Mathieu Jahnich est consultant chercheur sur les thèmes de la communication et de la transition écologique. Il œuvre dans ce secteur et analyse les enjeux de la communication des organisations depuis une vingtaine d’années, et s’est imposé comme un des grands spécialistes de la communication responsable.

Mathieu accompagne et conseille les marques et les institutions à mieux appréhender et intégrer les logiques de responsabilité et de durabilité dans leur processus de communication envers leurs parties prenantes internes et externes, ainsi que dans l’élaboration de leurs compagnes de publicité. Et ce, dans le but de relever les défis de la transition écologique grâce à une communication plus responsable en évitant les pratiques trompeuses et le greenwashing.



Les Horizons : Mathieu Jahnich, quand on parle de “communication responsable”, de quoi parle t’on exactement ?

Mathieu Jahnich : La communication responsable c’est une nouvelle manière de concevoir et d’envisager la communication. C’est une communication qui est davantage au service de la transition écologique, et pas seulement au service des intérêts d’une organisation. Bien entendu, il faut que la communication continue de servir l’organisation, mais pas que. C’est également une communication qui va apporter davantage de sens aux personnes qui s’en occupent, et qui va mieux prendre en considération ses impacts, tant sur la partie message que sur la partie action et outils.

Pour résumer, c’est à la fois une communication sur la RSE qui est faite de manière pertinente en évitant le greenwashing, et une communication qui réduit ses propres impacts dans une approche beaucoup plus ouverte aux parties prenantes. C’est pour moi le futur de la communication.


Ce qui signifie que nous n’y sommes pas encore… 

La communication est encore trop vue comme un levier activable une fois qu’on a mis en place certaines actions, ou activable dans le but de vendre et augmenter la notoriété. Un levier qui vient dans l’après. Les enjeux de soutenabilité devraient imposer aux entreprises d’intégrer davantage la communication aux différentes séquences en amont. On a besoin de communication pour questionner ses salariés par exemple, savoir ce qu’ils pensent, ce qu’ils attendent. C’est aussi ça la communication.

La communication interne peut tout à fait être gérée par les ressources humaines, tout en restant des techniques de communication. Comme par exemple faire de la co construction avec les parties prenantes internes et externes, dans le but de définir une raison d’être d’entreprise. Puis afin de préparer les messages dans le but de les diffuser, sur les packaging, sur le site web, sur les réseaux sociaux… 


Avez-vous identifié des freins à la mise en place d’une communication plus responsable ?

Il existe une réelle méconnaissance des impacts que peut avoir la communication elle-même. La publicité a parfois plus d’impacts négatifs que la conception du produit ou du service vendu en question. La publicité peut jouer un rôle important dans le bilan carbone d’une entreprise. On constate également une difficulté de la part des acteurs de la filière à vraiment se saisir de ces enjeux et à arriver à convaincre leurs dirigeants des efforts à faire.

J’ai le sentiment que les professionnels de la communication sont un peu en retrait sur ces questions. Il faut réussir à monter en compétence sur ces enjeux pour pouvoir se rendre compte du rôle que doit jouer une direction de la communication ou une direction marketing. 

La communication responsable est pour moi le futur de la communication


Comment les organisations dont le cœur de métier est de fait contraire aux enjeux actuels, peuvent communiquer sans tomber dans le greenwashing ?

Évidemment dans le cas de l’entreprise qui n’a pas un business model compatible avec les enjeux de la transition écologique, c’est plus compliqué de travailler les sujets de la communication responsable. L’enjeu va être sur la manière de communiquer. Comment l’entreprise montre qu’elle a vraiment pris conscience des enjeux. Est-elle transparente sur ses impacts et sur ses externalités négatives ? Cela demande un changement de posture que ces entreprises ne sont pas capables d’adopter aujourd’hui.

Par exemple des actions comme l’éco-pâturage ou le recyclage des cartons quand on est un géant du e-commerce, ou une carte bancaire en bois pour une grande banque…. C’est bien, il faut faire ces actions. Il faut que cela apparaisse dans le rapport annuel. Mais il ne faut pas en faire une campagne de publicité dédiée dans laquelle on ne va se focaliser que là- dessus. Il faut savoir faire, sans chercher à en parler. Les entreprises ne doivent pas produire des campagnes de publicité focus sur de petites avancées marginales par rapport au reste de leurs impacts. Car cela donne l’impression que l’entreprise essaye juste de verdir son image.


C’est ça le greenwashing ?

Une des bases de la communication responsable, c’est de communiquer sur des éléments factuels et pertinents. Donc si un enjeu majeur de l’entreprise est adressé, c’est pertinent de le faire savoir. Au contraire, si l’organisation a conscience que l’enjeu adressé est secondaire par rapport à ses enjeux, c’est difficile de communiquer de cette façon. Pour reprendre l’exemple de l’éco-pâturage, il faut communiquer dessus, car ce sont de vraies actions. Ceux qui le font s’engagent, y croient, se démènent.

Donc il faut communiquer, sinon la dynamique pourrait être perdue. En revanche, communiquer ce n’est pas forcément faire une campagne de publicité. Ce peut être un site web dédié qui prend le temps de détailler la démarche, avec des entretiens des parties prenantes, la valorisation de ceux qui font le projet, avec des indicateurs des choses à améliorer, et ce qu’il reste à faire. Le problème est qu’on applique à ces sujets des techniques de communication qui ne sont pas adaptées.


On voit pourtant de plus en plus de campagnes publicitaires de ce type

C’est ce qu’on appelle le meta greenwashing, une forme de tromperie qui est de plus en plus visible. Il existe des règles déontologiques définies par l’ARPP (l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité), qui ne précisent pas qu’il faut communiquer sur quelque chose de significatif. Si on s’en tient à ces règles, de nombreuses publicités taxées de greenwashing sont finalement conformes. C’est là qu’on attend des entreprises une certaine posture d’humilité, de sincérité. Et on est souvent déçu malheureusement.

Les entreprises ne doivent pas produire des campagnes de publicité focus sur de petites avancées marginales par rapport au reste de leurs impacts


Ne sommesnous pas trop exposés aux messages publicitaires ?

Il faudrait bien mieux encadrer la surexposition aux messages publicitaires dont nous sommes tous la cible. Il faut moins de publicités, c’est une évidence. Après, la publicité peut aussi permettre à certaines personnes d’identifier des produits ou services mieux disant sur les enjeux de la transition écologique, ou de comparer les engagements d’une entreprise par rapport à une autre. C’est la publicité qui va permettre à un public très large et pas forcément averti sur ces questions, d’avoir accès à l’information.

Une généralisation de l’affichage environnemental avec plusieurs indicateurs comme le cycle de vie, et un code couleur très simple à prendre en main, serait une bonne idée. Par exemple, les voitures ont un affichage qui se limite aux émissions mais ne parle pas des impacts de la fabrication du véhicule, des métaux utilisés etc. C’était d’ailleurs dans les propositions de la CCC : rendre obligatoire un calcul et un affichage de l’impact environnemental global du produit, et le rendre disponible sur tous les supports. 


Et qu’est ce qui empêche aujourd’hui d’avancer rapidement sur ces mesures de clarification ?

En premier lieu, il y a une réelle complexité de mise en place de la méthodologie servant à faire ces calculs. Comment doit-on l’appliquer sur de nombreux produits différents. Comment s’entendre sur les paramètres à prendre en compte. Ensuite, il y a la question du coût de ces mesures et de l’impact final qu’elles auraient sur les comportements d’achat. Beaucoup d’entreprises ne font pas cet effort de transparence car elles savent pertinemment qu’elles seraient mal notées. Et c’est justement pour cela qu’il faut imposer ce système !

Ce système de scoring a un double effet : sur le consommateur donc, mais aussi sur les marques qui vont avoir à cœur d’afficher des scores bien meilleurs. C’est un peu ce qu’on a pu constater avec les applications comme Yuka. Mais pour engager cela il faut nécessairement du courage politique et une vraie sincérité de la part des entreprises, en vue de s’améliorer.


A-t-on conscience des impacts de la production des publicités ?

Ça progresse dans le bon sens. De nouvelles structures dédiées à l’éco production de spots de publicités ont fait leur apparition, comme des collectifs ou des agences spécialisées. Les coûts sont plus élevés que pour une campagne classique, c’est certain. Mais c’est le bon chemin. Après ça demande aussi à changer les habitudes de la filière.

Par exemple, tourner un spot pour de la crème solaire en Afrique du Sud pendant l’hiver pour réduire les coûts, car c’est l’habitude. Alors qu’on pourrait le tourner 3 mois plus tôt et rester en France. Mais cela coûterait plus cher. Certaines pratiques du secteur doivent changer. Les solutions existent, il faut accepter de les mettre en place malgré un coût plus élevé.


Et concernant la diffusion ?

Sur la partie diffusion on commence également à prendre conscience des différents leviers d’actions. Ça commence à bouger avec de nouvelles méthodologies de calcul qui sont mises en place. Cela permet de faire en sorte que la chaîne ‘annonceurs-agences-régies-médias’ puisse identifier les leviers d’amélioration.

Il faut moins de publicités, c’est une évidence


Que dire des stéréotypes des modes de vie véhiculés dans les publicités ?

Le greenwashing passe également par la mise en avant de certains types de modes de consommation ou de modes de vie. Au-delà du produit ou du service vendu, comment la scène est-elle présentée ? Est ce que les vacances sont forcément synonyme de bout du monde sous le soleil ? Que dire du mythe de la maison individuelle ? La réussite passe-t-elle par la possession ? La propriété d’un véhicule par exemple ? Doit on nécessairement avoir une voiture neuve dans son garage pour avoir réussi sa vie ? C’est exactement cela le problème du stéréotype.

Ce sont des questionnements de fond sur la société. La communication en générale et la publicité en particulier sont un des vecteurs des stéréotypes, au même titre que les séries, le cinéma, la littérature etc. C’est l’ensemble du secteur culturel qu’il faut sensibiliser à ces questions de stéréotypes. Et qu’il faut également éduquer à promouvoir une société plus juste, plus équitable, plus solidaire, plus sobre, moins énergivore etc.


Mais on toucherait à ce qu’est la publicité en elle-même, à savoir valoriser, voire parfois à embellir, à des fins de consommation ou de notoriété. La publicité ne serait-elle pas tout simplement incompatible avec les enjeux de la transition écologique ?

C’est la limite de la publicité. C’est aussi là que la communication responsable vient bousculer à la fois le business model des entreprises, mais aussi les modèles de société. Et c’est ce qui me plait dans mon quotidien : partir de l’analyse de la communication d’une organisation, pour ensuite réussir rapidement à challenger la stratégie RSE, voire le business model de l’organisation. C’est ça qui est passionnant. Mais ça reste compliqué.


Quels conseils donneriez-vous à une entreprise qui souhaite s’emparer du sujet de la communication responsable ?

Tout d’abord former ses équipes. Des structures comme le Comité 21, le label Lucie, certains réseaux de communication, proposent des formations. C’est la première étape pour comprendre quelles sont les pratiques et les référentiels de la communication responsable. Ensuite vient le temps de la mise en place de stratégie d’ouverture aux parties prenantes internes et externes. Il faut entendre ce qu’il se dit au sujet de la marque, avec la volonté de co-construire, de structurer, d’améliorer. Et enfin, mettre en œuvre les bonnes pratiques dans la réalisation et dans la définition de messages. Il existe de plus en plus de sources, de livres et de sites sur le sujet. La matière est là. Il est certain que selon le secteur d’activité ou le degré de maturité de l’entreprise sur les sujets liés aux transitions, le sujet de la communication responsable avancera plus ou moins vite.


Il y a des secteurs d’activité plus avancés que d’autres sur ces sujets ?

Ce sont plutôt des types d’entreprises qui sont plus avancés que d’autres. On constate que les structures, généralement de petite taille, qui ont été créées récemment intègrent davantage ces enjeux de soutenabilité, avec des modes de gouvernance novateurs et des business model directement liés à des nouveaux modes de vie.

Elles font nécessairement du business différemment. Et ce quelque soit le secteur, les mobilités, l’énergie, l’agroalimentaire, la mode…. Les marges de manœuvre sont plus grandes en matière de communication. C’est plus compliqué quand l’entreprise est sur un modèle qui vient percuter un certain nombre de limites planétaires. Ce qui est néanmoins intéressant avec ces entreprises généralement de grande taille, c’est leur très forte audience. Si elles bougent, elles entraînent avec elles bien plus de monde que les petites structures. C’est pour cela qu’il faut accompagner la transformation de ces entreprises, afin que ça soit réalisé le plus rapidement et le plus sincèrement possible.

Beaucoup d’entreprises ne font pas l’effort de transparence, car elles savent pertinemment qu’elles seraient mal notées


Les nouvelles marques dites engagées savent-elles également mieux communiquer ?

Globalement oui car leurs modèles sont davantage vertueux et intègrent de fait les bons enjeux. Mais ces entreprises engagées par essence ont encore plus un devoir d’exemplarité sur ces sujets de communication. Il faut rester précis sur les allégations environnementales. Car c’est de cette façon que se gagne la crédibilité pour la communication responsable dans son ensemble Si les marques les plus engagées se mettent à exagérer certaines allégations et déraper sur des logiques de greenwashing, qui va-t-on croire après ? Si on ne peut plus avoir confiance dans ces marques, alors le chemin sera d’autant plus long. Une entreprise engagée doit être encore plus plus vigilante dans sa communication qu’une entreprise qui ne l’est pas.


Quel est ton quotidien de veille sur l’écosystème, entre l’analyse des campagnes et le dépôt de plaintes ?

J’ai commencé ce travail de veille et d’actualités en 2005 avec mon blog Sircome. Puis je me suis mis à analyser certaines campagnes. Et en 2019, je suis allé plus loin avec le dépôt de plainte. Cela a permis de montrer qu’il y avait des problèmes de compréhension du greenwashing du côté des institutions, car jusqu’ici personne ne leur remontait ces informations. Donc en premier lieu c’est un moyen de montrer qu’il y a des soucis.

Cela m’a également permis de valider la pertinence de mes analyses par un jury de déontologie de 8 à 10 personnes, le JDP. Ce qui a été plutôt rassurant ! Ce qui a eu pour effet d’attirer les marques qui ne souhaitent pas tomber dans du greenwashing. Elles me sollicitent afin que j’analyse en amont leurs campagnes ou sites web. Sur la tournure des messages ou sur les éléments de preuve par exemple. Sans être juriste je leur apporte mon expertise avant diffusion, le plus en amont possible, ce qui est intéressant. 


Le système de régulation en place est donc plutôt efficace ?

Globalement, le système de régulation, même s’il est insatisfaisant et pourrait être amélioré, a le mérite d’exister avec des personnes physiques qui répondent aux sollicitations. Avec parfois même des auditions en séance plénière. A date, j’ai déposé 73 plaintes en 3 ans, dont une dizaine en cours. Et 79% ont été considérées comme fondées par le jury. Le dépôt de plainte au jury de déontologie est simple. Et la plupart du temps on a un retour, ce qui permet de faire avancer les choses. Une fois la plainte déposée, l’annonceur et l’agence sont tenus informés et ont un droit de réponse.

C’est l’ensemble du secteur culturel qu’il faut sensibiliser aux questions des stéréotypes


Quelle est la suite une fois l’avis du jury publié ?

Une fois l’avis du jury publié, si la plainte est jugée fondée, l’annonceur doit cesser d’utiliser le visuel ou la tournure de phrase mise en cause dans la campagne. Mais cela reste une demande. Le poids de l’ARPP sur certains acteurs est encore trop faible, il faut parfois insister. Mais il n’y pas de sanction ou d’amende prévue pour l’annonceur. En effet, l’ARP est un instance d’autorégulation. Ce sont les acteurs de la filière qui ont décidé de mettre en place et de financer cette association afin de veiller à ce que les règles soient respectées.


Comment améliorer cette situation ?

Tout d’abord en faisant en sorte que toutes les campagnes nécessitant un certain volume d’investissement publicitaire obtiennent la validation de la part de l’ARPP avant de pouvoir être diffusées. Et ce quelque soit le canal de diffusion, car aujourd’hui seules les publicités à la télévision sont soumises à cette obligation. Ensuite, une communication beaucoup plus importante doit être faite autour de l’avis émis.

Aujourd’hui aucun communiqué de presse ni aucune publicité d’avis n’est diffusé dans Stratégies (NDLR : magazine de référence destiné aux professionnels de la communication) par exemple. Sans tomber dans une logique de name & shame, il faut davantage montrer ce qui est mal fait pour éduquer et former la filière. Et in fine faire monter en compétence les équipes marketing. Il faut communiquer autour de ces avis rendus pour que les professionnels du secteur soient informés afin de ne pas répéter une pratique qui contreviendrait aux règles.


Justement sur la formation de la filière aux enjeux et aux bonnes pratiques, où en est-on ?

La formation se généralise. De plus en plus d’entreprises, d’agences et d’annonceurs souhaitent avancer sur ces sujets. Mais une grande majorité n’ont pas encore pris conscience de tout cela. On doit accélérer sur la sensibilisation et la formation. L’idée est qu’un annonceur puisse sélectionner une agence dont les équipes ont été formées à ces sujets. Ou choisir une agence qui n’a jamais fait l’objet d’une plainte fondée au JDP. Cela devrait faire partie des critères RSE, au même titre qu’un autre fournisseur de service.

Pour contribuer à cet effort collectif, en plus des formations sur-mesure que je propose, je vais lancer les webinaires « Greenwashing News ». L’objectif de ces séminaires gratuits en visioconférence est de présenter les actualités du greenwashing et de la communication responsable. Ce sont des thématiques qui évoluent rapidement et il me paraît important de partager ma veille avec tous les acteurs de la filière. Le premier webinaire est prévu début juillet ! 

Visuel d’entrée – Mathieu Jahnich 2022 copyright Laurent Ardhuin

À lire également