Définir précisément un tiers-lieux aujourd’hui n’est pas chose facile étant donné leur diversité. C’est en 1989 que cette notion est apparue pour la première fois, théorisée par le sociologue américain Ray Oldenburg, qui définissait ces lieux comme « des espaces de sociabilité autres que la maison et le travail et qui sont fréquentés quotidiennement par ses usagers ». Les premières bases de cette notion ont donc été posées dans son ouvrage intitulé The Great Good Place, et dans lequel il présentait les cafés, les librairies ou mêmes les salons de coiffure comme des tiers-lieux.

Selon lui, on retrouve dans ces lieux un fort sentiment d’appartenance ainsi qu’un engagement citoyen et une dynamique démocratique qui se nourrissent du caractère inclusif de ces espaces. En effet, les personnes y évoluent dans un contexte d’égalité sociale et prennent l’habitude de s’associer, de se soutenir et de mettre en commun des ressources. Quoi de mieux donc que de tels lieux pour faire émerger des projets hors-cadres ?

Les tiers-lieux sont importants pour la société civile, la démocratie, l’engagement civique et instaurent un sentiment d’espace.

Ray Oldenburg, The Great Good Place, 1989


Les tiers-lieux, des espaces aux multiples formes

Cette définition reste valable aujourd’hui mais elle comprend désormais plus de lieux, tant dans leur nombre que dans leur diversité et leurs usages. Ainsi, selon l’association France Tiers-Lieux ces tiers-lieux occupent aujourd’hui un rôle à part entière dans le dynamisme des territoires et représentent « une démarche collective d’intérêt général, qui s’inscrit dans la coopération territoriale dès sa conception. Par nature unique, ils sont non-réplicables ».

Une démarche collective d’intérêt général qui évolue aussi en fonction de la société. Ainsi, selon le rapport Faire ensemble pour mieux vivre ensemble, si ces lieux conservent effectivement une forte dimension collaborative et communautaire, ils ont évolué vers un modèle économique plus affirmé ces dernières années et répondent aussi à de nouveaux enjeux liés au travail et à la création d’activités que le numérique a fait émerger.

Les tiers-lieux émanent d’un collectif d’acteurs qui souhaite créer de nouvelles dynamiques économiques ou sociales en réponse aux enjeux de leur territoire.

Association France Tiers-Lieux

Ainsi, à la valeur sociale du tiers-lieu telle que définit par Ray Oldenburg s’ajoute désormais celle de l’entrepreneuriat, portée par l’esprit collaboratif des acteurs qui s’y rencontrent et les avancées technologiques. Une collaboration qui s’appuie sur les ressources locales pour faire émerger des projets spécifiques aux besoins des territoires. De fait, les tiers-lieux ont aujourd’hui des formes et finalités multiples, qui vont de la réponse à un enjeu social à l’émergence de modèles d’entreprises nouveaux, tout en passant par des lieux artistiques et créatifs.

infographie diversité des tiers-lieux


Des lieux uniques portés par des valeurs communes

Ainsi, aujourd’hui, les tiers-lieux cherchent surtout à faire émerger des activités à impacts positifs à partir des besoins et des ressources de chaque territoire. À cet entrepreneuriat ancré dans le territoire, France Tiers-Lieux identifie 3 autres caractéristiques communes : la libre contribution et l’évolutivité du projet ; la convivialité et la mixité ; l’expérimentation et la création afin d’inventer des modèles économiques hybrides qui pourront permettre d’atteindre une autonomie financière par des revenus divers (services, loyers, fabrication, formation…)

Quant à leur finalité, celles-ci aussi sont variées mais il est possible selon La Coopérative des Tiers-Lieux de les regrouper selon la typologie suivante :

  • Les tiers-lieux d’activités et de services : espaces de coworking, cafés associatifs… En proposant une alternative au travail individuel, ils permettent de favoriser une dé-mobilité qui n’entraîne pas un isolement du travailleur ;

  • Les tiers-lieux artisanaux : Fablabs, Hackerspaces, ateliers solidaires, boutiques partagées… Ces lieux ont pour vocation de développer les savoir-faire par l’entraide ;

  • Les tiers-lieux agricoles : lieux de production entre fermiers, lieux de vente partagés entre producteurs et consommateurs… Ces espaces ont pour but de revaloriser l’agriculture paysanne et les circuits courts ;

  • Les tiers-lieux éducatifs : ces lieux d’innovation pédagogique cherchent à connecter le monde éducatif et le marché de l’activité.

En 2018, il existait en France près de 1 800 tiers-lieux dont une petite majorité se trouve dans les 22 métropoles françaises.

Rapport Faire ensemble pour mieux vivre ensemble


Une répartition inégale des tiers-lieux sur le territoire français

Etant donné la diversité de ces lieux, il n’est pas possible de recenser leur nombre avec exactitude. Cependant, en 2018, Patrick Lévy-Waitz, dans son rapport Faire ensemble pour mieux vivre ensemble estimait qu’il existait en France près de 1 800 tiers-lieux.

Alors que les métropoles représentent à peine 1/3 de la population, elles concentrent environ la moitié des tiers-lieux recensés en 2018. Ainsi, le nombre de tiers-lieux par habitant est près de 3 fois plus important en métropole que dans le reste du territoire. Si l’on prend en compte la superficie respective de ces territoires, les écarts sont encore plus significatifs : plus de 54 tiers-lieux pour 1 000 km² en métropole et à peine plus d’un tiers-lieux pour la même superficie sur le reste du territoire.

Le nombre de tiers-lieux par habitant est 3 fois plus important en métropole que dans le reste du territoire.

Rapport Faire ensemble pour mieux vivre ensemble

Cinq régions se démarquent par leur nombre de tiers-lieux : l’Ile-de-France, d’abord, avec 316 espaces recensés, dont seulement 37 hors métropole. À elle seule, cette région comptabilise 22% de l’ensemble des tiers-lieux recensés. La Nouvelle-Aquitaine se place en deuxième position avec 222 tiers-lieux dont cette fois-ci 157 hors métropole, suivie de l’Auvergne-Rhône-Alpes qui en compte 200. L’Occitanie comprend elle 163 tiers-lieux tandis qu’on en trouve 127 en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

En prenant en compte uniquement les tiers-lieux hors métropole, ce sont la Nouvelle-Aquitaine et l’Occitanie qui arrivent en tête du classement, avec 23% des tiers-lieux hors métropoles situés dans la première et 16% dans la seconde qui en comptabilise 105.

L’innovation sociale comme moteur de croissance

Cette répartition inégale des tiers-lieux sur le territoire français peut s’expliquer par le dynamisme des métropoles mais aussi par les politiques régionales qui influent sur le développement de ces lieux. Pourtant, toute région a intérêt à soutenir ses tiers-lieux, que ce soit pour redynamiser ses territoires ruraux ou pour accompagner les nouveaux modes de vie de ses populations.

C’est la raison pour laquelle nous nous penchons sur ces endroits qui représentent, à leur échelle, une représentation intéressante de ce que pourrait être la fabrique de la ville demain. Des espaces mutualisés, partagés, citoyens, ouverts, coopératifs et centrés sur des réponses concrètes à des besoins locaux. Des espaces qui savent se réinventer, qui savent être utiles et résilients, à l’heure où nous recherchons des solutions pour construire une société durable. Des espaces qui sont également la clé pour ressusciter les notions de bien public et de sens commun pour réinventer des territoires ruraux en mal de services publics.

Voilà. Le tiers-lieu, c’est un peu tout ça à la fois. Un temple et une fabrique de l’innovation sociale.


Visuel d’entrée : La Cité Fertile, CC Simon Lemarchand