Les ulves sont des algues vertes comestibles que l’on retrouve en quantité sur les côtes françaises : il s’agit de la « laitue de mer ». Ces algues sont mal-aimées. Lorsque les températures sont élevées, elles peuvent en effet proliférer massivement en raison de l’excès de nutriments (généralement de l’azote issu des activités agricoles), qui se retrouvent en mer. C’est ce phénomène qui provoque les fameuses « marées vertes ».
Or, d’après les chiffres du gouvernement (publiés en 2014), de 50 000 à 100 000 m3 d’algues vertes sont ramassées et traitées chaque année par les collectivités – essentiellement en Bretagne et Normandie – pour un coût proche de 1,7 million d’euros. Un coût élevé pour une pollution néfaste au tourisme et à l’environnement. D’autant que ces algues peuvent être mortelles. Quand elles pourrissent, elles dégagent de l’hydrogène sulfuré, un gaz toxique qui peut tuer en quelques secondes.
Cependant, d’après des travaux publiés le 8 juillet 2019 dans Nature Chemical Biology, par un consortium international impliquant la station biologique de Roscoff (CNRS/Sorbonne Université), les universités de Brême et de Greifswald (Allemagne) et l’université technique de Vienne (Autriche), ces algues vertes constituent un réservoir de biomolécules aux propriétés prometteuses pour les industries agroalimentaires et cosmétiques. De quoi transformer un matériau nuisible en une ressource durable ?
Vers une nouvelle filière pour valoriser les algues vertes ?
En particulier, ce consortium de chercheurs européens s’est intéressé à l’ulvane, le principal sucre constitutif de la paroi des algues vertes. Les scientifiques ont ainsi découvert et caractérisé la voie de dégradation complète de l’ulvane chez la bactérie marine Formosa agariphila. C’est un poil compliqué, mais pour simplifier, chez cette bactérie, douze enzymes agissent pour convertir l’ulvane en sucres fermentescibles. Et ces sucres pourraient devenir une source d’énergie en servant de base à la production de bioéthanol.
Cet éthanol d’origine végétale, naturel et renouvelable, peut servir de base à la conception de carburant par exemple. Mais au-delà de la production de bioéthanol, ces enzymes permettent également d’obtenir d’autres types de molécules, plus complexes, qui pourraient ouvrir la voie à l’exploitation biotechnologique des algues vertes. C’est notamment le cas pour l’industrie agroalimentaire et l’industrie cosmétique.
Les algues sont déjà utilisées dans ces deux secteurs car elles présentent des caractéristiques extrêmement intéressantes. C’est cependant la première fois que l’on découvre une utilité aussi importante aux algues vertes. Ce qui ouvrirait d’ailleurs la voie à une filière économique intéressante sur le territoire français.
Le marché de l’algue : 1 600 emplois et 80 entreprises en France
Il existe des milliers de sortes d’algues. Elles sont d’ailleurs utilisées depuis des millénaires dans l’alimentation. En Asie, les algues comme le wakamé sont la base de nombreux plats. Elles possèdent des compositions riches en sels minéraux (fer et magnésium) ainsi qu’en calcium et en vitamines (B1 à B12). En Europe, cependant, l’algue a toujours été sous-exploitée alors qu’il s’agit d’une ressource abondante et naturelle.
À l’heure de la transition écologique, elles font aujourd’hui un retour sur le devant de la scène. Les algues peuvent servir pour l’alimentation humaine et animale. À titre d’exemple, la jeune start up TinyBird utilise l’agar agar, une algue rouge, afin de créer des gélatines naturelles pour la conception de bonbons naturels et bios. À l’échelle mondiale, ce sont d’ailleurs près de 25 millions de tonnes d’algues qui sont produites chaque année.
Et la France y joue un rôle de premier plan puisque l’hexagone est le second producteur d’algues en Europe après la Norvège. Selon l’Idealg (un projet de recherche porté par l’Université de Bretagne Loire), l’exploitation des algues en France représente 1600 emplois directs, près de 80 entreprises et une valeur estimée à 424 millions d’euros. La majorité de cette filière est installée en Bretagne et plus particulièrement en Finistère Nord. À côté de Brest, le port de Lanildut est ainsi le premier port goémonier d’Europe (une algue brune utilisée comme fertilisant pour les sols).
Les algues brunes (goémon) et rouges (comme l’agar agar) sont les principales variétés utilisées. Mais d’autres sont également très connues du grand public, à l’image de la spiruline… Et bientôt, peut-être, ce seront donc les algues vertes.