La sécheresse prolongée de l’été dernier couplée à un niveau des nappes phréatiques fortement dégradé depuis des années a entraîné, ces derniers mois, de nombreuses pénuries, restrictions, coupures et autres interdictions de prélèvement partout sur le territoire. Plusieurs centaines de communes ont d’ailleurs connu de grandes difficultés d’approvisionnement en eau potable l’été dernier. Et en ce début d’année 2023, la situation est encore critique au niveau de certains bassins qui ont du mal à se régénérer.

Nous allons devoir apprendre à gérer l’eau différemment. Apprendre à l’économiser, en discuter les besoins et les usages, et trouver des alternatives au pompage des eaux souterraines et des cours d’eau. L’une de ces alternatives, c’est la réutilisation des eaux usées traitées (la REUT ou REUSE).

Plusieurs pays ont déjà pris une avance considérable sur ce sujet, et appliquent des solutions qui pourraient tout à fait être déployées chez nous. En France, Christophe Béchu, le Ministre de l’Ecologie, expliquait la semaine dernière à nos confrères du Parisien dans le cadre de la présentation du plan anti-sécheresse du gouvernement, que la France qui ne réutilise qu’1% de ces eaux usées pouvait faire mieux : “L’Italie, c’est dix fois plus, l’Espagne, vingt fois plus et Israël, cent fois plus. C’est donc techniquement possible” avait-il asséné.

Mais alors pourquoi n’en sommes-nous qu’aux balbutiements sur ce sujet : est-ce une question de volonté politique ? Une difficile acceptabilité du sujet par la population ? Un peu des deux sûrement, mais toujours est-il que la France est en retard. 

Pratique de la REUT en Europe - Crédits REUT Luberon
Pratique de la REUT en Europe – Crédits REUT Luberon


La France à la traine en matière de réutilisation des eaux usées

Quand on parle de REUT, la question des usages est primordiale. En France, son utilisation est encadrée de manière très stricte depuis deux décrets de 2010 et 2014. Elle se limite ainsi à l’irrigation de cultures ou d’espaces verts. Dans le cadre de la Loi AGEC, un décret publié le 11 mars 2022 autorise de nouveaux usages pour les eaux usées traitées : le lavage de voirie, l’hydrocurage (nettoyage) des réseaux, mais aussi pour la recharge de nappe ou la lutte contre les incendies.

Mais avec seulement une centaine de stations d’épuration sur 33 000 équipées pour pratiquer la REUT en France, cette solution est grandement sous-utilisée. Ce chiffre paraît même dérisoire au regard des enjeux, et il est évidemment souhaitable de le voir évoluer rapidement à la hausse afin de subvenir aux usages autorisés, en particulier pour les besoins liés à l’agriculture.

En Vendée, un projet va même plus loin et sera bientôt en mesure de transformer les eaux usées jusqu’à les rendre de nouveau potables, et donc distribuées à la population via le réseau. Baptisé “Jourdain”, il s’agit d’une expérience unique en Europe. Élément de contexte local : il faut savoir qu’en Vendée, 9 litres d’eau potable sur 10 proviennent des eaux de surface, alors que 70% de l’eau potable est issue du pompage de nappes sur l’ensemble du territoire français. Les eaux de surface sont particulièrement sensibles et exposées au changement climatique, et donc à la sécheresse.

S’appuyant sur cette spécificité locale, Vendée Eau, le service public d’eau potable du département, s’est donc lancé dans ce projet inédit qui pourrait s’avérer révolutionnaire : réinventer le cycle de l’eau domestique et le faire entrer dans l’ère du circulaire. 

Crédits Vendée Eau


Un double traitement industriel et naturel

Sur le papier le principe est plutôt simple : récupérer une partie de l’eau en sortie de la station d’épuration des Sables d’Olonne, au lieu de la rejeter dans l’Atlantique comme aujourd’hui. Puis, un processus de traitement en cinq étapes au sein d’une usine d’affinage visera à éliminer de cette eau la salinité, les composés pharmaceutiques, les pesticides, bactéries et autres micropolluants industriels. Une fois traitée, l’eau est acheminée par canalisation sur 27 km jusqu’à la retenue du Jaunay, en amont du barrage du même nom, où elle est rejetée dans une zone végétalisée, via laquelle elle se mélangera à la rivière et retrouvera son état naturel. Enfin, elle reprendra le cycle traditionnel vers l’usine de production d’eau potable, et sera alors consommable pour les populations.

C’est Véolia qui s’est vu confier la partie traitement et affinage. L’unité d’affinage est en cours de construction dans la zone des Plesses à Château-d’Olonne, et le réseau de canalisation verra le jour cet été. Le projet partira alors pour une longue phase d’expérimentation durant laquelle l’usine devrait tourner 12 mois avec rejet dans l’océan, afin de s’assurer de la bonne qualité de l’eau en sortie d’affinage. Enfin, courant 2024 l’usine sera mise en fonctionnement en conditions réelles et l’eau sera acheminée dans la retenue du Jaunay.

La capacité de traitement sera de l’ordre de 150 mètres cubes par heure jusqu’en 2027, le temps d’évaluer dans la durée les impacts en fonctionnement. Si tout est au vert, le débit passera alors à 600 mètres cubes par heure. A terme, l’usine d’affinage pourra traiter jusqu’à 1,5 million de mètres cubes d’eaux usées, soit un tiers des eaux usées traitées par la station d’épuration des sables d’Olonne par an, et rejetées dans l’océan. Et alimentera environ 100 000 foyers.

Plan du programme Jourdain - Crédits Veolia
Plan du Programme Jourdain – Crédits Veolia


Une nouvelle source d’eau potable

Bien entendu, au regard des enjeux sanitaires, les technologies utilisées dans le processus d’affinage sont issues des dernières innovations assure Veolia. La première étape est une ultrafiltration avec coagulation, suivie d’une seconde étape d’ultrafiltration par osmose inverse basse pression. Puis une désinfection par ultraviolet a lieu, avant une chloration et une reminéralisation. Ce type de process est capable de rendre l’eau traitée parfois plus pure qu’elle ne l’est dans le milieu naturel. Le coût global du projet est de 22 millions d’euros, financés par Vendée Eau, l’agence de l’eau Loire-Bretagne, la région Pays de Loire, le département de Vendée et l’Europe via le FEDER.

D’un côté, il faut avancer rapidement sur le déploiement des techniques classiques de réutilisation des eaux usées traitées dont les usages sont définis par la loi et ne sont pas domestiques ou sanitaires (hôpitaux etc). Et faire ainsi en sorte d’économiser l’eau le plus rapidement possible.

Le programme Jourdain est lui une solution à très haute valeur ajoutée technologique. D’un point de vue sanitaire, ce projet va bien au-delà du cadre des usages autorisés progressivement en France pour la REUT, puisque l’eau est réinjectée dans un milieu naturel à des fins domestiques.

Le projet Jourdain a donc lui de son coté une visée à plus long terme en ajoutant la couche de la potabilité de l’eau. Il montre qu’une nouvelle voie complémentaire est possible pour les eaux usées : celle de la sécurisation de l’approvisionnement en eau potable d’une région, par leur valorisation circulaire. Car comme le rappelle Jack Dallet, Président du Syndicat Vendée Eau : “L’Horizon 2040-2050 se prépare aujourd’hui ».

Illustration : Plan de l’usine d’affinage Veolia – Crédits Véolia

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