Alizée Lozac’hmeur fait partie des membres historiques de makesense, un mouvement citoyen, incubateur de solutions, fonds d’investissement et transformateur d’entreprises. Un acteur incontournable en matière de transition sociale et environnementale.

Aujourd’hui, le mouvement a 10 ans. Composé de 130 personnes réparties dans 7 pays, il a permis d’accompagner plus de 8 000 projets d’entrepreneur-es et accompagné près de 400 organisations (grands groupes, ETI/PME, institutions, ONG) dans leur transition vers des modèles durables. Nous revenons avec elle sur la genèse de ce saut dans l’entrepreneuriat.

Alizée Lozac'hmeur Makesense


Les Horizons : Alizée, est-ce que tu te souviens du déclic qui t’as fait dire un jour « tiens, je vais devenir entrepreneure » ?

Alizée Lozac’hmeur : Pourquoi j’ai fait ce que j’ai fait ? Dans mon cas, on parle d’entrepreneuriat dans l’entrepreneuriat, puisque je me suis engagée pour soutenir l’entrepreneuriat social donc je dirais qu’il y a deux éléments. D’abord, pourquoi le sujet de l’innovation sociale, et ensuite, pourquoi Makesense.

Sur le premier point, je crois que depuis le lycée, j’ai toujours voulu travailler sur des sujets qui, globalement, avaient du sens. Je regardais surtout les ONG ou l’humanitaire. En entrant à HEC, je me suis aussi intéressée au fonctionnement des institutions internationales comme l’ONU.

Et c’est à HEC que j’ai ensuite découvert d’autres voies un peu parallèles, notamment l’économie sociale, au sens large, et ça me parlait de savoir qu’il n’y avait pas que des réponses d’urgence et de reconstruction, mais que notre modèle économique global pouvait aussi être transformé de l’intérieur. Et ce qui m’a intéressé dans cette voie là, c’est qu’il s’agissait moins de grandes entreprises et plutôt d’aventures entrepreneuriales.


Et pourquoi makesense et l’accompagnement à l’entrepreneuriat ?

C’est avant tout une histoire de rencontres et d’échanges. Comme je m’intéressais à l’entrepreneuriat social, je me suis dit qu’il fallait rencontrer des personnes déjà engagées. J’ai commencé à assister à des évènements sur ces sujets. On était en 2011, donc c’était vraiment le tout début.

Je suis allée à quelques conférences, à des équivalents de startups weekend, etc. Ça n’était pas évident car je suis un peu introvertie mais le fait de rencontrer des personnes avec qui tu partages des valeurs communes facilite beaucoup les choses pour trouver des zones d’affinités. Et, petit à petit, j’ai rencontré les gens à l’origine de makesense et je me suis laissée embarquer dans le projet.

Ça me parlait de savoir qu’on était pas uniquement dans des réponses d’urgence et de reconstruction, mais que notre modèle économique pouvait être transformé de l’intérieur


Autour de toi, les gens ont compris facilement ce que tu souhaitais faire ?

Ma famille ou mes proches ont suivi ça avec curiosité et enthousiasme. Mes amis d’HEC voyaient que je cherchais à faire des choses différentes, même si je ne sais pas s’ils comprenaient forcément la démarche, mais ça les intéressait.


Aujourd’hui, makesense a 10 ans. 3 650 jours plus tard, vous y croyez toujours à votre mission ?

Oui, la mission on y croit toujours dur comme fer. Après, c’est vrai que je suis peut-être moins optimiste, plus exigeante sur l’état du monde aujourd’hui qu’il y a 10 ans. Mais en même temps, ça ne fait que renforcer l’idée que ce qu’on fait est nécessaire pour avancer.

D’autant qu’aujourd’hui on est de plus en plus nombreux à vouloir faire changer les choses. Je pense que la prochaine étape, c’est de savoir comment s’organiser pour faire contre-poids face à une minorité de personne qui sont déjà très bien organisées pour justement ne pas changer.

Ce qu’on fait, c’est qu’on réunit des gens qui ont envie d’avancer dans le même sens et on essaie de les outiller pour qu’ils avancent plus vite ensemble


Il y a eu des moments où tu t’es dit que ça n’allait pas marcher ?

Des moments où je me suis dit que c’était une erreur ou que ça n’allait pas marcher ? Non. Après, tous les ans, quand on regarde les montants dont on a besoin pour clôturer nos budgets, on se demande évidemment si ça va le faire. On a eu un développement très organique avec makesense, sans aller chercher de grosses levées de fonds ou être soutenus par de grosses fondations. Et finalement, cette croissance progressive nous a permis d’être résilients, je pense.

Ensuite, il y a évidemment eu des moments où je me suis demandé si on ne s’embourbait pas ou si ça ne devenait pas trop complexe comme organisation. On a aussi eu plusieurs étapes, avec certains fondateurs qui sont partis et, à chaque transition, entre deux étapes, tu as l’impression que le bateau tangue un peu. Mais je ne me suis jamais posé la question de partir pour autant.

Il y a encore beaucoup de changements possibles dans les modèles de gouvernance et de partage de la valeur.

Alors, qu’est-ce qui fait que je reste ultra-motivée ? D’abord, il y a autour de moi des personnes qui ont fait que j’ai intégré makesense au début, et qui font, aujourd’hui, qu’on reste toutes et tous ensemble parce qu’on sait bien que c’est en étant rassemblés qu’on arrivera justement à faire bouger les choses. Ensuite, à chaque fois que je traversais des périodes difficiles, je me suis plutôt demandé comment faire évoluer mon rôle dans la structure ou comment faire évoluer notre modèle pour éviter que cela devienne trop difficile.


Quand on fait figure de « pionniers » sur un sujet, où est-ce qu’on trouve des sources d’inspiration pour avancer ?

Ce sont vraiment les gens de ma génération qui m’inspirent actuellement. Pour n’en citer que quelques uns en dehors de makesense : Mathilde Imer qui est à l’origine de la Convention Citoyenne pour le Climat ou Taoufik Valliparum, un des co-fondateurs de Ouishare.

Le fait de voir qu’on a monté chacun des mouvements différents et complémentaires sur nos sujets, ça m’inspire beaucoup et c’est aussi ce qui nous permet de repenser ce qu’on fait ou d’entrevoir de nouvelles manières de construire ou d’avancer.

Donc on regarde beaucoup les autres mouvements, évidemment, mais on a aussi la chance chez makesense de pouvoir s’appuyer sur une large communauté, ce qui est aussi une grande source d’inspiration car ça nous permet de faire émerger beaucoup d’idées. D’où l’importance de rester connectée avec le terrain et avec ce que tu fais.


Est-ce que tu as des conseils à donner à celles et ceux qui aujourd’hui souhaitent se lancer dans des projets à impact social ou environnemental ?

En premier lieu, je pense qu’avant de se lancer dans un projet, il faut d’abord s’interroger réellement sur ce qu’on veut faire, dans le sens où il y a plein de façons d’entreprendre. Le fait de lancer son propre projet en est une. Rejoindre des projets existants en est une autre.

Je pense qu’aujourd’hui on a un véritable enjeu à massifier les projets existants plutôt qu’à toujours vouloir en réinventer de nouveaux et dupliquer des modèles qui existent déjà. Je conseillerais aussi de ne pas trop « surpenser » les choses mais d’aller se confronter rapidement au terrain.

Enfin, je pense qu’il faut aussi s’interroger sur l’impact que nos projets peuvent avoir. Est-ce qu’il s’agit de reproduire un système en « un peu moins pire » où est-ce qu’on va vraiment le faire changer en inventant de nouveaux modèles qui agissent vraiment à la racine du problème ? C’est cela la radicalité, revenir aux racines.

En ce moment, je regarde beaucoup, par exemple, les différentes manières de changer et décentraliser le pouvoir et la répartition des richesses. Les coopératives locales et citoyennes sont très intéressantes sur ce sujet. Et il y a encore beaucoup de changements possibles dans les modèles de gouvernance et de partage de la valeur.