En France, ce sont plus de 130 millions de paires de collants qui sont vendues chaque année. Véritable succès commercial ou obsolescence programmée ? Ne vous y méprenez pas, si le collant est un incontournable de la mode féminine, il doit en grande partie son dynamisme à son manque de durabilité. Et c’est un problème.

Dans une enquête réalisée en 2018, l’association HOP, « Halte à l’Obsolescence Programmée » montrait ainsi que 70% des personnes interrogées affirment que leurs collants ne durent pas plus de 6 utilisations. Voire seulement 3 utilisations pour plus de 40% d’entre elles. La majorité des femmes se voient donc obligées d’acheter environ 10 à 11 paires de collants chaque année. Ce qui représente une somme non négligeable (environ une centaine d’euros chaque année) assortie, au total, d’un gaspillage équivalent à 7 315 tonnes de matières non-recyclables.

Pourtant, les quelques chanceuses qui auront eu l’occasion de récupérer des collants dans l’armoire de leurs grands-mères peuvent l’affirmer : il faudra plus d’un ongle mal coupé ou d’une chaise en paille pour venir à bout de ces collants en nylon ultra-résistants. Et s’ils étaient infilables dans le passé, qu’en sera t’il demain ? Plusieurs jeunes marques proposent déjà des alternatives durables pour ce produit du quotidien.

70% des personnes interrogées affirment que leurs collants ne durent pas plus de 6 utilisations


Des collants durables aux « collants-kleenex »

Un petit retour dans le passé est ici le bienvenu pour comprendre comment nous avons pu passer de collants durables à des collants-kleenex. Si les bas nylon de nos grand-mères (voire de nos arrières grand-mères) sont si résistants, c’est notamment grâce à leurs coutures et à leur fibre conçue au départ pour survivre à tous les chocs.

Cependant, dans le documentaire d’Arte « Prêt à jeter », on apprend par l’essayiste et journaliste américaine Nicols Fox que l’industrie a volontairement diminué la qualité de ces collants afin de pousser les consommateurs à en racheter plus régulièrement. Nicols Fox tient cette information de son père qui a travaillé pour la société Dupont, le géant de la chimie qui a commercialisé le nylon en 1940.

De plus, en 1953, un dénommé Bernard Gilberstein, le fondateur des « Bas du Dimanche » (premier nom de la maison Dim) va avoir la bonne idée de créer les premiers bas nylon sans couture. À partir de 1962, ces premiers bas sans couture vont se démocratiser grâce à la promesse vendeuse de « simplifier la vie des femmes ». Désormais, plus besoin de se contorsionner pour faire en sorte que la couture soit bien droite.

Le problème c’est que ça marchait trop bien parce qu’ils étaient trop résistants. Les femmes étaient très contentes car ils ne filaient pas mais les fabricants en vendaient forcément moins.

Nicols Fox, essayiste et journaliste américaine


Ainsi, en se passant des coutures, les Bas du Dimanche ont pu faire passer le prix du bas de 10 francs à 2,50 francs la paire en France. Dans la foulée, l’entreprise passe la vitesse supérieure en proposant ses « 10 bas pour 10 francs ». Bonne nouvelle ? Pas vraiment car comme vous pouvez vous en douter, cette baisse des prix s’est accompagnée d’une baisse toute aussi significative de la qualité.

Prix trop bas, baisse de la qualité et disparition de la fameuse couture, il n’en fallait pas plus pour amorcer l’ère du collant jetable. Qui dit jetable dit augmentation de la consommation mais aussi de la productivité pour y répondre. Or bien souvent, la recherche d’une productivité maximisée ne va pas de paire avec la qualité…

Ainsi, là où les collants de qualité demandent des techniques de tricotage minutieuses et progressives afin de suivre les formes de la jambe, les collants bas de gamme sont tricotés bien plus vite en forme de tube standardisés. De plus, au contraire des collants résistants, les finitions des collants-kleenex ne sont pas faites à la main. Enfin, là où les bons collants sont ensuite teints à la vapeur d’eau, ce qui leur assure une meilleure résistance, les teintures des collants d’entrée de gamme sont faites en trempant les collants dans de l’eau à 50°C pendant plusieurs heures, ce qui les fragilise.

des collants alignés dans un magasin


Une cas d’obsolescence programmée ?

« Aussi fin que la toile d’araignée, aussi solide que l’acier », se plaisaient à dire les chimistes inventeurs du nylon. Le problème c’est qu’aujourd’hui le fil de collant n’est plus uniquement constitué de nylon mais aussi d’élasthanne pour améliorer le confort. Ainsi ajouter un peu plus d’élasthanne aux dépens du nylon vient donner un collant moins résistant.

De plus, les intrants chimiques utilisés dans la conception des collants participent fortement à fragiliser ces derniers. Michael Braungart, chimiste allemand, explique notamment dans le documentaire « Prêt-à-jeter » que la quantité d’agent de protection aurait été diminuée, rendant les fils de nylon plus sensibles aux rayons ultraviolets et à l’oxygène de l’air.

Ainsi, il semblerait bel et bien que des techniques existent pour améliorer ou au contraire diminuer la résistance des collants. Ainsi, le rapport d’enquête de l’association HOP émet légitimement l’hypothèse selon laquelle les fabricants peuvent jouer sur les additifs chimiques pour rendre plus ou moins robuste un collant, et ainsi programmer sa fin de vie.

Pourtant, cette obsolescence programmée va à l’encontre des désirs des consommateurs. 70% d’entre eux considèrent le caractère durable comme le plus important au moment d’acheter un bas. Ils seraient même prêts à dépenser jusqu’à 17€ pour une paire durable alors qu’ils en dépensent en moyenne 9 pour une paire classique.

À lire aussi : Les Récupérables, l’upcycling comme alternative à la fast-fashion


L’impact écologique considérable des collants

Les collants sont également des produits dont l’impact écologique est loin d’être neutre. Les intrants chimiques sont présents à chaque étape de la confection d’une fibre textile et ainsi nos chers collants sont finalement un pur produit pétrochimique issu de l’une des industries les plus polluantes qui soit.

Prenons l’exemple du nylon le plus utilisé, le nylon 6.6. Il est fait à partir de deux composés chimiques intermédiaires, l’acide adipique et l’hexaméthylènediamine qui sont eux-mêmes formés par une suite de transformations chimiques à partir de deux produits issus du raffinage du pétrole, le benzène et le butadiène.

Autant de dégâts environnementaux qui sont multipliés par une consommation qui n’a pas d’autres choix que d’être répétitive face à des produits faits pour être jetés.

Cependant, il existe tout de même de bonnes alternatives à la poubelle lorsque votre collant se file afin de limiter son impact écologique. Vous pouvez déposer votre collant dans les bornes de recyclage dédiées au textile afin qu’il soit revalorisé ou encore lui donner une seconde vie grâce à l’upcycling. Les collants nylon peuvent être transformés en accessoires pour cheveux, en rembourrage pour les coussins maisons ou encore en chiffons pour nettoyer les surfaces sans les rayer.

Lire également : Montlimart, être une marque responsable n’est pas si facile


Et demain, des alternatives durables ?

Face à une industrie du collant qui fait peur à voir, certaines entreprises pénètrent le marché avec comme proposition de valeur une promesse de durabilité. Dans cette optique, de jeunes marques proposent désormais des fils de nylon de très grande qualité afin de lutter contre l’obsolescence des collants.

C’est le cas notamment de la startup Yade qui propose des « collants parfaits », réputés pour être plus solides que les collants classiques. On peut aussi noter l’arrivée sur le marché américain d’un collant dit « indestructible ». Ce collant commercialisé par l’entreprise Sheerly Genius est conçu à partir des mêmes matériaux que ceux que l’on trouve dans les gilets pare-balles.

D’autres entreprises proposent des collants issus de fibres recyclées comme la marque REV Society ou encore Estampille qui se fournissent en polyamide recyclé à partir de déchets textiles initialement destinés à la poubelle. La startup Billi London a, quant à elle, préféré miser sur des collants biodégradables. Grâce à une formule qui accélère la biodégradabilité du nylon, la startup propose de faire passer la décomposition du nylon de 40 ans à 5 ans.

Enfin, une entreprise qui a su s’imposer en matière de collants durables en anticipant tout le cycle de vie du produit, c’est l’entreprise suédoise Swedish Stocking. Cette dernière n’utilise que des fils de nylon recyclés, exempt de produits toxiques et s’applique à maximiser la durée de vie de ses collants en les fabriquant avec minutie et en utilisant des teintures écologiques. Pour compléter la démarche, la société propose à ses client(e)s de renvoyer leurs collants usés pour les convertir en huile et graisses industrielles contre une réduction de 10% sur l’e-shop.

Autant d’avancées qui pourraient permettre à la paire de collants « une fois portée, bonne à jeter » de connaître ses dernières heures de vie.

À lire également