Jérémie Wainstain est le fondateur et le directeur général de The Green Data, une startup spécialisée dans les solutions data-analytics pour le secteur de l’agrobusiness. Ingénieur passé par l’École Polytechnique et l’École Normale Supérieure, il vient de publier « L’équation alimentaire » aux éditions France Agricole, un « plaidoyer pour l’utilisation des mathématiques dans l’agriculture ». Il est également co-fondateur de l’entreprise Carbon Maps.
Les Horizons : Jérémie Wainstain, quels sont les constats à la genèse de ce livre ?
Jérémie Wainstain : Je me suis assez vite convaincu que le secteur de l’agroalimentaire allait prochainement vivre sa mutation, et qu’il allait se moderniser via l’ingénierie. J’ai monté une startup, The Green Data, et c’est en cherchant à intégrer les maths au sein de l’agriculture que je me suis rendu compte d’un choc des cultures entre ces deux mondes.
L’agriculture est un secteur qui, encore aujourd’hui, repose plutôt sur une culture semi-artisanale, basée avant tout sur le savoir-faire et l’expérience. Donc, ce livre est né d’une volonté de vulgariser les mathématiques auprès du secteur agricole, et un plaidoyer pour l’utilisation des maths dans l’agriculture.
C’est ce que vous appelez la « troisième révolution agricole » au fil du livre ?
Tout à fait. Pour moi, la troisième révolution agricole, c’est la révolution des mathématiques. Je considère les mathématiques comme une sorte de langage permettant de formaliser et de capitaliser les expertises, qui permet de les partager entre différents acteurs de différents univers : agriculteurs, experts, conseillers.
Les maths sont le langage qui fait défaut aujourd’hui pour accélérer la transition écologique. Si cette dernière n’accélère pas actuellement, c’est en grande partie car les gens ne se comprennent pas. Or, pour accélérer, il faut pouvoir modéliser les risques, faire des scénarios, calculer des retours sur investissements, etc.
Donc, pour mettre la finance au service de la transition agricole, il faut utiliser le langage mathématique et non celui de l’agronomie. C’est ce qui va permettre de réinventer les relations entre l’agriculture et le secteur financier ; entre le secteur agroalimentaire et les politiques publiques.
Pour mettre la finance au service de la transition agricole, il faut utiliser le langage mathématique et non celui de l’agronomie
Comment est-ce que cela va permettre de modifier notre système agroalimentaire ?
Il existe 2 grandes problématiques selon moi actuellement, auxquelles peuvent répondre les mathématiques. D’abord, l’enjeu de la capitalisation des expertises. Il s’agit de professionnaliser le métier d’agriculteur et de moderniser la prise de décisions. Cela implique de formaliser et de capitaliser les pratiques agroécologiques sous forme de documentation. On sent le potentiel que pourrait avoir un grand programme de modélisation des expertises dans l’agriculture, comme c’est le cas dans la médecine par exemple.
Ensuite, il y a la nécessité de réinventer les relations entre les secteurs de l’agriculture, de la finance, de l’agroalimentaire et des politiques publiques. Cette réconciliation doit se faire par les mathématiques, car il n’y a pas d’autre moyen de formaliser des contrats, des risques, ou des politiques publiques. Cela permet notamment aux citoyens et à la profession agricole de prendre des décisions collaboratives sur des bases scientifiques. Aujourd’hui, aucune simulation n’est faite : on le constate par exemple avec l’enjeu du départ à la retraite des agriculteurs.
Est-ce que vous y voyez un lien avec la transition écologique ?
Oui, ce qui va réaligner tout le monde, ce sont les sujets environnementaux. Nous vivons une transition massive qui va forcer les gens à collaborer entre eux. Actuellement, il n’y a pas beaucoup de collaboration en raison de la nécessité de produire beaucoup d’aliments, grâce à la chimie, aux énergies fossiles et à la mécanisation. Mais maintenant que le sujet des énergies fossiles est apparu, la nécessité de collaborer émerge davantage.
C’est donc le bon moment pour réconcilier l’agriculture avec les maths, car les maths peuvent permettre de faire collaborer tous ces secteurs dans un objectif de décarbonation des chaînes alimentaires, de financement de la transition agricole et dans la mise en place de politiques publiques qui permettront d’assurer une sécurité alimentaire durable.
Vous traitez le sujet de l’insécurité alimentaire en Europe dans votre livre. Selon vous, comment se manifeste-t-elle ?
J’ai écrit ce livre avant la guerre en Ukraine, pendant la crise du Covid. Cette première crise nous avait déjà montré que des chaînes alimentaires pouvaient s’arrêter du jour au lendemain. Nous avons pris conscience du fait que les chaînes alimentaires n’avaient pas de plan de crise capables d’assurer la sécurité alimentaire des populations.
Plus récemment, la guerre en Ukraine a démontré à quel point notre agriculture était dépendante des énergies fossiles. L’objectif numéro 1 est donc de décarboner l’agriculture, et pour cela, il faut utiliser les énergies renouvelables, et probablement réduire les rendements. Le fait de piloter la transition agroécologique et de réduire les énergies fossiles va faire émerger un sujet d’insécurité alimentaire, et entraîner une fragilité de notre modèle.
Il faut donc changer les modèles de production, piloter correctement cette transition, de manière organisée et scientifique. Cela passe par les mathématiques, qui est un moyen puissant de nous organiser collectivement.
Ce livre propose une vision, celle de l’agriculture régénérative, intégrée à la nature, selon le principe du land sharing
Dans votre livre, vous évoquez la nécessité de « nourrir le monde sans pétrole, en réparant la nature et le climat « . Qu’est-ce qu’il y a derrière cette phrase ?
Derrière cette phrase, il y a la croyance que les maths sont un outil utile, certes, mais que la vision politique est également cruciale. Or, selon moi cette vision manque cruellement à l’agriculture et au secteur de l’agroalimentaire aujourd’hui.
Ce livre propose une vision, celle de l’agriculture régénérative, intégrée à la nature, selon le principe du land sharing : on produit de la nourriture en même temps qu’on régénère la nature. Je considère qu’il est nécessaire de respecter la nature pour parvenir à un modèle d’agriculture qui restaure les sols et la biodiversité. C’est cet équilibre qui est à trouver pour réduire l’empreinte des énergies fossiles, pour assurer la sécurité alimentaire.
En quoi votre startup, The Green Data, permet de répondre à certaines problématiques du monde agricole ?
J’ai monté The Green Data pour réaliser le programme détaillé de mon livre, qui est de modéliser mathématiquement l’agriculture pour accélérer la transition agroécologique. Chez The Green Data, nous travaillons avec des coopératives, des banques, des acteurs de l’agroalimentaire pour être capables de modéliser les chaînes alimentaires, financières, et permettre d’accélérer la transition agroécologique.
Nous sommes donc un bureau d’études spécialisé dans la modélisation mathématiques pour l’agriculture, et nous développons des outils pour permettre aux acteurs de mieux s’organiser afin de piloter la transition agroécologique.
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