Le biochar – contraction de bio et de charcoal – est encore confidentiel en France mais pourrait s’avérer être l’une des promesses des années à venir. Ce charbon végétal possède de nombreux avantages, notamment celui d’être un très puissant puits de carbone. C’est-à-dire qu’il absorbe et stocke le CO2, à l’instar des forêts ou des océans. Et en ces temps de déforestation et d’effondrement du plancton, ce n’est pas une mince nouvelle que de pouvoir créer de nouveaux puits de carbone, essentiels à l’équilibre général des écosystèmes sur la planète. 


Le biochar, ce puits de carbone

Considéré par certains comme le nouvel or noir, il est même présenté par le GIEC dans son dernier rapport comme une « negative emission technology », une solution de séquestration de carbone de long terme dans le but de lutter contre le réchauffement climatique. Les scientifiques du GIEC, selon lesquels plusieurs milliards de tonnes de CO2 devront être captées et stockées à horizon 2050 par des technologies d’élimination du CO2 (contre environ 10 000 tonnes retirées de l’atmosphère en 2021), pensent que le biochar fait partie de l’équation. Et qu’il pourrait aider à capter annuellement 1 à 2 milliards de tonnes de CO2, s’il est un jour massivement déployé. On estime qu’une tonne de ce charbon biologique peut absorber environ 3 tonnes de CO2.

Le biochar ressemble à une sorte de poudre de charbon de bois en très concentrée, dont les différences sont l’utilisation finale, puisque le principe est qu’il retourne dans les sols, ainsi que l’origine de la matière première utilisée. Le biochar peut en effet être obtenu à partir de résidus non utilisés de bois provenant par exemple de l’entretien des forêts ou de l’industrie du bois, mais aussi de l’agriculture à partir de fumier ou de paille, ou encore de résidus de cultures sèches comme les coques de grains de café. Ces résidus de biomasse sont chauffés à environ 500 degrés en absence d’oxygène afin d’éviter leur combustion, ce qui les réduirait en cendres.

Ce procédé, appelé pyrolyse, permet donc d’extraire le carbone capté par les végétaux au cours de leur vie, et de le piéger dans le biochar. Sans quoi il retournerait dans l’atmosphère lors de leur décomposition. Le biochar ne se dégradant pas dans le temps, 80% du carbone capté le sera définitivement, précise le GIEC. Le biochar peut donc être stocké dans le sol sans aucun problème, bien au contraire.

application du biochar pour mélanger les sols comme fertilisant
Utilisation du biochar comme fertilisant en Namibie – Crédits GIZ/Tim Brunauer / Contractual Photography Services


Le biochar, ce fertilisant naturel

Car un autre bénéfice du biochar est celui d’être un très bon fertilisant pour les sols avec lesquels il est mélangé. Il pourrait même remplacer une partie des intrants chimiques fabriqués à partir de pétrole ou de gaz. L’International Biochar Initiative, ainsi que plusieurs autres études sur le sujet, ont démontré les effets plus que bénéfiques du biochar sur les sols. Le biochar stimule le métabolisme du sol et les défenses immunitaires des plantes, les aidant contre les maladies et insectes. Et sa structure poreuse en fait par ailleurs une éponge naturelle qui retient l’eau. 

Il a également un impact positif en augmentant le pH des sols, et donc en diminuant leur acidité, et permet de favoriser le développement de la vie microbienne nécessaire à l’absorption des nutriments par les plantes. Grâce à ces nombreux effets positifs, le biochar participe à l’amélioration des rendements des cultures, ou peut permettre de régénérer des sols surexploités ou pollués.

D’après une récente étude menée par Stephen Joseph, professeur invité à la School of Materials Science and Engineering de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud de Sydney, le rendement des cultures pourrait être augmenté de 10 à 42 % avec du biochar comme intrant. A nuancer cependant, le biochar ne se suffit pas à lui-même. Ce n’est pas un fertilisant qui apporte des nutriments à la plante, c’est un complément à utiliser avec des engrais minéraux ou du compost par exemple.

le biochar mélangé à la terre


Un marché naissant, mais à très fort potentiel

Étonnamment, le biochar n’est pas ou peu connu dans nos contrées. En France, le marché est à peine balbutiant, alors qu’il est déjà très développé en Amérique du Nord, où la production avoisine les 1,5 million de tonnes par an. En Europe, la production n’est que d’environ 40 000 tonnes par an, l’Allemagne étant le premier producteur et utilisateur de ce charbon végétal.

Sa qualité de puits de carbone nouvellement reconnue scientifiquement lui assure un bel avenir. Cela va permettre à ses producteurs de pénétrer le marché de la compensation carbone volontaire, marché sur lequel les émetteurs de CO2 – entreprises ou Etats – peuvent compenser leurs émissions de gaz à effet de serre en achetant des crédits carbone de compensation.

Le biochar a donc à présent deux sources de revenus : le produit en lui-même et les crédits carbone générés par le produit. « Cela a permis au biochar de trouver un modèle économique rentable, de faire diminuer les coûts, de financer plus facilement les projets, et donc de développer le marché » explique Claire Chastrusse, fondatrice de Carbonloop. Au niveau mondial, le cabinet Data Bridge Market estime le marché du biochar en pleine expansion : il est chiffré à 192 millions de dollars en 2021, avec une projection à 498 millions de dollars en 2029.

L’économie du biochar commence donc à se construire en France. Suez s’est par exemple associé au Canadien Airex Énergie en vue de se développer à l’international. La start up NetZero s’est récemment lancée sur le sujet avec comme objectifs d’améliorer les propriétés, d’augmenter la fertilité et la productivité des sols dans les pays en voie de développement. L’entreprise a installé sa première usine à Nkongsamba, au Cameroun. De son coté, Terra Fertilis, qui doit atteindre les 1200 tonnes produites cette année, tente de percer le marché français de la régénération des sols depuis quelques années, avec une accélération depuis 2 ans.

Certains, comme CarbonLoop, investissent les bénéfices du biochar de manière globale. La jeune entreprise souhaite accompagner la transition énergétique de l’industrie, en jouant sur plusieurs tableaux en même temps.

Schéma de pyrolyse de biomasse : le biochar et un gaz de synthèse en sont extraits - Crédits Carbonloop
Schéma de pyrolyse de biomasse : le biochar et un gaz de synthèse en sont extraits – Crédits Carbonloop


Décarboner l’industrie

Carbonloop a pour objectif d’aider à décarboner l’industrie en installant des unités de production de biochar dans des containers adossés à des complexes industriels. Car en plus du biochar, le procédé de pyrolyse de la biomasse rejette un flux gazeux constitué de méthane et d’hydrogène. En nettoyant ce gaz à des températures proches de 1200 degrés au cours d’une deuxième étape, la start up va créer un gaz de synthèse – ou syngas – qui est un gaz renouvelable, au même titre que le biométhane.

Ainsi, Carbonloop alimente en énergie ses installations de production de biochar en circuit fermé. Mais surtout, ce syngas produit localement peut être réutilisé de plusieurs manières par l’industriel. Soit directement dans ses processus en se substituant au gaz naturel, pour alimenter une chaudière par exemple. Soit dans un moteur à gaz à des fins de cogénération électricité et chaleur. Soit enfin en vue de produire de l’hydrogène vert après une troisième étape de purification.

Ces 3 usages sont adressés par Carbonloop, même si Claire Chastrusse précise qu’aujourd’hui « 90% de nos prospects viennent nous voir pour remplacer le gaz naturel, nous sommes en train de réorienter nos forces commerciales sur cette utilisation depuis quelques mois ». Cette forte demande se justifiant par un besoin de sécuriser les approvisionnements suite aux évènements en Ukraine, et à une maturité des entreprises sur les sujets de la décarbonation. En fin de process, les crédits carbone sont revendus à l’industriel s’il souhaite les utiliser dans sa comptabilité carbone et donc aller au bout de la promesse Carbonloop.

La start up propose une solution totalement intégrée : elle s’occupe de l’approvisionnement en biomasse en valorisant des résidus de biomasse agricoles ou forestiers issus d’un rayon de moins de 100km du site industriel, de la production du biochar et du gaz de synthèse, et de la revalorisation du biochar de la manière la plus locale possible. « Notre objectif est d’avoir intégré en 2030 une centaine de sites industriels en Europe pour la production de syngas, ainsi qu’une centaine de stations d’hydrogène vert. Soit une production d’environ 300 000 tonnes de biochar par an ». Une sorte de cercle vertueux un peu futuriste, mais dans tous les cas très prometteur.

Photo illustration : Oregon Department of Forestry – Crédits DanBihn.com