Fractures urbaines, nuisances sonores et visuelles, embouteillages amenant à une augmentation de la pollution atmosphérique : les critiques que l’on peut faire aux rocades urbaines sont nombreuses. On en compte aujourd’hui plus d’une centaine en France, contournant toutes les villes de plus de 100 000 habitants.

Évidemment, les périph’ sont indispensables pour de nombreux travailleurs et habitants des zones péri-urbaines afin de leur permettre de rallier des points éloignés plus ou moins rapidement. À l’inverse, ils sont aussi empruntés par les urbains pour contourner facilement les villes dans le cadre de départ en week-end et vacances. Et c’est là leur fonction première : faciliter le trafic automobile.

Une fonction première plus ou moins réussie puisque ces rocades censées permettre un gain de temps considérable à leurs utilisateurs se retrouvent en fait quotidiennement saturées et sont responsables d’un impact non négligeable sur l’environnement et la qualité de l’air.

Face à ce constant et à une volonté des pouvoirs publics de réduire les déplacements en voiture individuelle dans les grandes métropoles, de nombreux projets de transformation de rocades sont aujourd’hui à l’étude.

Les villes françaises aux rocades les plus empruntées sont également celles qui possèdent les réseaux de transport en commun les plus développés.


Les rocades, fractures urbaines entre le cœur des villes et le périurbain

L’introduction des autoroutes au cœur des villes dans la seconde moitié du XXème siècle a permis d’accompagner la migration de nombreux ménages des classes moyennes du centre-ville vers les zones périurbaines. Encouragés par l’accession à la propriété privée et l’essor des quartiers pavillonnaires en banlieue, ces autoroutes urbaines étaient alors le moyen idéal de vivre en périphérie tout en continuant à travailler en centre-ville. Un modèle encore dominant aujourd’hui pour de nombreux ménages.

Mais à l’heure de l’urgence écologique et du nécessaire développement des mobilités douces, de nombreuses villes commencent à réduire l’accès de leurs centres aux voitures. Un problème pour celles et ceux qui viennent de loin via les rocades et qui, demain, vont se retrouver bloquées aux portes des villes. Le développement de l’intermodalité, notamment grâce aux transports en commun, est évidemment une solution pour leur permettre ensuite d’approcher les coeurs de ville. D’ailleurs, les villes françaises aux rocades les plus empruntées sont également celles qui possèdent les réseaux de transport en commun les plus développés.

Cependant, le classement 2019 du Tomtom Trafic Index classe, par exemple, les rocades de Paris, Marseille, Bordeaux et Grenoble dans le « Top 100 » mondial des axes routiers au trafic le plus dense. Un indicateur de l’énorme fréquentation des rocades et, par conséquent, de leur utilité.

Ce qui nous amène à une question : comment permettre aux rocades de continuer à jouer leur rôle d’inclusivité des espaces périurbains tout en réduisant les intégrant dans la transition écologique ?

La rocade de Bordeaux a vu sa fréquentation augmenter de 38% en 15 ans et le même constat s’opère aujourd’hui dans la plupart des grandes villes françaises.



The Light Path
A Auckland, en Nouvelle-Zélande, « The Light Path » est un ancien tronçon d’autoroute qui a été transformé en voie cyclable rose et illuminée la nuit.

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Voies de covoiturage et développement des transports en commun comme solution

« Aujourd’hui les réflexions portent plutôt sur la transformation des autoroutes et leur évolution progressive vers les boulevards multi-modaux » analyse l’urbaniste à l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme Paul Lecroart. « C’est à dire des boulevards bien intégrés dans le tissu urbain, qui ont des carrefours à feux, des trottoirs et des parcelles riveraines« .

Alors qu’à Paris, 80% des usagers du périphérique sont des autosolistes, le covoiturage représenterait aussi une belle alternative. Aujourd’hui, le développement de voies de covoiturage, qui sont des leviers importants pour développer cette pratique, pourrait déjà être un premier levier afin de réduire le trafic. C’est ce qui est en cours dans plusieurs villes françaises, comme Nantes et Lyon. Les transports en commun sont aussi une piste intéressante pour réduire le trafic automobile. Certaines villes, à l’image de Bordeaux, réservent désormais une voie aux bus sur la rocade. Ce qu’on retrouve aussi, par exemple, à Angers, pour relier le centre-ville aux campus étudiants qui sont situés en périphérie.

Dans la même veine, à Paris, de nouvelles lignes de métro telles que la ligne 15, dont les tronçons devraient être installés d’ici 2024 pour les Jeux Olympiques, représentent une autre alternative. En effet, en traversant plus de 30 communes des départements limitrophes à la capitale et en faisant le tour de Paris, cette ligne pourrait être une prolongation souterraine du périphérique parisien en termes de distance et de contournement. Aux États-Unis, c’est San Francisco qui s’est engagée dans un telle démarche en faisant le choix de construire une voie de tramway sur une bretelle d’autoroute, l’Embarcadero Freeway, détruite lors d’un séisme.

En outre, la transformation des rocades et autoroutes urbaines peut aussi être l’occasion de faire émerger de nouveaux usages. À Marseille, par exemple, la reconversion d’une partie de la rocade du Jarret devrait permettre le développement de nouveaux usages en la transformant en une sorte de « boulevard urbain ». D’ici 2022, de larges trottoirs vont être mis en place, avec des arbres et une piste cyclable continue sur toute la longueur de cette nouvelle avenue.

Au début de l’année 2020, le Forum Métropolitain du Grand Paris a quant à lui délivré sa vision des “routes du futur”, quant à la reconversion des autoroutes pour le Grand Paris. Au programme : déploiement des transports en commun de toute sorte, et plus particulièrement électriques, autonomes ou « carboneutres », et reconquête de l’espace par des zones végétalisées qui permettront de capter le CO2 présent en forte quantité sur les rocades. Autant de projets qui s’inspirent des différentes réussites de reconversion des autoroutes urbaines à travers le monde.

À Séoul, depuis la démolition de la voie express, les berges de la rivière Cheonggye accueillent plus de 64 000 visiteurs par jour.



Séoul reconversion autoroute
A Séoul, le projet Seoullo 7017 a transformé une immense autoroute aérienne traversant le centre de la ville en une aire piétonne végétalisée appelée « The Sky Garden ».


De Séoul à San Francisco, le succès des projets de reconversion de rocades

La transformation des rocades et autoroutes urbaines est un phénomène qui depuis maintenant plusieurs années prend forme aux quatre coins du monde. Pour tenter de tirer des apprentissages de ces expériences, l’IAU en a étudié douze parmi lesquelles on retrouve par exemple l’Harbor Drive à Portland, le West Side Highway à New-York, l’Embarcadero Freeway et le Central Freeway à San Francisco ou encore le Cheonggyecheon Expressway à Séoul. Pour toutes ces expériences de mutation de voies rapides en avenues, l’IAU a pu constater un impact urbain, paysager et économique très positif.

Entre renaissance de centres villes et quartiers sinistrés par les autoroutes, disparition de la barrière physique et visuelle ou encore réduction des nuisances, ces projets ont contribué à redynamiser en profondeur les tissus urbains.

À San Francisco, par exemple, la suppression de l’Embarcadero Freeway et son remplacement par une ligne de tramway a rendu le front de baie aux habitants, permis la création de commerces, de loisirs et de logements et développé le tourisme. À Séoul, depuis la démolition de la voie express, les berges de la rivière Cheonggye sont devenues les « Champs-Elysées » de la ville accueillant plus de 64 000 visiteurs par jour.

En effet, alors que la Cheonggyecheon Expressway était un viaduc routier de 6 kilomètres qui traversait le centre historique de la ville, la destruction de celui-ci ainsi que du boulevard au niveau du sol a permis de faire réapparaître la rivière Cheonggye, enfouie trente ans plus tôt sous le béton. En seulement cinq ans, le tronçon est devenu un lieu public iconique de la ville et a relancé l’économie du quartier. Car la destruction d’autoroutes a aussi l’avantage de libérer des dizaines d’hectares qui pourront être reconvertis en quartiers denses et mixtes, en logements à l’image de San Francisco ou de New-York ou encore en parc linéaires comme l’illustre Portland ou Séoul.

Les Coréens ont agi sur tous les leviers de la mobilité, offrant de nombreuses alternatives aux automobilistes

Paul Lecroart, urbaniste à l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme


En outre, en dépit des craintes initiales, on observe un diminution du trafic journalier sur les corridors concernés, même en y incluant les reports de circulation.

A Séoul par exemple, le trafic est passé de 170 000 à 30 000 voitures par jour, et ce pour deux raisons selon Paul Lecroart. « D’abord parce que les Coréens ont agi sur tous les leviers de la mobilité, offrant de nombreuses alternatives aux automobilistes. […] Le système de bus a été refondu, avec des bus express reliant le centre à la périphérie. Un gros travail a été mené sur le stationnement, de la répression à la limitation des places, en passant par l’augmentation et l’uniformisation des tarifs dans l’agglomération. Priorité a aussi été donnée aux covoitureurs dans les tunnels d’accès aux centres grâce à un péage urbain progressif : plus il y a de passagers, moins c’est cher. De manière plus fine encore, a été mise en place un « no driving day », avec des avantages tels qu’un passe Navigo gratuit ou une essence moins chère si vous n’utilisez pas votre voiture un jour sur dix. Résultat : il est parfois possible de fermer la voie le dimanche, faute de trafic ! »

Des démarches qui, couplées à la réduction simultanée des vitesses et des kilomètres parcourus ont un impact positif sur les émissions de CO2 et de particules fines des transports et donc par conséquent sur le climat. A Séoul, la température de l’air en été sur l’axe de l’ancienne voie rapide est de 5°C plus faible que sur les axes parallèles.

Autant d’expériences réussites qui montrent que nos rocades peuvent être ré-interrogées pour continuer à répondre aux besoins des usagers tout en s’ancrant dans les enjeux futurs. Car si ces espaces sont assurément utiles à de nombreuses personnes, cela n’exclut pas d’en chercher des moyens de substitution.


Visuel d’entrée : rocade du Jarret à Marseille après sa requalification en « boulevard urbain » CC Métropole Aix Marseille Provence

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