On connaît tous le bulletin météorologique, la « météo » qui nous apporte chaque jour les prévisions sur la pluie et le beau temps. On connaît moins Météo France. L’établissement public administratif se fait discret.Il est pourtant indispensable au fonctionnement de nombreux secteurs, à la fois publics, industriels et commerciaux. En charge de la surveillance de l’atmosphère, des océans et du manteau neigeux, Météo France modélise leur évolution et fait des prévisions pour la sécurité des personnes et des biens. En cas de phénomènes dangereux, ses avertissements permettent de déclencher les plans d’alerte vigilance.

À cela s’ajoute le fonctionnement quotidien de secteurs dépendants du temps. Parmi eux, le secteur aéronautique finance presque un quart du budget de l’établissement via une redevance, mais ce sont aussi l’hôtellerie, les hôpitaux, les secteurs maritime et touristique etc. Météo France mène également des activités de recherche en particulier via le centre national de recherches météorologiques (CNRM) en co-tutelle avec le CNRS. Contributeur des rapports du GIEC, c’est un acteur majeur de la recherche climatique sur la scène française et internationale.


Canicule et climat urbain

Si l’intérêt de Météo France pour le climat urbain date de la fin des années 1990, c’est au début des années 2000 que le sujet s’impose. « La problématique de la sensibilité des villes au changement climatique apparaît plus particulièrement en 2003, raconte Valéry Masson, responsable de l’équipe de recherche en climat urbain au CNRM. La canicule provoque 15000 morts en France et principalement en région parisienne. C’est là qu’il y a eu une prise de conscience au niveau sociétal de l’importance de cet enjeu. »

Désormais bien connu, l’effet d’îlot de chaleur est en cause. Pendant la journée, le bitume et les pierres de la ville accumulent la chaleur puis les restituent la nuit comme des radiateurs. Des différentiels allant jusqu’à 10 degrés on été mesurés entre la ville et la campagne, de nuit. Dans de telles conditions, le corps humain ne récupère pas – ou beaucoup moins bien – et les effets empirent lorsqu’une canicule dure. L’équipe de recherche en climat urbain du CNRM a donc pour mission d’identifier les multiples facteurs aggravant l’effet d’îlot de chaleur.

Certains facteurs se situent à l’échelle du bâtiment comme l’ensoleillement ou l’isolation thermique. « Pour le moment les réglementations thermiques se concentrent sur le confort en hiver et pas en été » remarque Valéry Masson. En identifiant ces failles, il espère faire évoluer les cadres législatifs dans le bon sens. D’autres facteurs concernent, eux, l’échelle du quartier. C’est l’aménagement urbain qui doit ici être réinventé : les densités, la présence de végétation haute, la gestion des eaux… Ils s’inspirent parfois de travaux internationaux comme à Stuttgart qui interdit depuis des décennies la construction de tours dans certaines zones de passage du vent. En effet, ces « couloirs de ventilation » contribuent à disperser la pollution et à rafraîchir la ville.

« Selon des scénarios pessimistes, à la fin du siècle, les villes françaises auront un climat de villes du sud de l’Espagne ou du Maroc. Mais elles n’ont pas été construites pour ce climat là. Comprendre le climat urbain, c’est pouvoir aménager au mieux la ville pour éviter ces problèmes. » Afin d’engager cette transition, l’équipe de Valéry Masson a coordonné une étude jetant une passerelle entre les recherches en climat urbain et le droit de l’urbanisme. Baptisée Mapuce, celle-ci a donné lieu à un guide méthodologique de planification urbaine, publié en juillet 2019.


Mapuce et TEB, un urbanisme climatique ?

Le guide s’inspire d’expérimentations faites à Toulouse pour les généraliser à l’ensemble des villes de France. Les recommandations qui y sont faites sont considérées « gagnant-gagnant » par les auteurs qui soulignent de nombreuses conséquences positives. Un outil a été indispensable à la création du guide Mapuce, c’est le modèle de climat urbain TEB (pour « Town Energy Balance »).

Créé en 2000 par l’équipe de Valéry Masson, ce modèle permet de prendre en compte les zones urbaines dans les simulations météorologiques. Première au monde, il reste aujourd’hui une référence pour modéliser le climat urbain. Pour comprendre de quoi il s’agit, il faut déjà savoir comment fonctionnent les modèles atmosphériques : « En gros ce sont des cartes découpées en boîtes qui portent chacune un certain nombre de caractéristiques comme le vent, la pression, la température qui se déplacent de boite en boite en fonction des règles de la mécaniques des fluides. »


Le canyon urbain

Au début des années 2000, deux problèmes empêchent la simulation météorologique en zone urbaine. Le premier est d’ordre technologique. « À cette époque les modèles météorologiques ne voyaient pas les villes » raconte Valéry Masson. En effet, la maille de modélisation est de 10 km, ce qui équivaut grossièrement à la taille de la ville de Paris. Une maille plus fine (la maille actuelle de Météo France est de 1,3km) suppose une plus grande puissance de calcul et donc de meilleurs ordinateurs.

Le second problème tient à la complexité à la représentation du tissu urbain. « Depuis longtemps des modèles simulent les échanges entre la végétation et l’atmosphère, mais il n’y avait pas ça pour les villes ». En effet, une fois l’atmosphère modélisée en « boites », il faut prendre en compte la surface correspondante : océan, végétation ou même bitume. « On ne peut pas représenter explicitement tous les bâtiments dans un modèle météo, ce serait trop cher d’un point de vue de temps de calcul. Donc on a fait une maquette simplifiée de la ville avec ce qu’on appelle un « canyon urbain », c’est à dire une rue avec des bâtiments de chaque côté. Cela simplifie la géométrie de la ville tout en gardant la plupart des processus énergétiques en jeu. Ainsi on peut représenter l’impact que les bâtiments vont avoir sur l’atmosphère. »


Générique et personnalisable

Dans les grandes plaines américaines, le TEB a notamment permis d’étudier l’impact d’une ville sur un orage. En rencontrant une zone urbaine, ce dernier peut en effet modifier sa trajectoire, se diviser voire même s’intensifier. L’avantage de cette modélisation urbaine est d’offrir une représentation de base qu’il est possible de personnaliser en fonction des données locales disponibles. « Le modèle est générique mais il évolue en fonction de la ville étudiée évidemment, en fonction des paramètres architecturaux, des hauteurs etc. »

Toutes les données scientifiques concernant le territoire peuvent être mobilisées pour affiner la représentation urbaine. Le guide Mapuce utilise par exemple la BD TOPO®, une représentation 3D du territoire français produite par l’IGN (qui inclut le bâti, la végétation, les transports, l’eau etc.). Ces données régulièrement mises à jour permettent de déterminer la composition d’un quartier et d’établir par exemple son taux de végétalisation ou sa hauteur moyenne. Des données statistiques de l’Insee sur les besoins des logements ont également servi.

La mise au point de ces outils est un travail de l’ombre dont les conclusions détermineront peut-être la forme des villes de demain. Mêlant des urbanistes, des sociologues, des géographes, des mathématiciens et bien sûr des météorologues, elle permet de mieux comprendre la relation que la ville entretient avec le climat au jour le jour et pour l’avenir.


Cet article a été rédigé et publié à l’origine sur le site de notre partenaire Demain La Ville