de travail sur la data dans le milieu agricole. L’innovation permet de faire des économies d’eau, d’énergies, de combattre le gel, ou encore d’employer moins de produits chimiques car l’innovation aura permis de passer à échelle sur l’usage de produits naturels ou de variétés génétiques plus résistantes.

L’innovation est pour moi un facteur-clé de réussite. Il faut cependant que cette innovation soit guidée par le bon sens et elle doit rester simple. Qui dit innovation ne dit pas complexité. Et il ne faut pas qu’elle reste d’ordre matériel ou technologique. L’innovation doit être partout : elle peut tout aussi bien être d’ordre marketing, sociale, ou organisationnelle.

Pour arriver aux bonnes solutions [sur le sujet de l’eau], il faut se dire collectivement que l’eau est un bien commun


Est-ce qu’on ne prend pas le risque, avec l’agritech, de se retrouver avec une agriculture à deux niveaux ?

Je crois qu’il n’y a pas de débat sur le bien fondé de l’innovation. En revanche, l’innovation doit être calibrée, il faut trouver un équilibre entre innovation ascendante et innovation descendante. L’innovation descendante, la plus répandue, c’est partir d’une idée sans réellement mesurer le besoin ni la possibilité de mise en œuvre sur le terrain. Et généralement se pose à un moment le fameux questionnement du passage à échelle. 

De l’autre côté, le problème de l’innovation ascendante est qu’aujourd’hui, malgré le fait que la démarche parte du terrain et des besoins, nous constatons que la diffusion des bilans d’expérimentation est compliquée. La conséquence est que ces résultats ne ruissellent pas jusqu’aux parties prenantes intéressées. Il ne faut pas opposer les deux, mais un meilleur équilibrage ascendant/descendant est souhaitable.

Cependant cela ne se fera qu’en travaillant mieux le volet diffusion. Avec des mots simples, il faut arrêter de chercher et donc de perdre du temps, lorsque ça n’est pas transposable sur le terrain. 


Quel est le rôle de la région sur ce sujet de l’innovation dans le monde agricole ?

Accompagner et fédérer sont les rôles premiers des élus régionaux. Nous sommes le liant du travail en commun. Plusieurs parties prenantes portent aujourd’hui l’innovation sur le territoire : les agriculteurs, le monde des start up, les techno campus, les pôles de compétitivité, l’enseignement supérieur et la recherche.

Il faut que ces réseaux se rencontrent, échangent, identifient les compétences de chacun comme dans le cadre de France Agritech, pour que se mette en place une co-construction selon les compétences en présence. Il y a une articulation à trouver, et c’est notre rôle.

Lydie Bernard rencontre des maires 2022
Lydie Bernard à la Rencontre des Maires de Laval 2022 – Crédit photos : RPdL Ouest Médias.


Au niveau de l’emploi et du renouvellement des exploitations agricoles, quelles sont les dynamiques actuelles d’installations dans la Région ?

Avec la région Bretagne, nous sommes la région où il y a le plus d’installations à l’heure actuelle en France. Environ 1 000 installations agricoles par an, dont 600 avec un plan d’entreprise aidée. L’objectif est d’atteindre 100% d’installations bénéficiant de ces plans d’entreprises, pour un meilleur accompagnement de formation et financier. Donc il y a un vrai dynamisme, même si les installations restent moins importantes qu’il y a 10 ans. 

La différence concerne surtout les profils qui s’installent. Il y a une plus grande diversité aujourd’hui. Il faut accompagner cette diversité. Avant, nous avions essentiellement des hommes, déjà issus du milieu agricole. Aujourd’hui nous constatons plus de femmes qui s’installent, des profils n’appartenant pas au milieu agricole, et enfin des personnes de plus de 40 ans. Le sujet de l’accompagnement à l’installation est donc aujourd’hui plus fort.


Au niveau de ces nouvelles installations, quelle est la part de l’agriculture biologique, plutôt à la peine ces derniers temps ?

Avant 2021 au niveau de la région, 30% des installations se faisaient en agriculture biologique. Nous sommes dans l’attente des derniers chiffres, mais je ne serai pas étonnée de voir une dynamique qui s’essouffle car le marché n’est plus là en face. Au niveau national c’est environ 8% de surface agricole utile en bio. Au niveau de la région nous sommes à 12% de notre superficie agricole utilisée.

Après, je pense qu’il ne faut pas viser le 100% bio comme l’entendent certains. Je crois que le bio doit rester un segment, afin que les agriculteurs bio puissent en vivre et que les prix ne s’effondrent pas. C’est ce que nous constatons aujourd’hui sur certains produits : le bio se vend au prix du marché standard. Par exemple, le lait bio est à +20% de production, pendant que le marché baisse de 2%. Le lait bio se retrouve donc mélangé dans le lait conventionnel afin d’être écoulé. 

Au travers de notre engagement dans la coalition européenne des Agrirégions, nous souhaitons défendre et renforcer le lien entre instances européennes et Régions


Quelles sont les priorités de la région actuellement concernant le monde agricole?

La grande priorité du moment est la définition du Plan Stratégique National (PSN) en vue de la Politique Agricole Commune (PAC) pour la période 2023-2027. Les discussions sont actuellement en cours avec, pour cette nouvelle version, un focus plus fort sur les Ressources Humaines. À partir de 2023, les Régions récupèrent la gestion d’une partie des personnels des DDT (Direction départementale des Territoires, un service déconcentré de l’État officiant depuis 2010 officiant auprès du préfet). Sur le territoire, ce sont donc 28 transferts de l’État à gérer dans ce cadre, pour un besoin global d’une cinquantaine de personnes supplémentaires en tout.


Le fonctionnement de la PAC a récemment évolué ?

La PAC se découpe historiquement en 2 grands piliers. Le premier pilier apporte des aides directes à tous les agriculteurs avec un paiement de base pour améliorer le revenu des agriculteurs. Il concerne également des paiements liés à des actions spécifiques en faveur de l’environnement, des petites exploitations et des jeunes agriculteurs. Une partie des aides est versée selon les productions de l’exploitation, en fonction de ses surfaces et cheptels.

Le 2e pilier concerne les nouvelles installations agricoles, la modernisation des équipements, le développement de l’agroécologie, dont le développement de l’agriculture biologique, et les projets de développement rural. Dans les précédentes PAC, il y avait une partie dite nationale et donc exclusivement gérée par l’État, et une partie dite régionale, dans laquelle les Régions discutaient directement avec l’Europe. À présent, l’Europe ne parle plus qu’aux États au travers des PSN. 

Chaque État discute donc avec ses régions pour établir son PSN sur l’utilisation des fonds européens. Puis l’envoie à l’Europe. Ceci afin d’harmoniser le traitement pour tous les pays. Nous sommes actuellement à la 2ème version du PSN discuté. Il y aura certainement un troisième tour de négociations avant l’envoi final.


Pouvez-vous nous expliquer les prérogatives des Régions dans le PSN ?

Nous sortons d’une session de six ans (2015 – 2020), suivie de deux années de transition, 2021 et 2022. Les discussions actuelles concernent donc les cinq années à venir.  Concrètement, dans le PSN, les Régions s’occupent en partie du second pilier. Le périmètre des régions inclut toutes les aides qui ne sont pas dites surfaciques. Les sujets de l’installation et de la transmission sont notamment les priorités pour les régions.

Les aides à la modernisation sont également des sujets attribués aux Régions. Ces aides, dans le cadre des plans de compétitivité et d’adaptation (PCAE) permettent notamment aux agriculteurs d’investir pour améliorer les conditions de travail, le bien-être animal, la performance économique ou pour réduire l’utilisation de phytosanitaires. Le périmètre des Régions inclut également les sujets liés à la transformation des produits alimentaires, soit à la ferme, soit pour l’industrie agroalimentaire. Enfin, nous travaillons également sur les aides au développement de l’agroforesterie, à la transition vers l’agroécologie ou à la formation. 

L’innovation doit être calibrée, il faut trouver un équilibre entre innovation ascendante et innovation descendante


Comment prépare-t-on ces discussions au sein d’une Région ?

Il y a un travail de concertation en amont entre régions. Un grand cadre commun de réflexion est alors défini. Puis, chaque région avance à sa manière avec les acteurs de son territoire afin de détailler plus finement les besoins, et la manière dont les financements et les outils seront mis en œuvre sur son territoire. 

En Pays de la Loire par exemple, nous consultons beaucoup sur les volets installation et transmission. Nous en sommes à une soixantaine de réunions avec les acteurs depuis novembre 2021. Les régions donnent le tempo des discussions entre chaque partie prenante. Nous pilotons ainsi les discussions sur ces sujets, récoltons les besoins. Nous observons également ce que font les autres régions. La concertation peut être différente selon les régions, chacune choisissant sa méthode de travail, avec plus ou moins de consultations. 


Comment jugez vous cette nouvelle manière de fonctionner ? 

Nous sommes en train de l’expérimenter. En tant que décentralisatrice convaincue, nous gagnons une liberté avec un cadre national assoupli. Je pense qu’il s’agit d’une méthode intelligente afin de coller davantage aux besoins du terrain. Malgré tout, plusieurs questionnements subsistent. Tout d’abord celui de la relation avec la Commission Européenne. Le risque est de perdre notre relation de proximité avec la Commission Européenne. De la même manière que la Commission peut y perdre, car l’ancien système sous-entendait un déplacement de la Commission dans les Régions pour voir et apprendre sur le terrain. Au travers de notre engagement dans la coalition européenne des Agrirégions, c’est ce lien entre instances européennes et Régions que nous souhaitons défendre et renforcer.

Ce risque de ne plus avoir cette connexion directe entre l’UE et les régions peut rendre les actions locales de l’Europe encore plus opaques aux yeux des concitoyens. Il est déjà compliqué de faire comprendre aux gens ce que l’Europe apporte dans leur quotidien. 


Vous représentez l’association des régions de France au niveau national sur le sujet Agriculture, quels sont les axes de travail du moment en dehors de la PAC ?

Il y a la thématique de l’eau et la thématique alimentaire. Avec la PAC, cela fait 3 grands axes posés au niveau national actuellement. Nous avons également régulièrement des auditions sur des sujets variés au Sénat ou à l’Assemblée dans le cadre de l’APCA (Assemblée Permanente des Chambres d’agriculture), comme sur la thématique des jeunes agriculteurs, par exemple, ou de la guerre en Ukraine ce mois-ci.


Comment travaillez-vous entre régions au niveau national sur ces sujets ?

Il y a en continu un travail de mise en commun et de partage des difficultés entre Régions. C’est la force de l’association Régions de France. Il n’y a pas de rivalités entre partis ou des bords politiques, nous avançons dans le même sens et nous essayons de définir des problématiques communes. 

Par exemple sur l’eau, le sujet du moment est la possible réforme de la gouvernance de l’eau en France. La gouvernance actuelle date du début du 20ème siècle, et est donc très centralisée. C’est toute la subtilité du rôle de co-présidence : il faut trouver des lignes fortes partagées de tous. 

Sur l’alimentaire, le sujet porte sur le local dans les cantines scolaires des lycées. Sur ce point, il y a une volonté commune, cependant nous constatons des divergences sur les outils à utiliser et la démarche à suivre. Il faut donc continuer à échanger. Et lorsque nous arrivons à obtenir une position partagée par toutes les régions, nous avons nécessairement un poids plus fort vis-à-vis de l’État.