Économiste spécialisé sur les questions d’économie circulaire et de transition écologique, Samuel Sauvage est également Président et co-fondateur de l’association Halte à l’Obsolescence Programmée. Un projet « un peu fou » qui s’est notamment fait connaître en décembre 2017 après que l’association a porté plainte contre le géant Apple (qui sera condamné en février 2020 à une amende de 25M€ pour des dysfonctionnements et ralentissements sur certains de ses appareils). Une preuve que des idées « un peu folles » peuvent avoir de véritables impacts.

portrait Samuel Sauvage


Les Horizons : Samuel, comment est née l’association Halte à l’Obsolescence Programmée ? 

Samuel Sauvage : Ça remonte à des discussions que nous avions, en particulier avec Laetitia Vasseur et Emile Meunier, mais aussi d’autres personnes, autour de l’année 2013 et 2014. Il y a d’abord eu cette prise de conscience suite au documentaire Prêt à jeter (2010, Cosima Dannoritzer et Steve Michelson), mais on ne savait pas vraiment comment s’emparer du sujet.

En 2015, la loi relative à la Transition Énergétique et à la croissance Verte (LTECV) a créé le délit d’obsolescence programmée. C’est à ce moment là qu’on monte l’association sous l’impulsion de Laetitia Vasseur. On souhaitait faire vivre cette loi et on se disait qu’on pourrait y parvenir via une action en justice, un peu de sensibilisation. En fait, on ne savait pas exactement ce qu’on allait faire, mais on avait ce petit grain de folie de se dire « Ok, allons y, déposons les statuts, et ça lancera une aventure ».

Et ça a été le cas puisque l’association a fait beaucoup plus que ce qu’on aurait pu imaginer à ce moment là.


Quand vous vous lancez, j’imagine que vous en parlez autour de vous. Quels sont les premiers retours ?

À ce moment là, en 2015, il y a encore du scepticisme vis à vis de l’obsolescence programmée. Parmi nos proches, c’est à dire dans des sphères un peu écolo, les retours sont très favorables parce qu’ils sont déjà sensibilisés au sujet. À côté, il y a un second cercle de proches et connaissances beaucoup plus sceptiques. On avait des retours un peu clichés de personnes qui nous disaient que ces histoires de fin programmée d’un appareil par un méchant ingénieur, ce n’étaient que des fables.

Il y a moins de réticences aujourd’hui sur le sujet car la société a évolué. D’ailleurs, le fait qu’un gouvernement comme le gouvernement français mette l’obsolescence programmée sur le devant de la scène avec la loi AGEC (Antigaspillage pour une économie circulaire, 2020), ça montre que les mentalités ne sont plus les mêmes.

Aujourd’hui, l’intérêt pour la durabilité des produits dépasse les catégories militantes


Il y a des avancées dans les mentalités, pour autant, on a l’impression que la route est encore longue avant la fin de l’obsolescence programmée…  

La route est encore beaucoup trop longue dans la mesure où la lutte contre l’obsolescence programmée implique une véritable politique de sobriété. Aujourd’hui on en est pas là. On est encore sur une vision libérale qui consiste à dire : « on va mieux informer le consommateur, on va compter sur des améliorations technologiques, et globalement ça ira mieux ».

Pourtant, les enjeux de l’obsolescence programmée sont tels en terme de consommation de ressources et de production de déchets qu’il faudrait aller beaucoup plus loin. Qu’on puisse, par exemple, avoir des garanties plus longues sur les produits ; ou bien qu’on mette un signal prix sur la réparation afin de rendre la réparation moins chère… Mais malgré tout, la loi AGEC a repris pas mal de nos propositions et on s’en félicite. Après, la route est encore longue, oui.

manifestation association HOP


Quand on s’engage dans un projet à impact, c’est difficile de rester optimiste ? 

On a de quoi être optimistes. Notre association est assez reconnue pour son pragmatisme dans le sens où on a été capables de faire des propositions qui ont été introduites dans la loi et qui permettent de vraies avancées : l’indice de réparabilité (2021) ou l’indice de durabilité qui devrait être intervenir d’ici 2024. Ce sont des choses qu’on pensait impossible il y a quelques années et qui sont maintenant dans la loi.

Autre élément d’optimisme, on voit que notre discours porte dans les pratiques de consommation. Par exemple, la consommation d’objets réemployés double tous les 3 ans en France. Aujourd’hui, l’intérêt pour la durabilité des produits dépasse les catégories militantes et de plus en plus de français sont convaincus qu’on ne peut plus consommer de la même manière. Cette sensibilisation, elle invite à l’optimisme.

Après, c’est une question de rythme. Un rythme qui reste aujourd’hui trop lent à mon sens. Mais on aura peut-être un point de bascule, à un moment, qui fait que dans 5 ans, cette minorité agissante sera tellement majoritaire que les changements vont être très importants et dans ce cas on peut rester optimiste. Et sinon, même si c’est sans doute trop tard pour éviter les bouleversements climatiques et les problèmes de raréfaction des ressources, on peut quand même continuer d’agir pour limiter la casse.


Il y a eu des moments où tu as pensé à arrêter ?

L’histoire de HOP, c’est une histoire d’influence qui augmente, donc c’est difficile de se dire « tiens, je vais quitter le navire alors qu’on commence à voir notre impact augmenter ». Malgré tout j’y pense quand même, mais dans le sens du renouvellement. Ça doit faire 3 ou 4 ans maintenant que je suis président de l’association, et je pense que ce n’est pas sain qu’il y ait toujours les mêmes dirigeants.

C’est très important de relier l’obsolescence aux enjeux climatiques car l’impact carbone des produits est en grande partie liée à leur fabrication


Aujourd’hui, on vous consulte en tant qu’experts sur ce sujet, mais quand vous avez lancé l’association il y a 6 ans, vous vous sentiez légitimes pour porter ce combat ? Où, quelque part, vous avez vécu une sorte de syndrome de l’imposteur ?

Laetitia Vasseur a travaillé sur la proposition de loi qui crée le délit d’obsolescence programmée quand elle était collaboratrice de Jean-Vincent Placé au Sénat. En faisant ce travail, en auditionnant les experts sur le sujet, elle est devenue très pointue et légitime sur le sujet. Ensuite, on a aussi créé un comité d’experts qui nous entoure sur des sujets comme le droit, l’économie, le marketing, etc. pour assurer notre légitimité. Et puis, on savait qu’on allait progresser avec le temps. Et on est tous monté en compétences sur ce sujet.

Autre chose, par rapport à la légitimité, c’est qu’on a aussi effectué un travail de fond sur ce sujet. Avec Laetitia, nous avons notamment écrit un livre sur l’obsolescence programme en 2017.

C’est quelque chose de très important, je crois, quand on se lance sur ces sujets. C’est un travail qui permet de poser le constat, les solutions, de donner une trace écrite qui apporte une légitimité au porteur de l’association qui, tout à coup, devient une personne sérieuse ayant publié sur le sujet et non plus un hurluberlu qui se contente d’en parler.

Un manifeste, un livre, des publications d’articles dans la presse, ça crée un socle qui sert ensuite les autres combats. La légitimité de fond, il ne faut pas l’oublier. Surtout sur des sujets émergeants qui manquent d’ouvrages de référence.

Dans beaucoup de cas, ça peut valoir davantage la peine de se connecter à une initiative qui existe déjà pour lui donner du poids, plutôt que de vouloir absolument créer son propre projet

L'équipe de l'association Halte à l'Obsolescence Programmée
L’équipe de l’association Halte à l’Obsolescence Programmée


Est-ce que tu penses à une journée ou une rencontre particulière qui a tout changé dans cette aventure ?

Il y a plusieurs moments qui me viennent à l’esprit. En 2017, par exemple, on lance une opération pour mettre le sujet de la durabilité au coeur des élections présidentielles. Et tout à coup, on se met à rassembler plein d’associations historiques derrière nous, comme la FNE, Les Amis de la terre ou UFC-Que choisir…. alors qu’on était vraiment tout petits à l’époque.

À ce moment là, il y a des centaines de personnes qui viennent à nos évènements, les candidats répondent à nos sollicitations. Et quand tu es une petite association et que tu vois que ça prend de cette manière, ça fait vraiment quelque chose. Même chose quand on a porté plainte contre Epson et Apple. Le bruit médiatique incroyable derrière ces actions, ça a été un véritable déclic. Et ça a permis de faire parler du sujet comme jamais auparavant.

Un manifeste, un livre, des publications d’articles, ça crée un socle qui sert ensuite les autres combats.

Des rencontres, il y en a aussi eu beaucoup de marquantes et d’utiles. Le fait de rencontrer des acteurs associatifs plus importants, comme Julien Bayou par exemple, ça nous a fait avancer. À l’été 2015, il fait partie de ceux qui nous poussent à monter l’association. Nous le petit groupe de jeunes, on se disait que c’était une idée un peu folle. Et finalement, le fait d’avoir quelqu’un d’expérimenté, qui a déjà monté des associations, qui y croit et qui nous dit « si si, il faut y aller », ça a été important dans notre construction.


Maintenant que tu as davantage d’expérience. Est-ce que tu as toi aussi des conseils à donner pour celles et ceux qui souhaiteraient se lancer ?

Je dirais qu’il faut bien regarder ce qui existe avant de lancer son projet. Dans beaucoup de cas, ça peut valoir davantage la peine de se connecter à une initiative qui existe déjà, pour lui donner du poids, plutôt que de vouloir absolument créer sa propre initiative. Aujourd’hui, s’il y avait 10 structures qui luttaient contre l’obsolescence programmée, peut-être qu’aucune n’arriverait à avoir un véritable impact. Parfois, il faut arriver à se rassembler.

Après, s’il y a de la place pour votre projet parce que personne ne le fait suffisamment, ou suffisamment bien, mon conseil, ce serait de bien délimiter l’objet au départ. Et de se laisser porter ensuite par les opportunités.

Dans le cas de HOP, on pensait que notre objet c’était plutôt d’agir en justice pour faire bouger les lignes. Et c’est par là qu’on a commencé. Mais finalement en se lançant, on s’est rendu compte qu’il y avait plein de manières d’agir, comme faire du lobbying, ou sensibiliser la population, ou encore accompagner les entreprises… Mais tout ça est venu après avoir creusé un premier sillon sur lequel on a trouvé notre légitimité. Je pense qu’il ne faut pas vouloir tout traiter trop vite quand on est une petite structure.


Pour finir, HOP, c’est une association vouée à disparaître un jour ?

Oui, comme beaucoup d’associations, si le problème disparait, nous aussi, et c’est tant mieux.

Je pense qu’on est encore loin de faire disparaitre les pratiques de raccourcissement de la durée de vie des produits, donc on est encore loin d’avoir vocation à disparaitre. Mais effectivement, quand on aura inscrit dans le marbre que l’éco-conception est la norme, dans ce cas, on pourra peut-être se concentrer sur d’autres sujets.