« Les énergies renouvelables ne se substituent pas aux énergies fossiles. Elles viennent s’ajouter au mix énergétique existant » précisait déjà, en 2015, l’économiste Maxime Combes dans son ouvrage Sortons de l’âge des fossiles pour signifier que la transition énergétique – qui consiste à passer d’un état à un autre – n’a pas encore eu lieu.

De fait, le débat autour de la transition énergétique passe ainsi trop souvent pour une opposition dogmatique entre le recours aux énergies fossiles ou au nucléaire (énergie bas-carbone, cependant) et la possibilité d’un mix énergétique basé à 100% sur les énergies renouvelables. Le nucléaire est-il meilleur que le solaire photovoltaïque, lui-même meilleur que l’éolien ou l’hydraulique, dont les capacités nouvelles sont limitées ? Que se passera t’il quand il n’y aura pas de vent ? Et la nuit quand il n’y a pas de soleil ? Et quid de la sécurité des installations ? Et de notre balance commerciale ?

Une vision en réalité très productiviste de l’enjeu énergétique, profondément économique, complexifiée à outrance par des mécanismes (ARENH, CEE, PPA, Garanties d’origine) qui semblent laisser de côté l’élément pourtant le plus essentiel de cette équation : l’humain.

Alors, dans une opposition entre monde d’avant et monde d’après mise en exergue par la récente crise sanitaire que nous traversons, une question se pose : quel rôle pour les citoyens dans la politique énergétique du pays ? Réduits à de simples consommateurs et consommatrices tout juste bons à choisir une offre verte (ou teintée de vert, comme le précise régulièrement Greenpeace), c’est pourtant à la fois leurs attentes et leurs comportements qui pourraient être les véritables moteurs d’une transition réussie.

Une véritable trajectoire de transition, c’est de faire un travail sur les énergies renouvelables d’une part, et un vrai travail sur la sobriété énergétique d’autre part

Vincent Maillard – Plüm Energie


Vers une énergie locale et citoyenne ?

Selon une étude récente de l’IAB (Association of Issuing Bodies), le taux de consommation volontaire d’énergie verte en France avoisine les 6% alors qu’il est en moyenne de 20% en Europe, avec certains pays qui culminent à 50% de taux d’adoption. 

« Nous avons pourtant tous, en tant que consommateurs, une formidable puissance entre nos mains. Il revient dès lors à l’ensemble des acteurs de la chaîne énergétique de favoriser cette transition via une pédagogie positive basée sur l’empowerment des consommateurs » précise ainsi Rémy Companyo, co-fondateur du fournisseur Ilek, qui ne travaille qu’avec des producteurs français d’énergies renouvelables.

Et c’est justement cette vision d’une politique énergétique citoyenne et locale, parfois ultra-locale, qui émerge ces dernières années et qui pourrait être un véritable accélérateur pour enfin réussir la transition dont nous parlons. De nombreux fournisseurs apportent d’ailleurs cette possibilité aux françaises et français, à l’image d’Enercoop, dont le modèle consiste à construire des coopératives pour mettre en relation producteurs et consommateurs dans une démarche de circuit court.

« Nous avons un modèle plus qu’original dans le monde de l’énergie, mais qui répond à une prise de conscience de la population qui souhaite ces moyens alternatifs. Et l’intérêt de ces modèles là, c’est de retrouver une sorte de service public en mettant directement en lien des consommateurs et les producteurs » indique ainsi Vincent Sage, Directeur des Opérations chez Enercoop.

Quand on vous offre une énergie moins cher, d’abord ça ne permet pas de rémunérer les producteurs français, mais en plus votre facture ne baisse pas tant que ça, parce qu’il y a un effet rebond sur la consommation

Vincent Maillard – Plüm Energie


Alors, évidemment, il est impossible de suivre le parcours et l’origine des électrons dans nos infrastructures. C’est la raison pour laquelle nous, consommateurs, achetons régulièrement de l’énergie dite « verte » qui va rémunérer – grâce aux certificats de garanties d’origine – un producteur d’électricité renouvelable installé en Islande, tout en utilisant une électricité produite via le nucléaire ou le charbon. Raison pour laquelle les fournisseurs comme Ilek, Enercoop ou encore Plüm Energie travaillent sur le financement et le soutien des petits producteurs français afin de soutenir ces filières et garantir une électricité verte produite dans nos territoires.

« Notre mécanisme est le suivant » explique Vincent Maillard, Président de Plüm Energie, « pour chaque MWh acheté par un client, nous achetons un MWh à un producteur d’énergie renouvelable en France. » Une politique qui, à terme, doit pouvoir renforcer les capacités de production d’énergies renouvelables en France. Mais qui, forcément, se ressent aussi sur le prix de l’électricité. Comme dans d’autres secteurs, produire local revient à produire plus cher.

Mais dans le monde d’après auquel nous aspirons, faut-il continuer de croire que tout peut être toujours moins cher ?

Nous ne souhaitons pas pousser les gens à consommer plus, mais à consommer mieux. Et c’est ça qui va leur apporter de vraies économies. 

Vincent Maillard – Président chez Plüm Energie


Mettre fin à la guerre des prix bas

Consommation locale, circuit-court, et guerre des prix… Depuis quelques années, le marché de l’électricité présente de nombreuses similitudes avec celui de l’alimentaire. Depuis l’ouverture du marché à la concurrence et l’apparition des fournisseurs alternatifs à EDF, la guerre des prix bas à été particulièrement utilisée pour capter les utilisateurs. Les fournisseurs s’adaptant ensuite aux fluctuations du marché de l’énergie et au mécanisme de l’ARENH.

Une logique qui possède ses limites, et qui pousse les fournisseurs à importer de l’énergie qui vient d’ailleurs quand les tarifs s’y prêtent. « Quand on vous offre une énergie moins cher, d’abord ça ne permet pas de rémunérer les producteurs français, mais en plus votre facture ne baisse pas tant que ça, parce qu’il y a un effet rebond sur la consommation » regrette ainsi Vincent Maillard. Même son de cloche chez Enercoop, dont le modèle va encore plus loin. « On est le seul fournisseur à n’avoir jamais souscrit au dispositif de l’ARENH. On se bat depuis quelques années sur le juste prix de l’énergie, et l’une de nos spécificités, c’est que lorsqu’un client vient chez Enercoop, il paie plus cher, et on l’assume pleinement ».

Mais encore faut-il, pour cela, pouvoir permettre aux consommateurs de s’emparer de ces sujets. Une voie qui passe par de la pédagogie, par de la sensibilisation, mais aussi par des mécanismes financiers incitatifs qui ne tirent pas à la baisse les prix de l’électricité. « Chez Plüm, lorsqu’un client réduit sa consommation, on lui offre un eco-bonus dont il peut se servir pour payer sa facture ou pour investir dans d’autres sujets comme le fait de soutenir des installations d’énergies renouvelables via nos partenaires comme Akuo Energy, et demain, peut-être pour investir différemment sur de l’économie non-monétaire » ajoute Vincent Maillard.

Ce qui nous mène à une autre piste essentielle pour réussir la transition énergétique : celle de la sobriété.

eoliennes en mer


Réduire la consommation plutôt qu’augmenter la production ?

La sobriété est l’une des clés de la transition écologique – elle concerne l’essentiel des secteurs de notre économie. Mais dans le domaine énergétique, peut-être plus qu’ailleurs. En effet, une large part du débat qui oppose le nucléaire aux énergies renouvelables vient d’une logique de production : les EnR ne peuvent pas fournir la même quantité d’électricité.

Pour autant, nous est-il permis de questionner la légitimité de certaines consommations, comme celle qui consiste à éclairer des magasins la nuit ? Un exemple parmi d’autres pour illustrer le besoin de sobriété dans nos consommations – chez les ménages comme au sein des entreprises et administrations – afin de diminuer nos besoins en production.

« Aujourd’hui, les clients chez Plüm consomment en moyenne 10% d’électricité de moins que la moyenne nationale, sur du résidentiel. Si tout le monde faisait ça, on pourrait économiser 2 tranches de Nucléaire. Ce qui veut dire qu’on peut se passer de l’EPR de Flamanville, par exemple » explique Vincent Maillard. Et finalement, quel que soit le moyen de production, consommer mieux permet de mieux piloter notre politique énergétique. Tout en payant le prix juste, consommer mieux permet de réduire sa facture et de préserver l’environnement.

Le taux de consommation volontaire d’énergie verte en France avoisine les 6% alors qu’il est en moyenne de 20% en Europe


Pour cela, les fournisseurs d’électricité effectuent un important travail de sensibilisation aux eco-gestes et à la question de la sobriété. Ce qu’on retrouve également dans les travaux du Shift Project sur la sobriété numérique, par exemple. Et qui, de manière plus globale, pourraient être inculqués dès le plus jeune âge. « Chez Enercoop, les clients consomment entre 10% et 15% de moins que la moyenne nationale. Ce qui s’explique par l’importance du sujet énergétique chez nos clients, au delà des actions qu’on peut mener et qu’on a renforcé, en matière de communication sur les éco-gestes » abonde Vincent Sage.

Par ailleurs, et la crise sanitaire du Covid-19 l’a bien démontré, cette notion de sobriété dans la consommation viendra aussi des évolutions sociétales que nous pourrions mettre en oeuvre dans les prochaines années : privilégier les mobilités douces, démocratiser le télé-travail, s’inscrire dans des logiques de bâtiments ou de quartiers partagés, ou encore moduler nos horaires. C’est aussi tout l’objet de la lutte contre les passoires thermiques.

Mais pour que ces éléments fonctionnent (production locale, sobriété des usages, juste prix de l’électricité) il faut aussi pouvoir compter sur une certaine souveraineté – si ce n’est française, au moins européenne – sur ces sujets. Est-ce que la production de panneaux photovoltaïques doit rester en Chine ? Nous essayons déjà de sortir de cette dépendance concernant les batteries lithium-ion.. Il est à noter également qu’il n’y a aucun fabricant de turbines pour l’éolien en France…