Time for the Planet est une entreprise pas comme les autres. Sa mission ? Lever progressivement 1 milliard d’euros afin de financer 100 entreprises actives dans la lutte contre le réchauffement climatique. Pour cela, l’entreprise créée en 2019 par 6 entrepreneur-es ouvre son capital à tout le monde : particuliers comme entreprises et institutionnels. Chacun peut acheter des actions et participer ainsi à développer des innovations permettant de réduire les émissions de CO2 à l’échelle planétaire.

Avec près de 23 000 citoyens et entreprises parmi leurs actionnaires à date, elle devrait financer 3 premières entreprises d’ici la fin de l’année dont deux viennent d’être validées en Assemblée Générale. La société vient également de faire paraître un livre-manifeste (Pisser sous la douche ne suffira pas), l’occasion pour nous de faire le point avec Coline Debayle, co-fondatrice de la structure, sur l’engagement de ce fonds d’investissements citoyen.



Les Horizons : Coline Debayle, vous faites partie des 6 associés fondateurs de Time for the Planet. Pouvez-vous nous rappeler comment est né ce projet ?

Coline Debayle : Nous sommes 6 entrepreneur-es à l’origine de Time for the Planet. Après avoir pris conscience des enjeux climatiques, il y a deux ou trois ans, nous nous sommes demandé comment agir concrètement et, pour cela, nous sommes allés voir beaucoup de scientifiques, à l’image de Jean Jouzel. Leur réponse, ça été de nous dire qu’on aurait besoin de 3 choses à l’avenir : davantage de sobriété dans nos usages et comportements ; de la régulation et de l’innovation, notamment pour l’adaptation au changement climatique et la réduction des émissions de CO2.

C’est sur ce créneau de l’innovation que nous avons souhaité agir. Et de là est né notre mission : lever progressivement 1 milliard d’euros pour créer et financer 100 entreprises qui agissent contre l’augmentation des gaz à effet de serre.


Quels secteurs sont concernés ?

Nous visons des solutions qui permettent de décarboner les secteurs de l’énergie, de l’industrie, de l’agriculture, des transports et du bâtiment. Les innovations que nous détectons concernent par exemple la sobriété, la captation de CO2, ou alors des innovations qui servent à produire des biens et des services bas-carbone, à améliorer notre efficacité énergétique, etc.

L’idée, c’est de créer des solutions qui sont scalables à l’international et qui vont avoir un impact qu’on peut mesurer en termes de pourcentage sur les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale.

Aujourd’hui, nous comptons plus de 22 000 citoyens et près de 1 500 entreprises parmi nos associés


Comment fonctionne votre modèle ?

Nous avons créé l’entreprise Time for the Planet avec un modèle innovant. D’abord, nous acceptons tout le monde comme associé. Tout le monde peut donc investir dans l’entreprise (1 action = 1€, ndlr) et voter aux Assemblées Générales. Aujourd’hui, nous comptons plus de 22 000 citoyens et près de 1 500 entreprises, collectivités territoriales, ONG ou écoles parmi nos associés. Et 3 500 d’entre eux sont devenus bénévoles et nous apportent leurs compétences pour faire grandir le mouvement.


Qu’est ce que Time for the Planet rapporte à ses investisseurs ?

Il n’y a pas de logique de performance financière chez Time for the Planet. Un investisseur ne récupérera jamais davantage que ce qu’il a mis. Il devrait pouvoir récupérer 1€ pour 1€ investi, à partir de 2030 si c’est possible. Mais il n’y aura pas de plus-value. Ce qu’un investisseur récupère, c’est avant tout une performance environnementale. C’est à dire qu’on va mesurer le nombre de tonnes de CO2 capté ou non-émis par nos 100 entreprises, et en fonction du montant et de la date de chaque investissement, nous allons pouvoir dire à nos investisseurs quelle est leur contribution.

L’idée, c’est de créer des solutions qui vont avoir un impact qu’on peut mesurer en termes de pourcentage sur les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale.


Comment se déroule la détection et la sélection des projets que vous financez ?

Les entrepreneur-es qui souhaitent bénéficier de notre accompagnement nous contactent et soumettent leur projet en ligne. Chaque projet est ensuite évalué par nos équipes. Nous avons 3 000 bénévoles évaluateurs que nous avons formés à analyser les entreprises, en fonction de 6 critères spécifiques. Chaque entreprise est évaluée en moyenne une centaine de fois par nos évaluateurs.

Après cette phrase de pré-sélection, les meilleures innovations sont ensuite présentées à notre comité scientifique. Et pour celles qui sont validées par le comité scientifique, nous réalisons ensuite une étude de marché. Après, se pose la question du montant que nous allouons ainsi que le recrutement d’un entrepreneur aguerri pour aider au développement du projet.

Ensuite, nous mettons tout de suite l’innovation en open-source. N’importe qui peut alors copier l’innovation via un accord de licence avec nous. Une licence qui leur donne des droits mais aussi des devoirs : s’ils améliorent l’innovation, ils doivent partager cette amélioration avec tous les utilisateurs de la licence. Ils doivent aussi nous communiquer le nombre de tonnes de CO2 économisées. À terme, cela veut dire que notre performance environnementale va se mesurer à la fois sur les 100 entreprises que nous créons, plus toutes celles qui les copient.


Vous sélectionnez des entrepreneur-es pour porter ces projets ?

Sauf si dans les projets qu’on détecte il y a déjà ce type de profil. Ce qui peut arriver. En revanche, on a souvent des profils d’innovateurs, notamment des scientifiques de formation, qui sont en demande d’être accompagnés sur la partie commerciale et marketing.

Lorsque c’est le cas, les entrepreneur-es qu’on recherche doivent avoir au moins 10 ans d’expérience dans le secteur. Il faut qu’ils aient déjà monté des grosses équipes commerciales en partant de 0, des grosses équipes de marketing, qu’ils aient déjà internationalisé des entreprises, déjà réalisé des levées de fonds, etc. Le but, c’est de gagner du temps avec des personnes qui vont pouvoir accompagner l’innovateur, qui est souvent novice en entrepreneuriat.

Nous allons créer au moins 3 entreprises cette année. Pour le moment nous en avons deux qui sont arrivées au bout du processus


Vous avez déjà financé de premières entreprises ?

Nous allons créer au moins 3 entreprises cette année. Pour le moment nous en avons deux qui sont arrivées au bout du processus et qui ont été présentées le 26 juin en Assemblée Générale à nos 23 000 associés. La première, c’est Aredox, qui propose un système de stockage d’électricité sans métaux rares, 100% recyclable avec un nombre de cycle illimité et qui permettent d’accélérer le développement des énergies intermittentes. La seconde, c’est Project Vesta, une solution low-tech de captation de carbone via une roche appelée l’olivine.


Vous avez des entreprises parmi vos investisseurs. Qu’est-ce qu’elles viennent chercher exactement ?

À date, près de 1500 entreprises nous aident, avec des financements allant de 1 000 euros à 2 millions d’euros en fonction de leur taille. La première chose qu’elles viennent chercher, ce sont ce qu’on appelle les dividendes climat, c’est-à-dire le nombre de kilos de CO2 économisés grâce à leur investissement. C’est une information extra-financière qui les intéresse pour leur RSE.

La seconde chose, c’est l’accès à notre deal-flow. Par essence, nous investissons dans très peu de projets, et nous donnons accès aux entreprises investisseurs à toutes les innovations qui nous contactent et que nous n’avons pas retenu. Il y en a environ 500 aujourd’hui. Le troisième point qui les intéresse, c’est le fait d’embarquer leurs salariés dans la transition en offrant des actions à leurs salariés ou en leur proposant de devenir bénévoles. Et pour les très grandes entreprises, il peut aussi y avoir des synergies industrielles à créer.

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