Le cabinet de consulting en marketing et stratégie sur les marchés de l’énergie durable Infinergia a publié le mois dernier un rapport sur le secteur des mini-grids (ou mini-réseaux), qui est en forte croissance actuellement.

Ces mini-réseaux, qui étaient jusqu’ici marginaux, connaissent un développement conséquent en Afrique et en Asie depuis quelques années. Ils bénéficient de plusieurs facteurs positifs permettant à la filière de se structurer, de croître et de proposer des modèles énergétiques plus durables.


Définition et enjeux des mini-grids

L’ARE (Alliance for Rural Electrification) et l’ONG REN21 se sont entendues pour définir un mini-grid, ou mini réseau électrique de la manière suivante : une petite unité de production locale d’électricité (entre 10kW et 10MW), alimentée par une ou plusieurs sources, et isolée des autres réseaux électriques. Ces mini réseaux fonctionnent de manière autonome et sont donc indépendants des réseaux nationaux (ce qu’on appelle off-grid, ou hors réseaux). 

La différence avec les microgrids, une typologie de réseaux très proche, se situe dans le fait que les mini grids vont être totalement isolés du réseau. Les micro grids sont eux isolables du réseau. Par exemple un quartier ou une ville qui aurait ses propres moyens de production et qui pourrait fonctionner en autonomie, tout en étant raccordé au réseau national. C’est ainsi qu’on retrouve le plus souvent le modèle des microgrids en Europe ou dans les pays développés, et celui des minigrids principalement dans des zones éloignées de pays émergents où le réseau national est défectueux.

Pour situer la couverture d’un mini réseau en Afrique, une production comprise entre 10kW et 10MW équivaut à la consommation normale en électricité de quelques dizaines d’habitations d’un village, à un village entier voire une petite ville de plusieurs milliers d’habitants.

Les mini grids répondent donc au besoin d’électrification rurale. D’après un rapport de l’ONU et de la Banque Mondiale publié en 2017, 840 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité dans le monde, essentiellement en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud. Ce chiffre est néanmoins en régression depuis 2010 – il était de 1,2 milliard – le récent développement de ces mini-grids n’étant pas étranger à cela. L’accès à l’électricité est primordial pour le développement économique, social et sanitaire des pays émergents. Ces zones rurales sont pour le moment exclues d’un accès fiable à l’énergie, ce qui freine considérablement leur développement.

3 solutions existent pour raccorder ces zones et régions isolées. La première serait de tirer et d’étendre les réseaux nationaux. Mais il s’agit d’un procédé coûteux pour les villages reculés, et la qualité des réseaux nationaux peut parfois être médiocre, notamment en Afrique. Dans les zones très peu denses, on peut passer par une électrification individuelle (ou SHS pour Solar Home System) où chacun a son propre panneau solaire. Mais les limites seront alors la puissance délivrée ainsi que le passage à échelle. Et enfin les mini réseaux d’électrification communautaire, ou mini grids, considérés jusqu’à peu comme une solution de niche mais qui constituent désormais l’une des solutions les plus viables pour combattre ce déficit d’accès à l’énergie profitant d’une conjoncture favorable de plusieurs facteurs.

exemple de mini grids en Afrique


Les marchés africain et asiatique en plein développement

Car en effet, si le principe des mini-grids est connu depuis une vingtaine d’années, il n’est pourtant en forte croissance que depuis peu. Traditionnellement, les réseaux isolés fonctionnaient avec des générateurs diesel. Entre la pollution générée, les coûts d’approvisionnement du diesel en zones isolées et les coûts de maintenance des machines, leur utilisation était jusqu’ici relativement marginale et peu efficiente.

La nouveauté depuis quelques années – et qui sonne comme une révolution pour le secteur – c’est le passage aux énergies renouvelables et en particulier le photovoltaïque pour alimenter ces mini réseaux. “Depuis début 2010 et la chute des prix des panneaux solaires on a pu commencer à se tourner vers des mini grids solaires. Aujourd’hui, la majorité de ces nouvelles installations sont faites soit 100% en solaire soit en hybride solaire/diesel dont 60 à 80% sont assurés par le solaire” explique ainsi Baptiste Possémé, consultant senior spécialisé dans les nouveaux marchés de l’électricité chez Infinergia, et en charge du rapport.

Ces mini grids “nouvelle génération” aux EnR gagnent donc en autonomie et leur fonctionnement est simplifié comparé aux anciens modèles diesel. A cela s’ajoute bien entendu l’impact positif sur l’environnement. Ils bénéficient également de la baisse des coûts d’installation et apportent de nouvelles possibilités par rapport aux anciens modèles. Ceci grâce à une bonne intégration du renouvelable et une meilleure qualité de service au global via une technologie mieux maîtrisée.

Le récent développement de cadres réglementaires dédiés aux mini grids est également un facteur clé de succès. Ces progrès sont notamment soutenus financièrement par des programmes spécifiques de la Banque Mondiale et de la Banque Africaine de Développement. Le marché étant émergent, les investissements actuels estimés à hauteur de 5 milliards de dollars par la Banque Mondiale sont encore faibles au regard des besoins. Cependant, la tendance est à la hausse à court et moyen terme.

panneaux solaires mini grids
Crédits : SayCheeeeeese – Own work, CC0


C’est d’ailleurs pourquoi, toujours selon la Banque mondiale, les mini-réseaux pourraient fournir de l’électricité à 500 millions de personnes d’ici 2030. Ce que confirme Baptiste Possémé : “Le marché a beaucoup grossi récemment, l’engouement est très fort depuis 6/7 ans”. En 2019 on recensait 1100 mini grid à énergie solaire en Afrique et 2100 en Asie (contre 350 en Afrique et 1100 en Asie en 2016). Mais la tendance est clairement au développement en Afrique. Les pays d’Asie sont davantage centralisés aujourd’hui, et l’Inde peine à se mettre en ordre de marche sur le sujet malgré des besoins colossaux. Les pays africains en avance sur le sujet sont le Nigéria, le Kenya, le Togo le Burkina Faso, le Sénégal et Madagascar.

Et le potentiel semble bien plus grand encore poursuit Baptiste : “ En 2025 on table sur 18 000 mini-grid solaires en Afrique, en se basant sur les objectifs fixés par les gouvernements, les projets entamés et les appels d’offres en cours”. Même si la vraie question n’est pas tant le potentiel en lui même, mais le temps nécessaire pour arriver à ce potentiel. En effet, localement les difficultés techniques et politiques font varier les délais de quelques mois à plusieurs années entre la signature et la mise en route du réseau. La moyenne se situerait autour des 3 ans d’après Infinergia. Pour preuve, il y a aujourd’hui beaucoup plus de projets annoncés que finis.

Malgré cette forte croissance, les mini-grid font tout de même face à de nombreuses contraintes. Géographiques tout d’abord, car il est toujours compliqué de travailler sur des zones avec une faible densité d’habitants et avec un éloignement des populations. Des contraintes politiques également. D’un côté les installations de mini réseaux sont fortement subventionnés et requièrent donc de nombreuses validations en amont de chaque projet. Et de l’autre, les cadres réglementaires de certains pays peuvent encore bloquer le potentiel du marché. Enfin, il existe une importante contrainte technologique principalement liée aux batteries de stockage (coûts, durée de vie, remplacement etc.) “C’est même le nerf de la guerre aujourd’hui” poursuit Benjamin Lasne, consultant chez Infinergia et également en charge du rapport. Par ailleurs, si ces nouveaux modèles de mini réseaux fonctionnent très bien avec l’énergie solaire, il existe encore trop peu d’expérimentations et donc de modèles stables avec d’autres sources renouvelables comme l’éolien.

Graph projets mini grids
Source : Rapport Marché Minigrid Infinergia


La filière des mini réseaux se structure autour de ces belles perspectives

Un mini réseau est constitué d’un assemblage de plusieurs composants dont les principaux sont les onduleurs, les panneaux photovolatïque, les batteries et les EMS (Energy Management Systems) pour gérer l’intelligence des différents composants entre eux. Historiquement, la jeune filière des mini-grids avançait en ordre dispersé où chaque acteur de la chaîne fabriquait un composant pour un assemblage final effectué sur place lors de l’installation du réseau. Cependant ce process complexifiait l’installation et le montage des réseaux. Aujourd’hui, les industriels proposent des solutions clé en main appelées mini réseaux conteneurisés. “Le gros du développement est aujourd’hui sur ces solutions clé en main où tout est déjà intégré et assemblé, car cela répond aux besoins de faciliter et de standardiser les installations” détaille Baptiste.

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L‘Europe – particulièrement la France, l’Allemagne et le Royaume uni – est très impliquée dans cette industrie naissante. Sur le marché français on retrouve différents types d’acteurs. Des start up comme Ecosun Energie, Monkilowatt ou Akuo Energy, mais également les industriels du secteur comme Bertin Energie Environnement, Socomec ou Total, qui via sa filiale Total Eren a investi dans la pépite UK Winch Energy en 2016 en vue de conquérir ces nouveaux marchés. On peut également citer Schneider Electric qui a lancé la commercialisation de ses mini-grids solaires conteneurisés début 2019.

Un autre domaine d’application a le vent en poupe pour les mini-grids. Celui de l’électrification de petites et moyennes industries, d’infrastructures telecom ou d’hôpitaux au sein même des villes des pays émergents. Il arrive que le réseau national soit si défaillant, qu’installer une source locale et autonome pour ces secteurs sensibles est une option à considérer. 

Plus près de chez nous, on retrouve également ces modèles de microgrid et mini-grids. Avec toujours le même enjeu, à savoir électrifier des zones éloignées. La France est constituée de beaucoup d’îles et d’îlots considérés comme des ZNI (Zones Non Interconnectées), et qui accèdent à l’électricité via des mini réseaux. Par exemple, les îles bretonnes d’Ouessant et de Saint Nicolas des Glenan – deux projets issus du programme Smile – sont alimentées en circuit fermé de manière autonome par des éoliennes ou hydroliennes.

Les modèles de mini réseaux semblent donc avoir atteint la maturité technologique nécessaire pour passer à échelle et être répliqués partout dans le monde. Et malgré des contraintes liées à la maîtrise des coûts et aux cadres réglementaires pas encore assez souples dans certaines régions du monde, leur avenir semble plein de promesses.


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