Si tous les tiers-lieux n’ont pas vocation à être des espaces de travail, on ne peut pour autant dissocier leur essor de celui des nouvelles manières de travailler permises par le développement du numérique et des technologies modernes de l’information et de la communication.

Des innovations qui ont entraîné avec elles la multiplication des télétravailleurs ainsi que des travailleurs indépendants. Une évolution du travail renforcée ces derniers mois par la crise sanitaire. Pour autant, ces nouveaux travailleurs à domicile ont parfois besoin d’équipements spécifiques qu’on ne peut retrouver à la maison. Pour beaucoup, il y a aussi le besoin de lien social, d’être immergé dans un écosystème entreprenant et dynamique qui facilite la concentration et l’équilibre pro/perso.

Et pour cette raison, les télétravailleurs ont trouvé une réponse à travers des lieux spécifiques qui offrent une alternative au domicile et au bureau : les tiers-lieux d’activités. Tant et si bien que demain, autant pour des raisons d’organisation que des raisons écologiques, le tiers-lieux pourrait devenir l’avenir du bureau.


Le grand boom des espaces de co-working

Les travailleurs du tertiaire sont les plus concernés par cette évolution du travail. En effet, de par leur production « immatérielle », ils peuvent facilement travailler à distance. Journalistes, consultants, architectes, communicants, graphistes et designers et bien d’autres ont ainsi cette possibilité de pouvoir travailler de partout, pourvu qu’ils aient accès à une connexion Internet.

Mais pour plus d’efficacité, certains indépendants se regroupent dans de nouveaux lieux pour pouvoir, aussi, mutualiser des outils et commodités qu’on ne retrouve pas à la maison. De l’imprimante aux salles de réunions en passant par des imprimantes 3D ou autres machines. Et c’est précisément à ce besoin que répondent les espaces de coworking en plus d’apporter un esprit collaboratif créateur de nouvelles idées et de liens sociaux.

En France, le premier espace de coworking, La Cantine, a ouvert ses portes en 2008 suivi de peu par La Ruche.

Le premier espace de coworking officiel a vu le jour à San Francisco dans l’univers californien du Web 2.0 et du logiciel libre. Nommé The Hat Factory, il a été fondé en 2005 par Brad Neuberg, un ingénieur informatique. En France, il faut attendre 2008 pour voir le premier « cowork » ouvrir ses portes dans le sentier, à Paris. Aujourd’hui, on en compte plusieurs centaines sur le territoire.

Dans une interview datant de juin 2007, Chris Messina, un des pionniers du mouvement coworking aux États-Unis, explique qu’il considère les espaces de coworking comme « des accélérateurs de sérendipité » c’est-à-dire qu’ils offrent la possibilité de faire par hasard des découvertes plaisantes et imprévues. Une caractéristique qui fait que ces espaces de coworking peuvent être considérés comme des tiers-lieux : ils permettent des rencontres non planifiées, sources de créativité et d’innovation par la collaboration qu’elles génèrent.

La numérisation de l’économie pousse à une déconcentration des activités (télétravail, tiers-lieux, etc.) et donc à un rééquilibrage démographique.

Jean-François Cesarini, député du Vaucluse


Une accélération qui n’en est qu’à ses débuts ?

Alors que le rapport « Faire ensemble pour mieux vivre ensemble » recensait 1 800 tiers-lieux en 2018, 76% d’entre eux seraient des tiers-lieux à dominante coworking (en opposition aux autres qui seraient à dominante Fablab) avec une grande avance de l’Ile-de-France dans le développement de ces lieux. Un phénomène qui trouve donc ses origines en milieu urbain mais qui pourraient bien, face aux évolutions du travail, se développer aussi en milieu rural.

On fait donc face ces dernières années à une multiplication des espaces de coworking qui devrait encore s’accélérer dans les années à venir. D’abord parce que les attentes des nouvelles générations vis à vis du travail ne sont plus les mêmes ; que la notion d’équilibre vie pro/vie perso est au-dessus de nombreuses considérations ; et enfin que les nouvelles technologies permettent cet éloignement du bureau.

Ensuite, parce que la crise sanitaire a permis à de nombreuses entreprises de découvrir cette forme de travail qui, dans beaucoup d’organisations, a longtemps été un sujet tabou et interdit. Dans toutes les entreprises « tech », le télétravail est une banalité depuis des années. Mais aujourd’hui, des entreprises plus traditionnelles se sont rendues comptes que le système pouvait aussi fonctionner pour elle. Derrière, cela pourrait aussi ouvrir de nouvelles aspirations d’ordre économiques en permettant à des entreprises de réduire la taille de leurs locaux grâce à cette forme de travail. En outre, cela épouse les aspirations de plus en plus de français-es à vouloir quitter les zones urbaines tout en restant connecté à leur travail.

grand espace de coworking
N’y-a-t-il pas dans la multiplication des grands espaces de coworking impersonnels un simple déplacement du lieu de travail plus qu’un développement de l’économie des tiers-lieux ?


Ainsi, selon une étude réalisée par la cabinet de conseil en immobilier d’entreprise Arthur Loyd en 2017, lorsque l’on sonde les digital natives (18-30 ans), 70% d’entre eux se verraient bien indépendants et seulement 7% d’entre eux se voient travailler dans des bureaux classiques. Sachant qu’ils représenteront plus de la moitié des actifs d’ici 5 ans, on comprend que cette évolution n’en est qu’à ses débuts. Mais cet attrait pour le travail indépendant n’aura pas attendu les digital natives pour se faire. Aujourd’hui, l’emploi indépendant représente environ 10% de l’emploi en France soit 2,6 millions de personnes.

70% des digital natives se verraient bien indépendants et seulement 7% d’entre eux se voient travailler dans des bureaux classiques.

En 2015 déjà, l’Organisation Internationale du Travail soulignait que le CDI à temps plein, en tant que contrat classique absolu, fait référence à une réalité de plus en plus rare. En plus des CDD et autres contrats intérimaires, les travailleurs indépendants semblent de plus en plus présents dans les secteurs d’activités et ce notamment dans le secteur tertiaire.

Ainsi, ce sont donc plusieurs millions d’actifs qui devraient voir leurs conditions et pratiques de travail changer dans les deux prochaines décennies. Des actifs qu’il va falloir accueillir dans de nouveaux lieux, autres que les bureaux traditionnels. Aux enjeux d’aménagement que cela suppose, se pose aussi la question de leur localisation : dans un monde marqué par le nomadisme, où serait-il le plus pertinent d’installer ces nouveaux lieux de travail ?

De plus, alors que les politiques publiques commencent à s’intéresser au sujet en voulant accompagner le développement de ces lieux par le biais d’appels à projets, de guides méthodologiques ou des subventions, se pose aussi la question de maintenir cette philosophie d’espace non seulement de travail mais surtout de rencontre, de dynamique créative et innovante, d’imbrication d’enjeux citoyens et de création de biens et de services.

Ces deux dernières années, près de 50 000 personnes ont quitté Paris et ce que l’on découvre, c’est que la taille d’une ville n’aura plus forcément de rapport avec les activités qui s’y installent.

Jean-François Cesarini, député du Vaucluse


Fab Labs, Living Labs, Hackerspace, Makerspace : une évolution parallèle vers le faire ensemble ?

À côté de l’émergence de ce travail à distance, on retrouve aussi une nouvelle évolution qui est aussi liée au numérique : celle de la société du Faire qui prône le « test and learn » ou encore le « learning by doing ».

Cette société prend corps dans d’autres tiers-lieux d’activités que les espaces de coworking. Des lieux qui sont aussi davantage portés sur la collaboration : il s’agit de Fab Labs, d’Hackerspace, de Living Labs ou encore de Makerspaces. Si les activités qui s’y opèrent varient, ces lieux ont tous un point commun : ils mettent l’innovation et la collaboration au cœur de leur fonctionnement.

Ainsi, les Hakerspaces sont des centres de partage et de transmission de la connaissance qui rassemblent des passionnés possédant un intérêt commun autour d’un outil ou d’un projet numérique. Les Fab Labs sont des laboratoires ouverts de création et de prototypage d’objets physiques qui mettent à disposition de leurs utilisateurs un ensemble de machines à commande numérique de niveau professionnel telles que des imprimantes 3D.

Les Living Labs placent eux l’utilisateur au centre du dispositif afin d’imaginer, de développer et de créer des services ou des outils innovants qui répondent à des besoins spécifiques. Les Markerspaces prônent quant à eux la diversité en regroupant des savoir-faire numériques (community manager, web designer…), artisanaux (menuisiers, stylistes, maroquiniers…) et artistiques (sculpteurs, designers, street artistes).

Fab lab


Ainsi, dans ces tiers-lieux, on mutualise des machines, on produit des objets en travaillant la matière, on permet à des personnes qui n’en avaient pas la possibilité de travailler le bois, le fer, de réparer leurs objets. De cette dynamique, des métiers en transition sont relancés et se mêlent aux autres : un agriculteur parle avec un designer, un charpentier avec un architecte, un jeune de quartier fréquente un ingénieur électronicien… Cette hybridation des activités et des publics réconcilie la tête et les mains tout en créant de la mixité. Etonnamment, le numérique permet à ces individus de reprendre contact avec le réel.

Les tiers-lieux représentent des alternatives à l’industrie de masse et au lieu de travail unique grâce à des capacités d’autoproduction apportées par le numérique.

Ces lieux du Faire entraînent avec eux un mouvement de relocalisation de la production puisqu’ils ne répondent plus à une production de masse mais de plus en plus à une demande personnalisée. La production peut être décentralisée et rapprochée des consommateurs. Ces lieux représentent ainsi des alternatives à l’industrie de masse grâce à des capacités d’autoproduction apportées par le numérique.

Ainsi, la production de valeur commence à se penser et à s’organiser comme un assemblage de compétences au-delà du lieu de travail unique. Les tiers-lieux représentent alors un espace dans lequel ces nouvelles productions peuvent prendre forme et se nourrir de l’esprit collaboratif qui y règne. Un mouvement de localisation de la production est en train de s’amorcer selon le rapport « Faire ensemble pour mieux vivre ensemble », mouvement dont doivent bénéficier les territoires en manque d’activités.