Pour de très nombreuses personnes, créer une banque n’est pas un projet qui va de soi. Pourtant, alors que les banques traditionnelles sont régulièrement pointées du doigt pour leur responsabilité vis à vis du financement des industries polluantes, Julia Menayas et ses associés ont décidé de créer Helios en début d’année. Un établissement bancaire qui n’investit l’argent de ses clients que dans des projets durables.
Les Horizons : Julia, comment est-ce qu’on en arrive à vouloir créer une banque ?
Julia Menayas : Il y a eu plusieurs phases dans notre cheminement. La première phase, ça a été de vouloir lancer quelque chose de positif. Tu démarres avec une idée un peu floue, un peu utopiste, à te dire « j’ai envie d’avoir un impact, j’ai envie de sens ».
Ce qui est d’ailleurs un sentiment très partagé par notre génération, et parfois mal vécu, parce que ça n’est pas incarné dans un projet concret. D’autant qu’à partir du moment où tu ne te sens plus très bien dans ta carrière et que tu as l’envie de créer quelque chose sans savoir exactement ce que c’est, ça devient vite pesant. Mais cette phase est importante. C’est quand même ce qui permet de maturer son sujet et d’entrevoir le début du gouffre.
Le jour où on s’est vraiment dit, « ça y est, on est lancée », c’est quand on a commencé à pitcher notre projet aux personnes autour de nous
Notre intuition, avec Maëva, c’était qu’il y avait un décalage énorme entre le discours des banques sur le climat par rapport à la réalité de ce qui est fait, et qu’on pouvait constater au quotidien puisqu’on vient toutes les deux du monde de la finance. Mais on ne savait pas comment créer quelque chose autour de ça. Est-ce qu’il fallait prendre la casquette d’une association ? Est-ce qu’on pouvait se contenter d’être des consommatrices averties ? Est-ce qu’il fallait créer une entreprise ?
Donc, pour lever cette question là, on est allé rencontrer des spécialistes de la finance climatique, des ONG, des professeurs, des lobbyistes…. Et c’est cette démarche qui nous a permis de comprendre la direction dans laquelle on voulait réellement aller.
La bascule, ça s’est fait naturellement pour vous ?
On a commencé cette phase de rencontres et de recherches en Octobre, soit 5-6 mois avant de démissionner, ce qu’on a fait vers tout début février 2020. Mais, en fait, le jour où on s’est vraiment dit, « ça y est, on est lancée », c’est quand on a commencé à pitcher notre projet aux personnes autour de nous. Parce qu’il fallait trouver les mots – ce qui est très dur – et parce que tu sais qu’à ce moment là, ta démarche va être jugée sur son niveau de maturité. Donc finalement, c’est un peu là le moment où tu sautes dans le vide… quand tu passes de la dynamique de te convaincre toi, à celle de convaincre les autres.
Autour de vous, le projet a été bien accueilli ou vous faisiez face à beaucoup de scepticisme ?
Pendant longtemps, je crois c’est surtout moi qui était sceptique. Je me disais que c’était beaucoup trop ambitieux d’attaquer une industrie aussi fermée, opaque et protégée que celle-ci, qu’on était trop utopistes et qu’on allait atterrir assez rapidement.
Mais, en fait, ça n’a pas du tout été la vision des gens à qui nous avons partagé l’idée. On a eu des retours plutôt intéressés et volontaires. Donc la barrière psychologique, finalement, je pense qu’elle venait plus de moi que des autres.
Au moment où vous avez quitté vos jobs, quel est le sentiment qui domine ? L’anxiété ou le soulagement ?
Alors il y a deux phases. La première c’est quand tu commences à vouloir partir de ton boulot, que tu n’as plus que ça en tête et que tu meurs d’envie de te lancer à fond. Et ensuite, une fois que t’es libérée de ça, il y a une seconde phase où tu te retrouves face à une montagne. Tu la regardes et tu vois qu’elle est vraiment très haute.
De la même manière que les banques en ligne ont accéléré la transition digitale du monde bancaire, on espère pouvoir participer à la transition écologique des services bancaires
Mais, plus concrètement, la première chose qu’on a faite, ça a été de formuler notre projet. D’écrire un manifeste. Au début, en fait, on ne produisait que du discours. On ne produisait que nos idées pour qu’elles collent parfaitement à notre vision. Et une fois qu’on a eu la vision, on l’a transformé en site Internet. Un site avec juste la possibilité de s’inscrire et de prendre rendez-vous avec un conseiller.
Pendant longtemps, d’ailleurs, ça a été moi le conseiller. Donc j’étais en direct avec de futurs clients, qui étaient super intéressés et qui posaient énormément de questions. Certains pensaient même qu’on étaient déjà live et ils voulaient savoir comment nous transférer leurs comptes… C’était assez fort comme période parce qu’avoir le contact des clients, comme ça, ça donne un vraie raison de faire les choses.
Il y a eu des moments après ça où vous avez douté, où vous avez pensé à arrêter ?
En fait, ce qui est éprouvant lorsqu’on se lance dans un projet à impact, c’est la différence qui existe entre ta vision et ton quotidien. Ta vision, c’est d’avoir un impact sur la transition écologique ou sur la vie des gens. Mais ton quotidien, il reste très opérationnel : c’est gérer des équipes, gérer des campagnes d’abonnement ou de communication, de gérer des projets. C’est une dichotomie qui n’est pas toujours facile à gérer.
Après, le seul moment où on a vraiment eu un questionnement, je pense que c’est lorsqu’on cherchait une solution pour assurer une vraie traçabilité sur les dépôts de nos clients afin de les transformer en financements utiles. On a fait le tour de tous les acteurs classiques qui travaillent avec les banques en ligne et au bout de 4 mois, on n’arrivait pas à trouver. Donc on s’est vraiment demandé ce qu’on allait faire.
Finalement on a finit par trouver in extremis un acteur complètement différent qui nous permet de séparer les dépôts de nos clients de ses activités, de tracer effectivement les flux, et enfin qui a une licence bancaire, ce qui nous permet de les transformer en financements utiles. Mais oui, pendant quelques mois, on s’est demandé ce qu’on allait pouvoir faire.
Quand on a une conviction, il ne faut pas la lâcher, il faut aller au bout de ses idées pour en être satisfaits
Comment vous vous êtes rencontrées avec Maëva, ton associée ?
Avec Maëva, nous sommes amies depuis le lycée. On est toujours restée en contact et je crois que le fait de créer quelque chose avec elle s’est fait naturellement. On est très complémentaires en fait.
Il y a eu d’autres rencontres marquantes dans la construction de l’aventure Helios ?
La première grande rencontre qu’on a fait, c’est avec Andreï, notre associé CTO. Parce qu’une banque c’est quand même un énorme boulot côté informatique. Et Andreï, ça a été très fort parce qu’il était installé avec sa famille à Bucarest et qu’il a traversé toute l’Europe pour venir s’installer à Nantes avec femme et enfants pour créer le pôle technique. C’est son arrivée qui marque vraiment le début d’Helios, quelque part.
Une deuxième rencontre marquante, c’est avec Lucie Pinson, qui est la fondatrice de Reclaim Finance, et une ancienne des Amis de la Terre. C’est une personne très engagée, à qui l’on doit de belles victoires pour faire changer le comportement des banques, sur le sujet du charbon notamment. Et quelqu’un qui est vraiment de très bon conseil pour nous aider à avancer dans la bonne direction. Elle apporte une grosse valeur à ce que nous faisons.
Après un an de travail de l’ombre, vous avez lancé officiellement votre service en début d’année. Comment tu as vécu ça ?
On a pas vraiment eu le temps d’en profiter à vrai dire. On avait un évènement le soir du lancement avec Lucie Pinson et Bertrand Badré, qui est l’ancien Directeur Général de la Banque Mondiale, et ancien Directeur Financier de la Société Générale et du Crédit Agricole, et qui a écrit un livre très intéressant intitulé « Et si la finance pouvait changer le monde ? ».
Et en fait on a passé toute la journée du lancement à avoir le stress de cet évènement, la peur des bugs techniques, du live… Mais bon, finalement tout s’est très bien passé. Mais c’est vrai que la journée à été pénible.
Il y a plus de 5 000 milliards d’euros qui sont dormants sur des comptes épargne et des comptes courants en France, alors qu’il faudrait 1 000 milliards d’euros par an pour financer la transition écologique.
Est-ce que c’est facile de rester optimiste quand on baigne dans des projets à impact ?
C’est vrai que ça n’est pas toujours évidemment, notamment quand on voit de très près tout le travail de lobbying et de marketing qui est fait par les banques et toute la confusion que ça crée dans les esprits. Mais je crois que c’est quand même dans notre nature de rester optimistes.
On dit souvent qu’il y a plus de 5 000 milliards d’euros qui sont dormants sur des comptes épargne et des comptes courants en France, alors qu’il faudrait 1 000 milliards d’euros par an pour financer la transition écologique.
Donc nous possédons clairement un levier à notre disposition grâce à notre argent. Évidemment, ça n’est pas Helios qui va financer la transition écologique tout seul, mais on peut commencer à flécher quelques euros dans la bonne direction et ce sera déjà une bonne chose.
Et de la même manière que les banques en ligne, il y a 10 ans, ont accéléré la transition digitale du monde bancaire, on espère pouvoir participer à la transition écologique des services bancaires. Et continuer d’exercer cette pression sur le monde bancaire dans le temps, pour aller toujours plus loin.
Pour celles et ceux qui souhaitent se lancer dans des projets à impact, tu as un message ou un conseil ?
Je pense qu’il faut parler assez rapidement de son projet, aller échanger avec des gens qui ont des idées proches ou des parties prenantes. Ça aide à se rendre compte de pas mal de choses.
Et puis il faut tomber amoureux de son projet aussi, pour que la passion se transmette. Je pense qu’on ne peut pas se lancer dans ce genre de projets si on ne porte pas ses convictions, si on y croit pas dur comme fer.