La composition de la vie microbienne et leur évolution en fonction de la température pourrait amener des bouleversements dans les océans, avec l’apparition dans des eaux froides, d’espèces venant des eaux tropicales.
De nouveaux résultats issus de la mission Tara Oceans, un projet initié par la Fondation Tara Océan entre 2009 et 2013, en collaboration avec le CNRS, l’EMBL, le CEA, l’université Paris-Sorbonne et l’université Paris Science Lettres (PSL), montrent que la diversité et les fonctions des espèces de plancton dans les océans changent radicalement selon la latitude.
Publiés ce 14 novembre dans la revue Cell, ces résultats montrent que les espèces planctoniques sont susceptibles de s‘adapter différemment aux conditions environnementales entre l’équateur et les pôles. Ce qui pourrait avoir d’importantes implications écologiques, environnementales et économiques si la température des océans devait dépasser un certain seuil.
La température, paramètre clé de la répartition et de l’activité microbienne dans l’océan
Tout d’abord, ces résultats montrent que l’activité et la diversité microbienne restent stables entre l’équateur et 40° de latitude (nord ou sud). Passé ce degré, elles changent par étapes jusqu’à environ 60° de latitude (nord ou sud), où un nouvel état stable commence.
Ces deux limites écologiques (au nord et au sud de l’équateur) correspondent à des changements physico-chimiques précis dans les eaux de surface, principalement une baisse significative de la température. Ce qui entraîne des changements dans la composition et le nombre d’espèces microbiennes qui vivent de part et d’autre de cette limite.
Grâce aux résultats de la mission Tara Oceans, la chercheuse Lucie Zinger et son équipe montrent que des limites similaires existent chez toutes les espèces planctoniques (bactéries, archées, protistes, zooplancton, etc.). Et comme pour la vie microbienne, la température semble être ici aussi le principal facteur qui explique cette tendance. Et non la disponibilité des ressources, qui vient en seconde position. Ces changements dans la composition et le nombre d’espèces planctoniques dans ces zones pourraient permettre d’anticiper les modifications liées au climat.
S’il délivre une énorme quantité d’oxygène dans l’atmosphère, le plancton y pompe également du CO2. Son rôle est donc capital puisqu’il permet notamment de ralentir le rythme du #ChangementClimatique anthropique ! #OceanForClimate ⤵️https://t.co/crUZkiXEFx
— Fondation Tara Océan (@TaraOcean_) January 3, 2019
Vers une « tropicalisation » des régions océaniques tempérées et polaires
Les eaux tempérées et polaires sont actuellement très importantes pour plusieurs raisons environnementales et économiques. D’une part elles jouent un rôle essentiel dans la capture du carbone atmosphérique et son stockage dans l’océan. D’autre part, elles sont des zones de pêche très actives, contrôlant d’intenses activités économiques. D’ailleurs, une grande partie de ces eaux sont protégées afin de fournir un refuge aux espèces en voie de disparition.
Pourtant, les changements les plus importants en matière de diversité, prédits par l’équipe de Lucie Zinger, devraient se produire au sein de ces zones. Cela modifierait en conséquence les écosystèmes associés et engendrant de graves conséquences à l’échelle mondiale. En effet, elles montrent que des températures océaniques plus élevées sont susceptibles d’engendrer une « tropicalisation » des régions océaniques tempérées et polaires. Ce qui implique des températures de l’eau plus élevées et une plus grande diversité d’espèces planctoniques.
Ce qui pose la question de la manière dont les espèces planctoniques vont s’adapter ou non à ces changements et de l’impact que cela peut avoir sur la biodiversité.
Des eaux chaudes aux eaux polaires, quels mécanismes de réponse ?
Aucun modèle actuel ne peut prédire avec précision comment les écosystèmes océaniques s’adapteront au changement climatique. Cependant, la recherche menée par Shinichi Sunagawa et son équipe fournit des indices sur les mécanismes en jeu, au moins en ce qui concerne les bactéries planctoniques et les archées.
À l’échelle mondiale, les communautés microbiennes peuvent s’adapter aux changements environnementaux de deux façons différentes : tout d’abord, en adaptant leur métabolisme, et donc leurs profils d’expression génétique, pour exploiter au maximum ces nouvelles conditions ; ensuite, en remplaçant les espèces les moins adaptées par de nouvelles, mieux adaptées.
Les populations microbiennes des eaux chaudes — entre 40° N et 40° S — sont plus diversifiées et bénéficient d’un vaste patrimoine génétique, pouvant être activé ou désactivé. Ces espèces peuvent ainsi adapter leur métabolisme et continuer à prospérer. Dans les eaux polaires, en revanche, la variété des espèces et des gènes microbiens est beaucoup plus restreinte et les communautés planctoniques s’adaptent davantage par le biais d’un renouvellement des espèces.
Cela suggère que la niche écologique de ces espèces est plus restreinte, et que certaines d’entre elles pourraient ne pas être en mesure d’adapter leur métabolisme face au réchauffement océanique. Elles pourraient alors disparaître pour être remplacées par de nouvelles espèces provenant d’eaux plus chaudes.
Guillaume Joly, avec le concours du CNRS.