Le terme bioénergie ou biomasse énergie désigne l’énergie produite à partir de matière organique (ou biomasse) et transformée en chaleur, en électricité, en gaz ou en carburant. Sont ainsi utilisés le bois, les résidus organiques agricoles et forestiers (le fumier ou la paille par exemple), certains sous-produits issus de l’industrie, et certaines espèces végétales cultivées exclusivement pour produire de la biomasse à visée énergétique.
Le bois représente la source de biomasse la plus utilisée en France pour produire de l’énergie. En effet, une fois broyé, séché puis compressé pour former des granulés, celui-ci peut faire office de combustible et se substituer au charbon dans les centrales électriques. La gigantesque centrale de Drax, dans le nord-est de l’Angleterre, consomme par exemple 7,5 millions de tonnes de bois-énergie pour fournir 5% de l’électricité consommée par les Britanniques.
Autrefois considéré comme le premier émetteur de CO2 du pays lorsqu’elle fonctionnait au charbon, cette centrale serait désormais le « premier projet de décarbonation d’Europe » grâce à l’utilisation de pellets de bois. « Même en tenant compte de toutes les émissions liées à la chaîne d’approvisionnement, l’énergie produite émet 80 % d’émissions de moins que le charbon », affirme notamment le groupe Drax, propriétaire du site.
Cependant, pour la communauté scientifique et les organisation environnementales, miser sur la biomasse forestière pour produire de la chaleur ou de l’électricité serait en fait une véritable fausse bonne idée.
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Le cycle carbone du bois énergie n’est pas neutre à court terme
Mais alors comment expliquer l’écart entre l’effet escompté et la réalité ? Pourquoi un mécanisme initialement destiné à réduire les émission de gaz à effet de serre pourrait finalement menacer le climat ?
Il y a une quinzaine d’années, à l’époque où l’Union Européenne a adopté sa première directive sur les énergies renouvelables, une idée simple faisait consensus (et continue de faire des dégâts aujourd’hui) : la compensation carbone. Basique, le mécanisme fonctionne sur l’idée que, lorsqu’il meurt, un arbre rejette le carbone qu’il a stocké en poussant. Ainsi, à chaque arbre coupé, il suffirait d’en replanter un pour que le CO2 émis soit réabsorbé et que le cycle soit neutre.
Une idée simple qui faisait donc de la biomasse de bois une source d’énergie renouvelable lui faisant également bénéficier de dispositifs de soutien au même titre que le solaire ou l’éolien et qui avait aussi le soutien des organisations environnementales. « Même les ONG étaient pour », se souvient Hannah Mowat, coordinatrice des campagnes de l’ONG Fern. « Nous n’avions pas anticipé les conséquences de la création d’un marché à l’échelle mondiale«
À court terme, brûler du bois génère davantage de gaz à effet de serre que brûler du charbon ou du gaz.
Pourtant dès les années 2010, une question majeure est soulevée par la communauté scientifique : certes un arbre planté peut absorber le carbone émis par un arbre coupé, mais au bout de combien de temps ? De nombreuses études estiment qu’il faudra des décennies, voire dans certains cas plus d’un siècle. C’est là le problème car, lors de sa combustion, le bois émet davantage de CO2 que toutes les autres sources fossiles pour produire la même quantité d’énergie. À court terme, brûler du bois génère donc davantage de gaz à effet de serre que brûler du charbon ou du gaz.
Cependant, en en faisant un marché mondial et face à une demande croissante, le secteur s’est rapidement développé. Un certain nombre de pays, notamment le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Danemark, ont donc convertis leurs centrales au charbon en centrales à biomasse. Entre 2009 et 2018, les capacités de production électrique européenne à partir de biomasse solide sont ainsi passées de 16 gigawatts à 24 gigawatts et les exportations de pellets américains ont triplé en 7 ans.
Au total, plus de dix millions de tonnes de pellets sont désormais commercialisées chaque année, essentiellement entre l’Europe et les États-Unis mais aussi avec la Corée du Sud et le Japon. Aujourd’hui, le marché mondial de la biomasse pèse 50 milliards de dollars et pourrait croître de plus de 9 % par an d’ici à 2027, entraînant avec lui une hausse des émissions de gaz à effet de serre et potentiellement un recul de la superficie forestière mondiale.
Des émissions invisibles et un problème de traçabilité
Scientifiques et ONG pointent une autre problématique liée au bois-énergie. Selon les règles onusiennes, les émissions liées à la combustion de bois ne sont pas comptées, elles sont en théorie déclarées au moment où les arbres sont récoltés. Résultat, le système est accusé de générer des émissions « invisibles », et donc des incitations « perverses » à privilégier la biomasse au détriment d’autres énergies.
Selon les chiffres des inventaires nationaux, les émissions liées au secteur de l’énergie des vingt-huit pays de l’UE ont baissé de 22 % entre 1990 et 2018. Mais, si les émissions liées à la biomasse avaient été prises en compte, la diminution n’aurait été que de 5 %. « Les pays importateurs de biomasse n’ont absolument pas à se préoccuper des émissions puisqu’ils déclarent zéro » explique Michael Norton. « Mais la physique et la biologie ne suivent pas les lois de la politique : l’atmosphère se fiche de savoir si le CO2 est produit aux Etats-Unis ou aux Pays-Bas. La seule chose qui compte, c’est la quantité » ajoute le chercheur américain.
Autre problème posé par la filière du bois énergie : celui de la traçabilité. En janvier dernier, un rapport soulignait notamment une tendance croissante à ne pas sourcer l’origine du bois utilisé. « Si l’on ne sait pas de manière fiable quelle quantité et quel type de biomasse forestière sont utilisés, aucune politique efficace ne peut être mise en œuvre », insistent les chercheurs. Car pour être le plus durable possible, la filière bois a évidemment intérêt à s’approvisionner auprès de forêts gérées durablement, qui assurent que les arbres récoltés sont replantés et que la gestion faite de la forêt permette de maintenir sa productivité.
La biomasse primaire (troncs entiers, branches…) a représenté 37% de la ressources utilisée en 2015 contre 50% pour la biomasse secondaire.
Le solaire, éolien, biométhane : des sources d’énergie plus efficientes que le bois ?
Afin de préserver au maximum les forêts mondiales, une piste plus durable pourrait être d’assurer un approvisionnement en biomasse de bois qui se fassent davantage grâce à la biomasse secondaire (sous-produits de l’industrie, déchets…) que grâce à la biomasse primaire (trons entiers, branches ou bois de qualité issu des coupes). Si l’industrie de la biomasse assure n’utiliser pour l’essentiel que les déchets des industries et les résidus de l’exploitation forestière les chiffres scientifiques de la Commission européenne montrent que la biomasse primaire a représenté 37% de la ressource utilisée en 2015, contre 50% pour la biomasse secondaire. Un autre aspect de la filière bois énergie qui inquiète scientifiques et associations environnementales.
Fin février, 500 scientifiques ont donc adressé une nouvelle lettre à la présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, ainsi qu’au président américain, Joe Biden, pour les alerter des risques liés à la hausse de l’usage du bois énergie. Des inquiétudes qui n’ont pas semblé être partagées puisque trois mois plus tard, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié sa feuille de route pour 2050, dans laquelle se trouvait notamment un chapitre prévoyant une hausse du recours aux bioénergies, dont le bois.
Pourtant des alternatives existent et mériteraient peut-être davantage d’être subventionnées que le bois énergie comme notamment le solaire et l’éolien. Plus compétitives mais aussi plus efficientes que le bois, ces deux sources d’énergie peuvent produire 100 fois plus d’électricité par hectare que la biomasse. En ce qui concerne la production de chaleur, privilégier l’énergie solaire thermique à celle produite par la combustion de biomasse de bois permet d’éviter la problématique des émissions de particules fines et d’hydrocarbures aromatiques polycycliques, responsables d’importants problèmes de santé.
Mais favoriser l’énergie solaire et éolien à la biomasse de bois suppose de soutenir le développement de ces deux premières sources d’énergie, soutient qui pourrait notamment passer par la réorientation des fonds investis pour la biomasse vers le solaire et l’éolien.
Le solaire et l’éolien peuvent produire 100 fois plus d’électricité par hectare que la biomasse.
Vers un usage raisonné de la biomasse de bois ?
D’ici l’été, la Commission Européenne devrait donc publier ses propositions de révision de la directive énergie renouvelable. Selon un document de travail révélé par le site Contexte, elle envisage notamment d’instaurer des plafonds nationaux concernant l’usage de troncs d’arbres au-delà d’une certaine taille, tout en soulignant qu’il s’agit d’une question « hautement politique » nécessitant « davantage de réflexion« .
Certains pays commencent à faire évoluer leur position face à la biomasse de bois. C’est le cas par exemple des Pays-Bas qui jusque là avaient l’habitude d’importer 3,5 millions de tonnes de pellets par an et dont le gouvernement a décidé de ne plus subventionner de nouveaux projets de centrales électriques à la biomasse et d’abandonner progressivement la production de chaleur renouvelable.
La France elle mise sur une filière du bois locale et raisonnée. Malgré quelques projets controversés comme celui de la centrale de Gardanne (Bouches-du-Rhône), la filière bois énergie française fait globalement un usage vertueux de la biomasse, loin du modèle des méga centrales électriques britanniques et leurs millions de tonnes de pellets importées. La France a majoritairement recours à la biomasse de bois pour produire de la chaleur.. Pour fonctionner, les installations collectives fonctionnant au bois puisent essentiellement dans des ressources de proximité, l’un des critères pour obtenir des subventions.
En France, moins de 60% de l’accroissement naturel de la forêt est récolté chaque année. « On valorise d’abord le bois d’œuvre [par exemple utilisé pour les charpentes], puis le bois d’industrie pour faire des panneaux ou du papier, et on fait du bois énergie avec ce qui reste » explique à ce sujet Alexandre Roesch, délégué du Syndicat des énergies renouvelables (SER).
Un usage qui pourrait d’autant plus être raisonné que les alternatives se développent, éolien et solaire en tête, pour permettre d’atteindre nos objectifs de décarbonation. À noter également que l’électricité française reste pour le moment largement bas-carbone grâce au nucléaire. Quant à la production de chaleur, d’autres sujets émergent aussi, et notamment le biométhane, qui est un substitut intéressant au gaz naturel.