La Tech for Good c’est quoi ? Il y a plusieurs définitions qui se succèdent pour mettre en avant le rôle que le numérique doit prendre pour faire avancer le bien commun. Qu’il s’agisse d’initiatives à impact social ou écologique, les définitions foisonnent sur ce sujet. Parmi les plus pertinentes, on retient celle du FEST (France Eco-Sociale Tech), un mouvement qui définit la Tech for Good comme étant l’utilisation du numérique pour atteindre les Objectifs de Développement Durable définis par l’ONU. D’autres y mêlent les critères RSE et ESG. Mais dans la foulée de cette définition, Paul Duan, fondateur de Bayes Impact rappelle une vérité : « l’intention première de la Tech for Good réside dans le FOR. La problématique pour le bien commun doit être le point de départ de la démarche. Pas un story-telling qui intervient à posteriori ».

Reste qu’aujourd’hui, tout le monde souhaite s’approprier et développer cette notion très à la mode. Et déjà, pour résoudre les problèmes du monde, il faudrait appeler de nos voeux l’émergence de « licornes » dans le domaine des initiatives à impact pour que le monde devienne meilleur plus rapidement. Or, il y a certains paradoxes à vouloir créer des géants dans le domaine du bien commun quand on prête attention à la vision de départ de ces entreprises, généralement éloignée d’un projet purement financier.

D’ailleurs, la question se pose, est-il souhaitable que ces entreprises à impact deviennent des licornes ? C’était le sujet fort de cette première journée du Web2Day 2019.

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Frédéric Bardeau, co-fondateur de Simplon.co sur la scène du Web2Day 2019.


Quelle compatibilité entre les entreprises à impact et le statut de Licorne ?

Comme le souligne Frédéric Bardeau (co-fondateur de Simplon.co), « il y a un paradoxe à mettre en parallèle les fameuses licornes (ces entreprises dont la valorisation dépasse le milliard de dollar) et l’économie sociale et solidaire – qui se rapproche le plus de la Tech for Good ». D’abord, parce que le modèle financier des entreprises à impact n’est pas le même que celui des entreprises plus classiques.

Si l’on regarde les entreprises à impact en France, en tout cas celles qui pourraient être des licornes ESS, il y a la Ruche qui dit oui, Backmarket, Phénix, Simplon ou encore HelloAsso. Mais ces entreprises restent encore modestes en matière de taille et d’impact. Il y a bien BlablaCar qui surfe sur le domaine en se présentant désormais comme une licorne de la tech for Good grâce à l’impact indirect du covoiturage sur le climat et la pollution. Mais cela reste marginal. En fait, comme le précise Frédéric Bardeau, la seule vraie licorne ESS en France, c’est une ONG. Le Groupe SOS, qui fait presque un milliard d’euros de chiffre d’affaires grâce à ses 18 000 salariés. Mais elle ne fait pas de bénéfices. Et pour qu’une entreprise arrive à ce niveau de réussite, il lui faudrait soit énormément de temps, soit énormément d’argent.

Aujourd’hui, certaines licornes sont valorisées pour des dizaines de milliards de dollars. Mais une réalité se cache derrière ces entreprises, c’est la stratégie de l’hyperscale. La croissance exponentielle, et massivement financée par des capital-risqueurs, le temps que l’entreprise trouve son business modèle. De l’autre côté, il y a les objectifs des entreprises à impact (changement climatique, pauvreté, accès à l’éducation, etc.), leurs engagements (égalité des salaires, partage des profits entre salariés). Et la question de leur business modèles, qui n’est pas vue de la même manière, comme le rappelle Paul Duan : « la majorité des start up ne sont jamais pérennes sur leurs premières années. Leur croissance est financée pendant longtemps. Mais pour les entreprises sociales, qui ne sont pas faites pour générer de l’argent, on demande un modèle économique viable dès le départ »

Ainsi, pour développer la Tech for Good, les regards se tournent vers les fonds d’investissements. Et l’on se dit naturellement qu’il faut simplement plus d’argent dans l’ESS pour la faire décoller. Vrai ou faux ? En fait, les deux. D’abord parce que de l’argent, il y en a déjà. Ensuite, parce que le modèle qui s’applique à des entreprises classiques n’est sans doute pas le plus adapté à ce secteur émergent.

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Liza Belozerova (Google.org) et Paul Duan (Bayes Impact) sur le Web2Day 2019


Faut-il investir massivement pour faire émerger des licornes Tech for Good ?

Y a t’il un manque d’argent dans la Tech for Good ? À priori ce serait l’inverse. « Les VC et acteurs de l’ESS pensent qu’ils y a beaucoup d’argent dans leur domaine » précise Frédéric Bardeau.

D’abord, il y a de plus en plus de fonds d’investissement qui se spécialisent dans les projets à impact. C’est le cas par exemple de 50 partners, Raise, Future Positive Capital ou encore Citizen Capital & Allianz. Et les levées de fonds qui concernent ces acteurs ne cessent de croître. 45 millions pour Backmarket, expert du reconditionnement de produits. 15 millions pour Phénix, spécialiste de la valorisation des invendus, 20 millions pour Simplon. Mais cela reste des « petites » levées de fonds par rapport à ce qui se pratique ailleurs dans la Tech.

Pourquoi ces levées restent modestes ? C’est parce qu’il est difficile pour un VC d’investir sur des projets qui ne sont pas suffisamment scalables ou sur des modèles économiques dont la finalité n’est pas la rentabilité. Car l’idée principale des entreprises dans le monde de l’économie sociale et solidaire, c’est de faire des bénéfices qui vont servir le projet. Et l’idée principale d’un VC, c’est de réaliser une belle sortie sur une success-story qui va rembourser les fonds perdus sur d’autres projets.

Les entreprises de la Tech for Good ne peuvent donc pas rivaliser avec d’autres modèles économiques d’un point de vue capital. Pour grossir, elles doivent alors trouver d’autres relais. Et ces relais ne sont peut-être pas ceux qui mènent à la glorieuse destinée de « licorne ».

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Web2Day 2019 – conférence de Frédéric Bardeau (simplon.co)


Et si on changeait de paradigme économique pour la Tech for Good ?

Il y a une logique prépondérante aujourd’hui dans l’économie du numérique, c’est la volonté inébranlable de vouloir à tout prix créer des champions. Les licornes, ce sont les champions. Et les autres, on les oublie. Sauf que dans l’économie à impact, il n’est simplement pas possible de mettre de côté les autres. Parce que les causes portées par les projets Tech for Good, par l’économie sociale et solidaire, ce sont des enjeux humains trop importants. Ainsi, la course à la licorne n’est sans doute pas adaptée à un marché qui oeuvre avant tout pour le bien commun.

Dès lors, deux pistes s’ouvrent à nous si l’on souhaite faire émerger de grandes entreprises à impact. La première, ce serait sans doute de faire en sorte que les licornes d’aujourd’hui soient davantage portées sur les enjeux sociaux et environnementaux. Imagine t’on cependant Jeff Bezos faire d’Amazon un exemple d’entreprise sociale et écologique ? Pas évident.

D’autant que le numérique n’est pas forcément la solution pour améliorer le monde. Au contraire, la technologie a des impacts très négatifs sur l’environnement par exemple. Non. À priori, si nous voulons des grandes entreprises à impact, les leviers sont à aller chercher ailleurs. Il faudrait changer de paradigme. Aujourd’hui, on veut des champions qui vont régner sur la jungle. Mais il existe une autre loi de la jungle : celle de l’entraide, de l’échange, du collaboratif. Et c’est sans doute là que réside la clé pour faire grandir les entreprises à impact.

Plusieurs pistes existent pour cela, qui mêlent engagement politique, philanthropie, création de collectifs, associations d’entreprises à profit et d’ONG, de différentes causes…. les facteurs clés pour faire émerger plus d’entreprises Tech for Good, c’était la suite de cette première journée de conférence : on vous en parle ici