L’agriculture connaît actuellement de profondes mutations. Des formes variées se développent : smart agriculture, permaculture, agroécologie, etc. Il existe aujourd’hui une compétition idéologique entre ces formes d’agriculture, comme en témoignent nombre d’ouvrages qui proposent des voies d’amélioration de l’agriculture telle qu’elle se pratique actuellement, sans se questionner sur les fondements de ces modèles.
Le livre de Benoît Biteau, Paysan résistant, prône ainsi le bien-fondé du modèle de l’agroforesterie biologique. L’ouvrage montre les bienfaits de ce type d’agriculture, tant pour des raisons économiques pour les agriculteurs, qu’écologiques pour la société. De son côté, l’ouvrage de Xavier Beulin (ancien président de la FNSEA) persiste dans un modèle conventionnel mais amélioré (ce qu’on pourrait appeler une smart agriculture) dans son ouvrage Notre agriculture est en danger, ce qu’il faut faire. Ou encore le livre Agriculture biologique, espoir ou chimère présentant un débat entre deux contradicteurs, pro et antibio, qui campent chacun sur leurs positions.
Des pratiques en « simple boucle »
Malgré leur intérêt pour l’amélioration des pratiques agricoles, ces formes d’agriculture ne proposent en réalité qu’un apprentissage « en simple boucle », c’est-à-dire un ajustement des pratiques qui améliorent la façon dont l’agriculture est mise en œuvre, sans remettre toutefois en cause les cadres de référence dans lesquels elle se développe.
Dès lors, la compétition entre ces diverses formes se fonde toujours sur les mêmes arguments : pour ou contre l’utilisation des produits phytosanitaires (les fameux pesticides) et ses conséquences pratiques, les rendements à l’hectare, le respect de l’environnement, etc. Les principes fondateurs ne sont eux jamais interrogés par leurs partisans, rendant le dialogue improductif.
Malgré leurs divergences, ces courants de pensée reposent sur trois piliers partagés : il faudrait nécessairement de la terre pour produire des denrées agricoles ; l’agriculture se pratique « à l’horizontale », dans des champs ; enfin, l’agriculture nécessite des parcelles dédiées, séparées des parcelles d’habitation.
Le nouveau modèle de l’agriculture urbaine
Un modèle agricole semble toutefois mettre en œuvre ce qu’on appelle un apprentissage en « double boucle » ; c’est-à-dire une correction des erreurs passées, en réexaminant les processus de raisonnement, les manières de poser les problèmes, les valeurs sous-jacentes et les buts visés.
Ce modèle, c’est celui de l’agriculture urbaine. Celle-ci s’extrait en effet des fondements évoqués plus haut : utilisation nécessaire de la terre, agriculture horizontale et séparation des parcelles agricoles et d’habitation. Et, au-delà de la remise en cause de ces cadres de référence, elle intègre dans sa réflexion d’autres paramètres partagés par la communauté scientifique : la consommation de CO2 lié au transport de produits agricoles ; le taux d’urbanisation sans cesse croissant ; l’appauvrissement des sols ou encore le besoin de consommer moins d’eau.
En combinant la remise en cause de certains facteurs et en y ajoutant d’autres, basés sur des constats empiriques, un nouveau modèle a émergé avec l’agriculture urbaine, qui propose un futur différent. Il permet de repenser la façon dont l’agriculture peut se développer aujourd’hui.
Ce mode d’agriculture repose également sur des formats variés : agriculture à domicile, agriculture décentralisée dans des modules destinés à la production (locaux à l’intérieur de bâtiment, containers, jardins au sol ou sur des toits, etc.), fermes verticales urbaines.
Quel développement ?
Ce modèle inédit casse les codes de l’agriculture… au point qu’une entreprise comme Agricool – qui produit des fraises dans des conteneurs urbains en n’utilisant aucun pesticide chimique – ne peut prétendre au label bio du fait qu’elle n’utilise pas de terre !
On voit ici que les cadres définis par les pouvoirs publics deviennent obsolètes. Ces derniers devront s’adapter aux nouvelles pratiques qui s’inventent chaque jour dans ce secteur : car le consommateur ne comprendrait pas qu’un produit de la même qualité qu’un autre, bio, ne puisse pas à terme bénéficier du même label.
L’agriculture urbaine n’a, bien évidemment, pas que des avantages : un coût de production actuellement au-dessus de la moyenne du marché, un fort besoin en énergie, une impossibilité d’exploiter de très grandes parcelles (bien que le rendement annuel des fraises dans 30m2 des containers chez Agricool soit l’équivalent de 4 000m2 en plein champ), la difficulté d’assurer l’élevage animal, etc.
Mais elle contribue à modifier en profondeur les cadres de référence classiques de l’agriculture moderne. Tout en ne s’interdisant pas de miser sur de nouvelles ressources, en utilisant, par exemple, des données numériques issues de capteurs pour mieux gérer la consommation d’eau.
Le développement de l’agriculture urbaine ne passera pas uniquement par l’entrain d’une population de niche et le développement de startups telles qu’Agricool, AeroFarms, Topager (réalisation de potagers sur les toits) ou Toit Tout Vert (qui ouvrira prochainement une ferme verticale dans Paris).
Elle passera aussi par l’intérêt que pourront trouver des grandes entreprises du secteur de la construction immobilière, de l’énergie ou de la gestion des données pour ce type de débouchés. C’est aussi là l’intérêt de ce nouveau modèle : développer des dispositifs qui permettent de faire se rapprocher des acteurs qui jusqu’ici se rencontraient peu, tout en reconnectant la population urbaine avec la problématique de la production alimentaire.
Cet article a été réalisé à partir de l’étude menée par les étudiants du master 101 « Politique générale et stratégies des entreprises » de l’Université Paris-Dauphine dans le cadre du trophée de l’Intelligence économique qui s’est déroulé le 9 avril 2018.
L’auteur : Lionel Garreau, Maître de conférences HDR en stratégie & organisation, Université Paris Dauphine – PSL
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.