Francky Trichet est depuis de nombreuses années une figure incontournable de l’écosystème numérique nantais. Il a longtemps œuvré à son éclosion puis à son développement, et souhaite à présent accélérer sur le sujet de la durabilité du numérique à un niveau local et régional. Pour lui, la métropole a plusieurs rôles clés à jouer.

Car la transition vers un numérique durable ne se fera que par la structuration des nouveaux marchés du reconditionnement et du recyclage. Et cette structuration doit être accompagnée par les collectivités. Au travers notamment de la commande publique, de la mise en place de circuits de collecte, ou encore de l’appropriation de ces nouveaux usages par le plus grand nombre. Egalement Président de la commission Numérique & Innovation de France Urbaine, et donc engagé à un niveau national, M. Trichet rêve de faire de Nantes un territoire d’expérimentation sur les sujets du numérique. Et reste convaincu qu’une décentralisation des décisions est nécessaire afin de tester les modèles ou la logistique, et de permettre aux filières de passer à échelle.




Les Horizons : Selon Frédéric Bordage, fondateur du collectif Green IT, il manque une approche globale des impacts du numérique pour en comprendre les réels enjeux, à savoir que le numérique est une ressource critique qui sera épuisée dans 30 ans – à cause des des stocks des ressources rares composant nos équipements. Quel est votre regard sur cela ?

Francky Trichet : On sait très bien aujourd’hui que ce qui consomme le plus et épuise ressources et métaux rares, ce sont les équipements, téléphones et ordinateurs en particulier. Frédéric Bordage a donc raison de dire que nous ne pouvons plus être dans cette logique de fuite en avant sur les taux de renouvellement des équipements. Il faut arriver à étendre la durée de vie des équipements. Il faut viser 2 ou 3 vies minimum par équipement. En l’état actuel des technologies et de la façon dont on fabrique, Frédéric Bordage a raison. Après, on ne sait pas de quoi seront composées nos machines dans 20 ou 30 ans. Il existe de la R&D pour justement contrer ou contourner la finitude des matières premières et ressources dont on est dépendants aujourd’hui. Mais quoiqu’il en soit, il faut faire cet effort de sobriété tout de suite.

Quel est le rôle des acteurs publics pour un numérique plus durable ?

Tout d’abord celui de l’exemplarité en termes de commandes publiques responsables sur les équipements numériques. Les métropoles, les municipalités, les administrations possèdent une très grande quantité de machines. Nous venons de mettre en place à Nantes une feuille de route pour un numérique plus responsable. Avec des mesures telles que la limitation du nombre d’équipements par personne, la réduction du nombre de photocopieurs, ou encore l’allongement de la durée de vie des ordinateurs. Mais surtout l’émergence d’une filière locale de réemploi et de reconditionnement. La loi prévoit un objectif de 20% d’équipements reconditionnés. Mais il est aujourd’hui impossible de l’assumer. Les marchés ne sont pas prêts. Il faut donc que les collectivités accompagnent la montée en compétence des marchés. Et ça passe par la commande publique. Avec la volumétrie potentielle que nous sommes capables d’engager, nous pouvons créer un appel d’air et massifier ces marchés.

Il y a une marque de territoire à créer sur le sujet. Il faut revendiquer une marque et créer ainsi la fierté de se dire qu’on participe à une boucle locale vertueuse

Justement, vous avez récemment lancé de nouvelles consultations ?

Tout à fait. Dans le premier marché public que nous avons passé il y a deux semaines, nous avons demandé aux candidats gros porteurs répondant habituellement à ce type d’appels d’offre, d’intégrer des partenaires de reconditionnement dans leur réponse. Et afin d’éviter que les acteurs du reconditionnement soient uniquement appelés en deuxième rideau, nous allons lancer en parallèle un deuxième marché constitué à 100% de matériels reconditionnés, où seuls ces acteurs spécialisés pourront répondre.

Quel est le rôle de la métropole dans la structuration d’une filière locale ?

Les acteurs publics, et particulièrement les collectivités locales, ont aussi pour rôle de sensibiliser et de créer le réflexe du reconditionné. Il est primordial que les collectivités organisent correctement les collectes en amont ainsi que la réparation en proximité. L’objectif est de mailler le territoire aux différentes échelles de la chaîne, et de mobiliser les acteurs dans le but de faire émerger des compétences au sein d’une filière locale. C’est un de mes objectifs du mandat. On souhaite démontrer qu’il est possible de faire du 100% 3R – réparation, reconditionnement, recyclage – au-delà même de l’échelle de la métropole. C’est-à-dire sur un territoire, un bassin de vie. Notre rôle est d’organiser et de structurer cette filière : créer des emplois, former, accompagner.

Quelles sont concrètement les points clés de la feuille de route décidée en Septembre ?

La première étape est celle du diagnostic. De combien de machines à traiter parle-t-on ? Qui les possède ? Quelles sont les cibles ? Par exemple, des entités comme le CHU sont de très gros pourvoyeurs de machines. Le but de ce diagnostic est de savoir où est le gisement potentiel. Et comment il est traité aujourd’hui. Avoir des infos précises à ce sujet n’est pas chose aisée à l’échelle d’un territoire. Ensuite, on identifie les acteurs locaux de la réparation, du reconditionnement et du recyclage. Une fois ces deux étapes réalisées, on peut alors identifier les flux. Le diagnostic doit identifier le marché actuel et le marché potentiel. Puis viendra le temps d’organiser les circuits logistiques. Notamment la collecte, afin de permettre à tous de pouvoir identifier des lieux où déposer son matériel. Il faut faire des tests grandeur nature pour valider un modèle. Et enfin, je pense qu’il est important de revendiquer une marque. Il y a une marque de territoire à créer sur le sujet. Il faut créer la fierté de se dire qu’on participe à une boucle locale vertueuse. Je pense que cela participera à l’adhésion du plus grand nombre. L’adage “mon déchet devient une ressource” doit devenir un réflexe.

Il faut que les collectivités accompagnent la montée en compétence des marchés par la commande publique



Quel est le timing envisagé pour mettre en place cette feuille de route ?

C’est compliqué de répondre précisément. C’est mon objectif du mandat. On vient de recruter un chargé de projet dédié à ce sujet. Si ce que je viens d’énumérer s’est traduit concrètement d’ici la fin du mandat, notamment l’appropriation du déchet qui devient ressource par les gens, un vrai pas en avant aura été fait pour le numérique responsable localement.

Quels sont les points forts et faibles de l’écosystème local nantais dans cette optique ?

Nous avons pour nous un mix intéressant avec des personnalités pionnières et expertes dans le domaine. Comme Thierry Leboucq, fondateur de Greenspector par exemple, ainsi que des nouveaux acteurs qui émergent. L’antenne nantaise de l’Institut du numérique responsable en est l’illustration. Concernant le recyclage, on manque encore d’acteurs privés consolidés. Largo commence à passer à échelle. Le défi est à présent pour toutes ces entités de passer à échelle et de ne plus rester sur des petites masses. Aujourd’hui le marché n’est pas assez mature pour suivre des commandes publiques de 20 ou 30 milles équipements. Ou alors les acteurs sont encore trop organisés en silos par équipements. 

Plus globalement en France, où en est-on sur ces sujets ?

Ce sont les débuts. J’ai justement demandé à M. Cédric O. que nous soyons labellisé Territoire d’expérimentation sur ces sujets. Dans le but de faire une vraie ingénierie de méthodologie. Et in fine, de pouvoir montrer aussi bien les écueils à éviter, que de pouvoir essaimer la bonne façon de procéder. L’Etat ne peut pas faire sans les collectivités locales avec toute cette chaîne de valeur qui part en amont de la collecte, jusqu’au recyclage en aval.

Francky Trichet

Un mot sur la redevance copie privée applicable sur les téléphones, tablettes et autres produits d’occasion ou reconditionnés, et qui vient d’être adoptée au Sénat ?

C’est ubuesque. Il faut se battre. Personnellement je suis monté au créneau. On ne peut pas vouloir des filières locales de réemploi d’un côté et continuer sur une taxe qui n’a plus d’âge et qui est issue d’autres ministères de l’autre. Ubuesque.

Qu’en est-il de l’éducation des nouvelles générations au numérique responsable, à la sobriété, aux usages…

Nous déployons des ateliers, nous faisons des parcours de sensibilisation, nous essayons de travailler avec l’éducation nationale. Mais ça ne va pas assez vite. Il faut que l’éducation nationale s’empare du sujet. On ne pourra pas déployer en masse, seuls de notre côté. Car l’éducation sur ces sujets doit passer par les programmes des collèges et lycées. Il faut à la fois du matraquage, mais aussi encourager de meilleurs usages par des mesures incitatives. Pourquoi ne pas lancer des expérimentations sur les territoires, sortir des programmes à la marge pour essayer des choses localement ? L’État doit faire confiance aux territoires pour être des précurseurs et des démonstrateurs. Pour ensuite passer à échelle.

Ce sont des sujets que vous remontez au sein de France Urbaine ?

Exactement. Au sein de la commission Numérique & Innovation de France Urbaine que je préside, je pousse pour plus de coordination entre le central et le local, avec notamment les acteurs sur place et le tissu associatif. On pourrait expérimenter des parcours sur la sobriété et les usages du numérique pour chaque âge, en partant des plus jeunes aux adolescents. 

L’État doit faire confiance aux territoires pour être des précurseurs et des démonstrateurs. Pour ensuite passer à échelle.

Impossible de parler numérique responsable sans évoquer la 5G. Quel est votre avis sur le passage à cette technologie ?

Tout d’abord, il existe deux 5G qui n’ont rien à voir entre elles. Et c’est important de le préciser. L’une est sur la fréquence 3,5 GHz et l’autre sur les bandes des 26 GHz. Aujourd’hui la 3,5 GHz est déjà présente. Et pour moi elle n’est pas plus nocive d’un point de vue énergétique ou de santé que la 4G actuelle. Elle consomme même moins, c’est la bonne nouvelle. En revanche, pour la 26 GHz qui va arriver, c’est bien plus problématique. Cette nouvelle 5G, qu’on aurait dû appeler différemment, va impliquer le déploiement de nombreux petits relais pour amplifier le signal. C’est ce qu’on appelle les “Small Cell”. Et c’est un problème.

Pourquoi ?

Premièrement, car la consommation énergétique va augmenter. Et deuxièmement, du point de vue sanitaire nous n’avons aucune étude sur le sujet. Et tout est encore très flou concernant les cibles et les usages pour ce type de technologie. Je reste donc très prudent. Je demande que le principe de précaution soit respecté sur la 26 GHz. En soi, je n’ai rien contre son implantation si elle est bien étudiée. Pour des usages professionnels, dans une zone économique où des entreprises en ont réellement besoin par exemple.

Qu’est-il ressorti du débat public que vous avez organisé sur le sujet à Nantes ?

Concrètement sur le territoire nantais nous avons déployé un observatoire des ondes avec une cinquantaine de capteurs qui remonteront les données en temps réel sur un site web accessible à tous. Ça sera opérationnel fin novembre. Afin de répondre au principe de transparence. A date, on est bien en deçà des seuils maximum autorisés. Si ces mêmes seuils sont appelés à être dépassés, les opérateurs devront revoir leur copie.