À l’occasion du Congrès International du Bâtiment Durable Cities to Be qui se déroulait à Angers début septembre, nous avons posé quelques questions à Marc-Olivier Padis, Directeur des études au sein du think-tank Terra Nova. L’occasion d’échanger avec lui sur les travaux qu’il a mené récemment concernant la problématique : « mieux vivre la ville dense ».
Les Horizons : Marc-Olivier Padis, comment définissez-vous une ville durable ?
Marc-Olivier Padis : Avant de savoir ce qu’est une ville durable, ce que j’ai trouvé important dans les travaux que j’ai mené, c’est de savoir d’abord où se trouvera la ville durable. Et en regardant les études prospectives du Commissariat Général à l’Égalité des Territoires (CGET), on observe que les flux de population, d’ici 2040, se dirigent vers les métropoles de ce qu’on appelle la France en U. C’est à dire la France qui va de la Bretagne Nord aux Pyrénées, des Pyrénées à la Côte d’Azur et de la Côte d’Azur aux Alpes. Cette France en U représente des territoires qui sont attractifs pour les actifs mais aussi pour les retraités.
Donc, on a regardé la manière dont ces territoires se développent et, ce qu’on observe, c’est une contradiction. C’est à dire qu’aujourd’hui, pour être durable, il ne faut pas que la ville continue de s’étaler. L’étalement urbain est par définition contradictoire avec le Développement Durable. Donc il faut densifier la ville. Mais, est-ce qu’on peut encore densifier la ville ? Et si oui, est-ce que c’est soutenable d’un point de vue qualité de vie ? Et à quelles conditions peut-on avoir une densité de qualité ? La ville durable, elle doit justement répondre à cette contradiction.
Est-ce que les architectes et les professionnels du bâtiment peuvent nous aider à avoir une ville qui serait à la fois plus dense et plus agréable ?
Dans ces domaines, on observe des avancées très intéressantes pour concevoir des bâtiments à énergie positive, concevoir un aménagement de la ville qui consomme moins d’énergie. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que le renouvellement du bâti, en France, c’est 1% par an. Ce qui signifie que 80% du bâti de 2040, il est déjà là. Donc, on ne va pas changer fondamentalement la physionomie des villes.
En revanche, on a le pris le parti de regarder ce qui change dans les modes de vie. Qu’est-ce qui peut se développer, par exemple, dans l’économie du partage ? En ville, vous avez les bureaux qui sont vides toute la nuit, et des maisons qui sont vides toute la journée, ce qui signifie que l’ensemble des mètres carrés est utilisé seulement la moitié du temps. La question, c’est donc : est-ce qu’on peut gagner de l’espace si on arrive à remixer les usages ? C’est de là que le concept de la ville du partage, ou ville partagée, prend son sens.
Il n’y aura pas qu’une seule ville durable. Et on peut tout aussi bien faire face à une fuite de la ville.
On s’affranchirait de la notion de propriété ?
Pas vraiment, mais dans cette idée d’explorer la notion de ville du partage, cela nous amène au concept de propriété collective. L’analogie se fait bien avec la voiture par exemple. Il y a 20 ans, la voiture, c’était vu comme une extension du logement, avec un discours qui consistait à dire : « les gens sont dans leur voiture comme chez eux, et c’est un truc qu’ils ne partageront jamais« . Aujourd’hui, pour les jeunes générations, être propriétaire de sa voiture est moins une priorité qu’avant. Et la voiture, on peut la louer, l’emprunter, on fait du covoiturage, de l’autopartage, etc.
Dans un immeuble, cela pourrait être la même chose. On peut imaginer une ville durable dans laquelle on repense les usages des immeubles. Il ne s’agit pas de partager à 100%. Mais on peut quand même partager 20% des espaces. Par exemple, il peut y avoir des salles de réception, des chambres d’amis, des terrasses ou encore des potagers que les gens sont prêts à partager. De la même manière qu’on partage déjà un local à vélo ou une buanderie.
On remarque aussi que les gens recherchent des espaces de travail chez eux, parce qu’ils font davantage de télétravail, ou qu’ils modulent leurs horaires de façon à travailler chez eux le matin ou le soir. Par rapport à cela, il y a déjà beaucoup d’architectes qui, aujourd’hui, proposent des logements complètement modulables, c’est à dire avec des pièces dont la destination n’a pas été affectée à l’avance. Ce qui permet ensuite de créer de nouveaux usages. Le fait d’avoir dans les immeubles, des espaces communs qui serviraient de « co-working », ça peut faire partie de ces nouveaux usages.
Le concept de ville durable est-il réservé aux grandes métropoles ?
Les grandes métropoles sont plus contraintes que les plus petites villes dans leur extension. Elles ont plus de budget, mais les projets de construction sont limités. Alors que les plus petites villes ont davantage à devoir gérer et anticiper la question de l’étalement urbain. Donc, dans le fond, ce serait plutôt à elles de réaliser un véritable effort pour limiter leur extension.
Et puis, un des grands enjeux de la ville durable, c’est aussi le coût du transport pour les ménages. Or, à l’échelle d’une ville moyenne, les investissements pour des réseaux de transports collectifs sont forcément élevés. Il leur faut donc repenser les logiques de transports. Est-ce qu’on investit dans un tramway ? Dans des réseaux de bus ? Est-ce qu’on peut développer plus massivement le covoiturage ?
Au-delà de cet aspect de ville du partage, vous parlez aussi dans votre projet du concept de villes en réseau. Qu’est ce que c’est ?
En France, on parle souvent de fracture territoriale, mais en réalité, on est dans un système urbain relativement équilibré, notamment parce qu’on a des infrastructures de transport, train, autoroutes, qui permettent un maillage très complet du territoire. Donc, si les métropoles de province continuent de se développer davantage que la région parisienne, cela va encore s’équilibrer à l’avenir.
À partir de ce moment, on pourrait créer un système durable en mettant ces villes en réseau. Ça nécessite de poursuivre les investissements sur les infrastructures de transports. Ça nécessite aussi que les métropoles apprennent à travailler avec les territoires autour. D’un point de vue Gouvernance, notamment, cette idée de coopération locale est encore à apprendre.
80% du bâti de 2040, il est déjà là. Donc on ne va pas changer la physionomie des villes.
Cependant, il peut aussi y avoir d’autres scénarios. Il n’y aura, de toute façon, pas qu’une seule ville durable. Et on peut tout aussi bien faire face à une fuite de la ville. En particulier quand on regarde le prix de l’immobilier, parce que les gens vont rechercher des zones avec de la place, du logement disponible, une qualité de vie plus importante, et ça n’est peut-être pas en ville qu’on trouvera cela.
Il y a aussi le scénario possible de ce qu’on appelle les actifs bi-localisés. Typiquement vous travaillez 3 jours à la ville, vous habitez les 4 autres jours à la campagne. Avec le télétravail, les outils numériques, aujourd’hui c’est possible d’envisager cela.
Le numérique, c’est un outil essentiel pour parvenir au concept de ville durable ?
C’est évident qu’il y a des choses très intéressantes avec le numérique aujourd’hui, tout autant qu’il faut se méfier aussi des gadgets et des concepts marketing. Mais on voit bien que le partage des données, par exemple, à des impacts très importants. Et si l’on poursuit cette idée de la ville du partage, l’information devient évidemment la première chose à partager.
Dans le domaine de la mobilité, ce qui se passe avec des acteurs comme Waze est très intéressant, par exemple. Parce que, historiquement, des acteurs comme la RATP et la SNCF ne communiquent pas toutes leurs données. Mais quand il y a des entreprises comme Waze, ou des opérateurs de trottinettes qui sont prêts à le faire, pour aider les villes à mieux gérer leurs flux, ça a de l’impact. Et si on réplique cela sur d’autres domaines, la consommation d’eau et d’électricité, par exemple, cela peut donner lieu à des externalités positives qu’on n’imagine peut-être pas encore.
Donc il y a beaucoup à faire et la technologie est forcément intéressante ici. À condition bien sûr d’avoir les garde-fous en matière de protection des données.
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Propos recueillis par Guillaume Joly et Mathieu Desprez.